Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
4 février 2009 3 04 /02 /février /2009 14:54

TENTATIVE DE FUITE DU PERE, FEBRILITE DE LA FILLE
Note sur la scène 2 de l’Acte II de l’Iphigénie de Racine.

Iphigénie s’interroge sur l’agitation paternelle :


« Seigneur, où courez-vous ? et quels empressements
   Vous dérobent sitôt à nos embrassements ? »
   (vers 531-532)

Agamemnon craint sans doute de croiser le regard de cette fille qu’il s’apprête à sacrifier.
Iphigénie utilise d’ailleurs le mot « fuite » et laisse même poindre, par coquetterie peut-être, un peu de jalousie au vers 533 :

« A qui dois-je imputer cette fuite soudaine ? »


La fille est dans la pièce celle qui rejoint le père car c’est le père qui doit la donner à un autre homme.
Elle est donc celle qui va quitter l’état de dépendance pour tenir auprès de son mari le rôle que sa mère tient auprès du père.
Revoir son père avant la cérémonie est donc essentiel puisque c’est là l’occasion de le remercier (en lui exprimant tout son amour comme Iphigénie le fait, cf vers 538 - 546) et donc se comporter pour la dernière fois en jeune fille, partager un instant d’intimité avec ce père tant aimé.

Elle l’accable donc d’interrogatives :


« Seigneur, où courez-vous ? et quels empressements
   Vous dérobent sitôt à nos embrassements ?
   A qui dois-je imputer cette fuite soudaine ?
   Mon respect a fait place aux transports de la reine ;
   Un moment à mon tour ne vous puis-je arrêter ?
   Et ma joie à vos yeux n’ose-t-elle éclater ?
   Ne puis-je… »
   (vers 531- 537)

Et elle était embarquée dans sa sixième interrogative lorsque le roi son père l’interrompt.
Sans doute la joyeuse fébrilité de sa fille le trouble-t-il : 

                     
   « Eh bien ! ma fille, embrassez votre père,
Il vous aime toujours. » (vers 537-538)

Cette dernière proposition est évidemment lourde de sens pour celui qui sait ce que prépare réellement Agamemnon : le sacrifice de sa fille alors que celle-ci s’attend à être mariée à Achille.
Ce « Il vous aime toujours » est intéressant en ce sens que le pronom personnel renvoie autant à la figure du père qu’à la figure de l’homme d’Etat. En tant que père, Agamemnon ne veut pas la mort de sa fille ; en tant que commandant de la flotte grecque, il sait que ce sacrifice est inévitable puisqu’il a été ordonné par les dieux.
Mais enfin, il rassure Iphigénie et les exclamatives succèdent alors aux interrogatives : 

                                 
« Que cette amour m’est chère !
Quel plaisir de vous voir et de vous contempler
Dans ce nouvel éclat où je vous vois briller !
Quels honneurs ! Quel pouvoir ! Déjà la renommée
Par d’étonnants récits m’en avait informée ;
Mais que, voyant de près ce spectacle charmant,
Je sens croître ma joie et mon étonnement !
Dieux ! avec quel amour la Grèce vous révère !
Quel bonheur de me voir la fille d’un tel père ! »
(vers 538 - 546)

Il suffit donc de quelques mots de la bouche d’Agamemnon pour qu’Iphigénie laisse éclater sa joie et sa fierté d’être la fille du « roi des rois », d’être une princesse grecque qu’une union annoncée avec un guerrier fameux (Achille) va propulser au centre même de l’aristocratie.
Un tel débordement de joie ne peut que mettre Agamemnon mal à l’aise, d’où le double sens encore de cette réplique :

« Vous méritiez, ma fille, un père plus heureux. » (vers 547)


Incompréhension d’Iphigénie, nouvelles interrogations :


« Quelle félicité peut manquer à vos vœux ?
   A de plus grands honneurs un roi peut-il prétendre ?
   J’ai cru n’avoir au ciel que des grâces à rendre. »
   (vers 548-550)

Ironie.
Le ciel condamne Iphigénie.
Celle-ci, ignorante, innocente, le remercie cependant, le ciel, du bonheur qui la comble, mais qui se couvre d’un peu d’ombre pourtant puisque son père dit lui-même qu’il pourrait être plus « heureux », plus chanceux sans doute (il est vrai que ces vents qui ne se lèvent pas retardent l’expédition grecque dans son projet de siège de Troie).
Puisque son père est si laconique.
Si peu expansif.
Comme s’il ne pouvait plus se laisser aller à la joie simple des retrouvailles.
C’est que l’homme d’Etat étouffe en lui la personne privée, c’est que la charge de roi des rois l’empêche d’être père, c’est que le voilà confondu avec son rôle social :

AGAMEMNON, à part
« Grands dieux ! à son malheur dois-je la préparer ? »
   (vers 551)

La tragédie est dans cette nécessité de la préparation à la mort.
Dans cette acceptation de la perte de l’être aimé.
Ainsi, pour les tragiques, - c’est-à-dire, en fin de compte, nous tous -, vivre, c’est peut-être « apprendre à mourir » (comme on dit assez pompeusement dans les Lycées), c’est certainement gérer de la mort, de la souffrance, de la douleur, de l’absence, du deuil.
Et comment gérer ce qui est de l’ordre de l’intime lorsque l’on ne peut plus s’abstraire de sa fonction, lorsque l’on est dévoré par cette nécessité d’être socialement aux autres, qui ont toute puissance sur nos emplois du temps.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 février 2009

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Recherche