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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 23:45

SOUS-JACENCE
Notes sur H.P. Lovecraft

Marécage – Ville imaginaire – « fantômes humains » - Le goût de l’énigme.

Marécage.
Dans la maison maudite, le lieu tend au moisissement végétal :

“- for the house was repulsively damp even in dry weather, and in this storm positively swamp-like.”
(H.P. Lovecraft, The Shunned House)

« …, car cette demeure, humide, même par temps sec, devenait, sous la tempête, assez semblable à un marécage. » (H.P. Lovecraft, La maison maudite, in je suis d’ailleurs, traduction de Yves Rivière, folio SF, p.116)

Plutôt stagnant comme étant, le marécage. C’est aussi une fermentation. Ici, la « tempête » révèle la nature marécageuse des choses, cette sous-jacence de l’être.

Ville imaginaire.
Les marécages ont des profondeurs occultées :

“There were tales of dancing lights in the dark of the moon, and of chill winds when the night was warm; of wraiths in white hovering over the waters, and of an imagined city of stone deep down below the swampy surface.”
(H.P. Lovecraft, The Moon-Bog)

«On racontait que des lumières y dansaient par les nuits sans lune et qu’un vent froid y soufflait alors que la nuit était chaude. Il était également question d’une ville de pierre imaginaire ensevelie sous la surface marécageuse et d’esprits planant au-dessus de l’eau. » (H.P. Lovecraft, La tourbière hantée, ibid., p.131).

« Il était également question », ce dont il est question, c’est-à-dire le sujet de la conversation qu’induit le texte. La langue dit bien ainsi que le réel est en question dès que les choses sont nommées.
Dans la profondeur cachée des marécages, une « ville de pierre imaginaire ».
La langue estompe aussi ce qu’elle invente. L’adjectif « imaginaire » se rapporte à la ville cependant que sa position dans la phrase en fait l’épithète de « pierre » (1) . La secrète cité s’efface donc à peine est-elle nommée. La légende n’évoque le diable que pour mieux le révoquer. Certes, convoqué, il vient avec sa légion de plaies. Mais la légende puisqu’elle est basée sur la raison du conteur et l’entendement du lecteur, le défait, le diable, aussitôt qu’il apparaît. Le Diable n’a pas raison. D’ailleurs, il fait n’importe quoi : il crache du sang, des grenouilles, il dit des recettes de cuisine en langue étrangère, récite ses préfectures en latin et en grec, il chante des chansons à l’envers, fait tourner les crucifix dans l’air, agite des diablotins dans les chambres des jeunes filles, bref, il se fiche de nous. Le Diable, c’est rien qu’un grotesque.

« fantômes humains ».
La littérature fantastique consiste à faire rentrer dans le cadre de la raison du conte l’indicible angoisse induite par cette sous-jacence de l’être qui nous hante fatalement l’esprit, vu que nous sommes mortellement fragiles. Nous sommes traversés par un fil et reliés entre nous par ce fil invisible qui rompt avec le trépassé et se renoue avec le nouveau-né.
Pour le commun de la littérature, ce lien s’appelle solidarité, communauté des vivants, humanisme. La littérature de l’énigme, semble-t-il, a du mal à y adhérer, à cette bonne conscience du bon côté, à ce plancher des vaches bien gardées. Elle prend en compte que certains vivants sont monstrueux et que le visage de l’autre ne reflète pas une pure bienveillance, mais une énigme aux multiples paramètres. En ce sens, l’énigme apparaît comme une équation de l’être. Aussi pouvons-nous partager l’enthousiasme du narrateur de la nouvelle Le modèle de Pickman pour le discours tenu par le peintre de l’inconcevable :

“If there are any ghosts here, they're the tame ghosts of a salt marsh and a shallow cove; and I want human ghosts- the ghosts of beings highly organized enough to have looked on hell and known the meaning of what they saw.”
(H.P. Lovecraft, Pickman's Model)

« Si jamais il y a des fantômes ici, ce sont les fantômes domestiqués d’un marécage salé et d’une petite baie : mais moi, ce que je veux, ce sont des fantômes humains, des fantômes d’êtres suffisamment organisés pour s’être penchés sur l’enfer et avoir compris le sens de ce qu’ils ont vu. » (H.P. Lovecraft, Le modèle de Pickman, ibid., p.165).

La littérature fantastique, celle de Lovecraft, celle d’Edgar Allan Poe, de Jean Ray , est donc éminemment raisonnable.

Le goût de l’énigme.
Retournons à la maison maudite. Le narrateur y veille son oncle. Il pleut :

“My uncle breathed heavily, his deep inhalations and exhalations accompanied by the rain outside, and punctuated by another nerve-racking sound of distant dripping water within…” (H.P. Lovecraft, The Shunned House).

« Mon oncle respirait lourdement ; sa respiration était scandée par la pluie à l’extérieur et soulignée par un autre bruit énervant de gouttes qui tombaient quelque part dans la maison,… » (H.P. Lovecraft, La maison maudite, ibid., p.116)

C’est ce « quelque part dans la maison » qui hante, et la pluie, comme le dit le texte, l’exprime, le « souligne », cet arrière-monde du lieu d’être, cet illocalisable.
La pluie donne un goût de temps liquéfié à l’énigme. Elle nous rappelle à notre nature humide. Ne sommes-nous pas les descendants d’êtres amphibies ?. D’ailleurs, en français, si le traître est appelé serpent, le sournois est nommé crapaud.
La pluie donc donne à l’énigme une tonalité particulière de la même manière que les rythmes et les lancinances et les stridences de la pop et du rock semblent définir un quelque part inaccessible et, de ce fait, particulièrement énigmatique pour des amateurs de mystères de mon acabit. Ecrivant ces lignes, j’ai dans les oreilles Secret Treaties du Blue Öyster Cult (une merveille de 1974, rééditée en 2001), puis Dummy de Portishead (1994). Etant un parfait ignorant de la langue anglaise, le rock anglo-saxon m’apparaît très énigmatique. Ce que j’apprécie, comme on peut s’en douter.
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(1) Il n'y a pas, bien sûr, la même ambiguité dans le texte original :"an imagined city of stone".

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 mai 2008

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