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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 23:54

"BEING GHOSTS"
(Notes sur le poème August de Louis MacNeice in Une voix, choix de poèmes présentés et traduits par Clotilde Castagné-Véziès, Orphée La Différence, p. 26-27)

"Le joueur d'échecs lut à haute voix :
  - La phrase que j'écris en ce moment est celle que vous lisez en ce moment..."
  (Arturo Pérez-Reverte, Le Tableau du maître flamand, Le Livre de Poche, p.200)

Pourquoi, comme le propose Louis MacNeice dans son poème August ("Août"), choisir l'été comme propice à une réflexion sur le temps ?
Peut-être parce que l'été marque le retour de ce temps où l'on voudrait demeurer, de ce temps parenthèse dans la nécessité du travail :

"And I realise how now, as every year before,
  Once again the gay months have eluded me."
  (Louis MacNeice, August, vers 3-4)

"Et j'en prends maintenant conscience : comme chaque
           année par le passé,
  Une fois encore, les mois joyeux m'ont échappé."
  (traduction : Clotilde Castagné-Véziès)

C'est que le temps est quelque chose d'obscur :

"The shutter of time darkening ceaselessly" (1)
  (August, vers 1)

"Le volet du temps s'assombrit sans fin"
  (traduction : Clotilde Castagné-Véziès)

Et c'est aussi que nous divisons le temps en parcelles, que nous vivons comme si elles étaient innombrables, indénombrables, en parcelles dans lesquelles nous nous mouvons comme dans un théâtre fait tout exprès pour nous :

"For the mind, by nature stagey, welds its frame
  Tomb-like around each little world of day;"
  (August, vers 5-6)

"Car l'esprit, par nature cabotin, entoure de son cadre
          sépulcral,
  Bien ajusté, le petit univers de chaque journée"
  (traduction : Clotilde Castagné-Véziès)

Ainsi tentons-nous de suspendre le temps ainsi que le font les peintures :

"I, like Poussin, make a still-bound fête of us
  Suspending every noise, of insect or machine."
  (August, vers 11-12)

"Moi, tel Poussin, je fais de nous une fête immobile
  Suspendant tout bruit, d'insecte ou de machine."
  (traduction : Clotilde Castagné-Véziès)

Mais le temps ne s'attrape pas comme on rattrape un plat. Aussi en faisons-nous des allégories. Ici, un "visage de pierre" ("a stone face" cf vers 16) :

"You and me and the stone god in the garden
  And Time who also is shown with a stone face"
  (August, vers 15-16)

"Vous, moi, le dieu de pierre dans le jardin
  Et aussi le Temps représenté avec un visage de pierre"
(2)
  (traduction : Clotilde Castagné-Véziès)

"Vous, moi, le dieu de pierre dans le jardin"
: sur le même plan, les vivants et les dieux, les visibles et les invisibles, les temporels et les intemporels, les êtres et les masques, un univers dans un jardin, cette image symbole de l'espace-temps, cette preuve du cycle des saisons, ce lieu d'être de sa flore.
C'est que le temps est divisé par tous ceux qui le traversent ; c'est une division dont toutes les parts constituent une somme infinie et dont chaque part tend elle-même vers l'infini. Le temps est l'inépuisable de l'humain cependant que nous sommes destinés à finir :

"Our mind, being dead, whishes to have time die
  For we, being ghosts, cannot catch hold of things."
  (August, vers 19-20)

"Notre esprit, étant mort, souhaite que le temps meurt
  Car nous, qui sommes des ombres, ne pouvons nous saisir
            des choses."
  (traduction : Clotilde Castagné-Véziès)

Le parallélisme "being dead" / "being ghosts" court-circuite la perception habituelle que nous avons de la mort. En effet, est-ce un fantôme qui s'exprime ainsi ? En tout état de cause, le parallélisme met sur le même plan vivants et fantômes, lesquels sont des êtres ni vivants ni morts, à la fois morts et vivants, et cela tant que nous n'avons pas oublié leur présence : je puis douter de l'existence de l'autre ; je ne puis cependant pas nier l'influence que cet autre a sur moi.

Notes :
(1) Le temps s'obscurcit comme s'obscurcissent les panneaux d'un volet.

(2)
Le "visage de pierre" étant appelé à perdurer, à passer l'âge des plus vieux parmi les humains, suggère que le temps est une continuité sans début ni fin ni épisodes. C'est donc, ce temps fixé dans la pierre, un égal à lui-même cependant qu'il a figure humaine. C'est que le temps est purement humain : le temps dans un visage, c'est le Temps mis à mesure des hommes.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 mai 2008

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