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26 janvier 2009 1 26 /01 /janvier /2009 13:30

DE LA NÉCESSITE DU SOUFFLE
Note sur un texte de Jean Le Boël

Écrire sur les images est une constante chez nombre de poètes : André Breton écrivant en parallèle de tableaux de Joan Miro, Apollinaire et Raoul Dufy, Les Voisinages de Van Gogh composés par René Char, sans oublier Baudelaire (le formidable poème intitulé Les Phares) et tant d'autres...

Écrire sur les paysages est aussi une constante :

il n'est de terre qui ne marche sur les cieux

Il s'agit d'un alexandrin de Jean Le Boël qui rend compte de la composition d'un tableau dans un livre consacré au peintre-paysagiste Jacques Dourlent (à l'ombre du ciel, éd. Henry).

On sait que traditionnellement, le paysage peint se divise en deux (les deux tiers de la toile pour le ciel et ses tourments et ses quiétudes ; un tiers pour la terre et sa flore et le travail du vent). C'est donc un tercet qui compose la première strophe du bref poème de Jean Le Boël : un vers pour la terre en marge des cieux, un vers pour la lumière sur la mer :

il n'est de terre qui ne marche sur les cieux
de lumière que ne mange la mer

un vers pour le pressentiment du vide que souligne l'espace des paysages :

il n'est de terre qui ne marche sur les cieux
de lumière que ne mange la mer
de vie que ne ronge le vide

Ces trois vers sont liés en un vertige de dévoration (cf "marche sur", "mange", "ronge") et il m'est impossible d'un citer un sans citer les deux autres, la syntaxe mimant la continuité du regard sur la composition du tableau : c'est ce que l'on appelle l'homogénéité.

Dans une étrange familiarité avec le paysage que nous connaissons tous, on pourra penser que le trop-plein d'espace où la terre, les cieux, la lumière et la mer semblent vouloir se mordre comme s'ils étaient des entités douées de conscience, on pourra penser que ce trop-plein d'espace que suggère le poème est une menace de dénonciation de la vacuité de la matière, comme on peut la lire dans les poèmes d'Anneke Brassinga, par exemple (cf le recueil descendance, Maison de la Poésie Nord/Pas-de-Calais). Mais les deux vers qui constituent la seconde partie de ce fragment rappelle que rien n'est possible sans "le souffle" :

plus pur pourtant le souffle pour
celui qui tremble sur la falaise

Le premier de ces deux vers est un octosyllabe et le second comporte neuf syllabes comme si le "e muet" de la forme "tremble" rendait compte de la fragilité et de la nécessité du souffle afin que s'accomplisse le paysage, que le vide ne nous engloutisse pas tout de suite.

Les vers de Jean Le Boël figurent sur cette page en caractères gras et sont extraits du numéro 8 de la revue Ecrit(s) du Nord (octobre 2002).

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 26 octobre 2005

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