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23 janvier 2009 5 23 /01 /janvier /2009 10:49

BOUCHE FLEURIE DES LEGENDES
Notes sur le poème Rosemonde de Guillaume Apollinaire (in Alcools)


"Longtemps au pied du perron de
  La maison où entra la dame
  Que j'avais suivie pendant deux
  Bonnes heures à Amsterdam
  Mes doigts jetèrent des baisers"
  (Apollinaire, Rosemonde, 1ère strophe)


"Longtemps" : Les longtemps nous font ce passé étale, marais d'où surgissent les figures, lande à s'y perdre, forêt qui constitue la nuit des êtres ; à la parcourir, cette forêt, on finirait peut-être par y trouver le trésor des contes, l'aube de la vérité, l'outre-temps des légendes.


"Longtemps au pied du perron de
  La maison" : C'est dire que l'on attend. Les maisons, ces territoires de l'Autre. Des pièges mortels, sans aucun doute. Y poussent des yeux étranges.


"La maison où entra la dame" : Vous voyez bien que c'est un piège mortel.

"Que j'avais suivie pendant deux
  Bonnes heures à Amsterdam" : La rime "dame / Amsterdam" fait ritournelle, laquelle est soulignée par les enjambements :


"Longtemps au pied du perron de
  La maison où entra la dame
  Que j'avais suivie pendant deux
  Bonnes heures à Amsterdam"


A part ça, on peut juger du peu de sérieux du narrateur apollinairien qui fait rien qu'à suivre des dames dans la rue au lieu de travailler à produire des automobiles, ou des frites surgelées, ou des canons de 20, ou des stylos à bille, ou des diplômés de l'enseignement supérieur, ou des brice hortefeux, des nicolas sarkozy, des rachida dati, des roselyne bachelot, des bernard laporte (sourire carnassier fourni sur toutes les séries) et autres personnages publics de la République en l'état actuel (lequel n'est pas bien brillant), tout ça pour en arriver à la principale :

"Mes doigts jetèrent des baisers" : C'est qu'il se comporte comme un quelconque latin lover, le guillaumesque narrateur.


"Mais le canal était désert
  Le quai aussi et nul ne vit
  Comment mes baisers retrouvèrent
  Celle à qui j'ai donné ma vie
  Un jour pendant plus de deux heures"
  (Apollinaire, Rosemonde, 2ème strophe)


"Mais" : Les longtemps, étales comme des nappes de synthétiseur dans un morceau de rock progressif, sont souvent suivis du bref coup de ciseaux de la conjonction "mais". Quant à lui, il était aussi teigneux que le peigne d'un chauve. Cette dernière phrase est pur parasite.


"Mais le canal était désert" :Y a que de l'eau que de l'eau que de l'eau que de l'eau qu'il-y-a-qu'-qu'il-y-a-qu'-qu'il-y-a-qu' (à dire au galop avec accompagnement de violon du Québec pour faire danser)


"Le quai aussi et nul ne vit " : La rime interne "aussi / vit" souligne la cadence de ces deux octosyllabes :

"Mais le canal / était désert /
  Le quai aussi / et nul ne vit / "


"Comment mes baisers retrouvèrent
  Celle à qui j'ai donné ma vie
  Un jour pendant plus de deux heures" : Prise de distance, auto-ironie. Le narrateur se moque gentiment de sa propension à tomber facile amoureux.


"Celle à qui j'ai donné ma vie" : Ritournelle encore, romantique en plus, comme dans une chanson à la mode de jadis, un lied aux paroles un peu ridicules.


"Un jour pendant plus de deux heures" : Gradation décroissante : "vie", "jour", "deux heures".


"Je la surnommai Rosemonde
  Voulant pouvoir me rappeler
  Sa bouche fleurie en Hollande
  Puis lentement je m'en allai
  Pour quêter la Rose du Monde"
  (Apollinaire, Rosemonde, 3ème strophe)


"Je la surnommai Rosemonde" : Le pouvoir de surnommer relève de la création poétique. Le surnom est une invention verbale, l'irruption du sujet dans l'objectivité de la langue. Cette surnomination a pour but de marquer l'étale mémoire d'un signe de reconnaissance ; ici, le nom "Rosemonde" est basé sur le néerlandais de mond, qui signifie "la bouche" et suscite donc l'image de la "bouche fleurie en Hollande".

Bon, une fois que le poète a bien poétiser, que lui reste-t-il à faire sinon, comme Luky Luke dans le soleil couchant, s'en aller pour d'autres aventures, d'autres quêtes :


"Puis lentement je m'en allai
  Pour quêter la Rose du Monde"


Là encore, la rime "Rosemonde / Rose du Monde" souligne la ritournelle cependant que le réel se charge de sens. De l'association aimable "Rosemonde" / "bouche fleurie", on en vient à l'énigme, cette "quête de la Rose du Monde" qui prend racine dans la langue elle-même.

une bouche fleurie de légendes
: c'est dans une chanson du groupe Ange que, me semble-t-il, j'ai jadis entendu cela.


Patrice Houzeau
Hondeghem, le 13 avril 2008

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