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23 janvier 2009 5 23 /01 /janvier /2009 09:51

NOTES SUR MARIE DE GUILLAUME APOLLINAIRE

DE LA MACLOTTE AU TEMPS QUI PASSE


Le texte du poème figure en caractères gras.


Une chanson sans ponctuation : Marie de Guillaume Apollinaire (in  Alcools, La bibliothèque Gallimard, p.109).
Cinq strophes de cinq vers.

Dans la première strophe, les octosyllabes rappellent la naïveté des rondes enfantines :


Vous y dansiez petite fille
Y danserez-vous mère-grand
C'est la maclotte qui sautille
Toutes les cloches sonneront
Quand donc reviendrez-vous Marie


L'accent rythmique, puisqu'on danse, tombe sur la quatrième syllabe des quatre premiers vers.
Le derniers vers échappe à la ronde ; il n'est pas neutre, il est plein de la subjectivité du poète :


Quand donc reviendrez-vous Marie


Et cependant, il est bien le dernier vers d'un couplet, dans la tonalité naïve de la chanson, de la "maclotte" dont une note en bas de page de Henri Scepi  nous dit qu'il s'agit d'une "danse ardennaise" ; c'est ainsi que Guillaume Apollinaire évite le sentimentalisme, le "poétisme", le ridicule d'un poème d'amoureux désolé.

Mais la ronde enfantine n'a qu'un temps et l'énigme, ce sujet réel du poème, réapparaît, avec la coutume de ses masques :


Les masques sont silencieux
Et la musique est si lointaine
Qu'elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux


On pense aux masques d'Océanie et d'Afrique dont les débuts du XXème siècle furent si friands, énigmes silencieuses, muettes sur les rites dont ils furent les accessoires primordiaux, abandonnés souvent après la cérémonie comme une robe que l'on ne porte qu'une fois, une sorcière que l'on brûle à la fin du carnaval, inutiles masques désormais, laissés aux enfants, et si chargés de ce que nous nommons "l'être", le fantôme de toutes ces vies inaccessibles, fabuleuses, légendaires.

La musique est lointaine, la danse est finie, "aux cieux", c'est-à-dire "ailleurs", dans une autre pièce, une autre rue, une autre salle, le son d'un piano ou d'un violon que l'on entend dans les étages.

Dans cet apparaître fantômatique, le poète peut se complaire à "l'ancien jeu des vers" :


Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux


Ainsi l'alexandrin, - et ici, il sonne comme un vers de Racine -, provisoirement, le temps d'un vers, supplante l'octosyllabe.
Ne pas être dupe : le vers reste, le sentiment meurt avec le poète.
Et si son mal est "délicieux", au Guillaume, c'est surtout parce qu'il peut l'exprimer, le poétiser, le rentabiliser d'une certaine manière.
Amoureux, certes, il l'est mais il est surtout poète, créateur.
Un autre que lui se serait laissé suicider par ce mal d'amour.
Ceci dit, qu'est-ce que cette volonté d'aller défendre la France dans la boue des tranchées de la première guerre mondiale, sinon laisser le destin et la mitraille décider pour lui ?

Retour à la pastorale des chansons :


Les brebis s'en vont dans la neige
Flocons de laine et ceux d'argent
Des soldats passent et que n'ai-je
Un coeur à moi ce coeur changeant
Changeant et puis encor que sais-je


Image d'Epinal, images d'un paysage de l'Est rêvé : "des brebis sous la neige" et se mêle la laine aux flocons qui tombent et le temps passe ; après les brebis, les "soldats", - la guerre n'est plus si loin, - le recueil "Alcools" est publié en 1913 -, et la mort du poète non plus - ; le temps passe comme une allitération : neige, argent, que n'ai-je, changeant, que sais-je.
La fricative sonore "j" fait tomber la neige et couler les jours.
Singulière allitération que cette fricative- là ; aérienne, légère comme un flocon justement, elle exprime la monotonie des neiges et des jours autant qu'elle suggère les légers changements de rythme et de ton que connaissent les ciels neigeux et la suite de nos jours.
En cela, évidemment, point de "coeur à soi", il est dans la neige, le coeur, dans les changements imperceptibles d'abord qui font que soudain on voit qu'il ne neige plus, qui font que soudain on s'aperçoit que l'on ne s'aime plus.

Du coup, franchement : "que sais-je" ?

Que sais-je sinon le rythme des chansons :


Sais-je où s'en iront tes cheveux
Crépus comme mer qui moutonne
Sais-je où s'en iront tes cheveux
Et tes mains feuilles de l'automne
Que jonchent aussi nos aveux


Penser à la femme aimée, c'est aussi penser à la petite fille qui dansait la maclotte, c'est aussi penser à la vieille femme que l'on appellera "mère-grand" (quelle horreur ! note de l'auteur du présent article), et les "brebis" se condensent dans "le moutonnement des cheveux crépus" et de "la mer".
Les flocons sont devenus des "mains", ces "feuilles de l'automne" qui font de la femme aimée un souvenir qui vous flanque je ne sais quel froid dans l'âme, ou  au muscle cardiaque, si l'on se veut plus réaliste.
La fricative sonore "j" s'assourdit : cheveux, jonchent.

Et d'où viennent donc toutes ces pensées, cette subjectivité neigeuse, venteuse, ce goût des chansons ? Ne cherchez pas, c'est là tout le charme du Paris d'Apollinaire :


Je passais au bord de la Seine
Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s'écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine


Paris du temps qui passe puisque, comme l'avait dit déjà Baudelaire :


Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville
Change plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel);
                (Baudelaire, Le Cygne, vers 7-8)


Mais le lien existe pourtant : il s'agit du "livre ancien" qui témoigne de ce qui fut et peut-être de ce qui, pour le poète, fut plus heureux.
Dans la somptueuse simplicité des vers d'une chanson, Apollinaire évoque ce fleuve du temps qui "s'écoule et ne tarit pas" ; il ne s'agit pourtant d'un fleuve abstrait, d'un concept ; pour Guillaume, ce fleuve a un nom, la Seine, tout comme son amour a un visage, une temporalité.
Du coup, comme les élèves rêveurs des salles de classe, il aspire à "la fin de la semaine".


Patrice Houzeau
Hondeghem, le 2 février 2006

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