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6 février 2009 5 06 /02 /février /2009 17:15

NOTES SUR LE POÈME LARME D'ARTHUR RIMBAUD

Seul

Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,

c'est-à-dire dans le silence, dans ce qui est hors du temps des "troupeaux", l'ordre des journées et des habitudes "villageoises", qu'elles soient féminines ou non.
Ce premier vers du poème Larme d'Arthur Rimbaud semble le premier vers d'une chanson : rythme régulier et rime interne.

Je buvais, accroupi dans quelque bruyère

Entourée de tendres bois de noisetiers,
Par un brouillard d'après-midi tiède et vert.

Seul, picolant, - ce qui n'est pas étonnant -, Rimbaud adolescent aimait à boire (cf les célèbres croquis parisiens où l'on voit Arthur attablé devant une bouteille de Porter, la pipe à la main et l'air plus ivre que son bateau) ; seul, picolant, le poète dissimulé, enfui dans la "bruyère" et les "tendres bois de noisetiers", dans le "brouillard", caché, "accroupi", accroupi et buvant, - connaissant les moeurs du bonhomme, on pourrait se demander s'il n'y a pas là une allusion érotique : dans Une Saison en enfer, le poème est repris avec quelques variantes : Que buvais-je, à genoux dans cette jeune Oise ? "Que buvais-je...?" On se le demande. - L'allusion semble si évidente qu'elle sonne faux comme si Rimbaud jouait sa dérision et puis, le poète est seul, s'est isolé, alors...

Dans le silence - pas d'oiseaux dans cette campagne ! -, et dans la tièdeur de l'après-midi qui engourdit tout, dans le vert d'un tableau, Rimbaud boit.

Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise,
Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert.

On dirait bien qu'il est atteint du syndrome de Stendhal, l'Arthur et que le voilà se projetant dans un tableau, une toile peinte "d'ormeaux sans voix" et de "gazon sans fleurs" sous le "ciel couvert" d'un décor de théâtre : 

    J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rhythmes naïfs.

écrit-il  dans Une Saison en enfer (Délires, II Alchimie du Verbe).

Que tirais-je à la gourde de colocase ?
Quelque liqueur d'or, fade et qui fait suer.

On a souvent écrit que la "colocase" qui est une plante tropicale ne pouvait servir à la fabrication des gourdes, mais peu importe : ici, seule la musique du mot apporte de l'exotisme au poème, quelle que soit la forme du récipient.
L'allitération [ke] caracole le vers, l'empêchant de couler aisément en même temps qu'il exprime la rutilance de l'alcool : "quelque liqueur d'or" mais le déterminant "quelque", l'apposition "fade" et la relative "qui fait suer" relativisent la qualité de cette liqueur : mauvais alcool qu'il avale là, l'accroupi des bruyères.

Mauvais alcool, mauvais exemple :

Tel, j'eusse été mauvaise enseigne d'auberge.
Puis l'orage changea le ciel jusqu'au soir.
Ce furent des pays noirs, des lacs, des perches,
Des colonnades sous la nuit bleue, des gares.

Dans Une Saison en enfer, le vers remanié devient :Je faisais une louche enseigne d'auberge.
L'ironie est palpable qui exclut tout sens symbolique ici : pas d'or au sens de vérité formidable que le poète serait tout prêt d'atteindre mais un mauvais alcool que Rimbaud semble devoir boire en cachette, en mauvais fils.
L'indicateur temporel "puis" fait intervenir l'orage qui précipite la pastorale dans la bousculade, la tempête. Le paysage s'obscurcit et en devient étrange : pays noirs, lacs, gares, autant de lieux sans noms au contraire de la jeune Oise du début du poème, et ces "colonnades", où mènent-elles ? et ces "gares", quelles arrivées et quels départs ?
Est-ce le jeu des nuages noirs de l'orage qui inspire ces images au poète ?
Peut-être... Cependant que le son [a] et la rime jusqu'au soir/ pays noirs donne assez d'ampleur à la musique du texte pour évoquer le sombre orchestre qui gronde.

L'eau des bois se perdait sur des sables vierges,
Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares...
Or ! tel qu'un pêcheur d'or ou de coquillages,
Dire que je n'ai pas eu souci de boire !


La périphrase "l'eau des bois" désigne la pluie superposée à l'image des "tendres bois de noisetiers" de la première strophe ; elle "se perd" dans le sol, les "sables vierges" du paysage ; on peut penser aussi à la grêle puisque, rythmiquement binaire :

Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares...

Le poème avait débuté dans la tièdeur de l'après-midi et se termine dans le froid du soir.
Il se termine aussi par une comparaison :

Or ! tel qu'un pêcheur d'or ou de coquillages,

Dans sa contemplation, le poète s'est donc laissé entraîner par une "pêche", la pêche aux images qu'il compare à de "l'or" ou à des "coquillages", - ce qu'il y a de plus précieux ; ce qu'il y a de plus courant -, car les images sont partout où l'on prend la peine de regarder en même temps qu'elles sont fugaces, inutiles, dérisoires.
Mais le pouvoir des images et cette "alchimie du verbe" qui en rend compte sont tous deux assez puissants pour détourner le poète de cet autre "or, fade et qui fait suer", ce mauvais alcool des mauvais garçons :

Or ! tel qu'un pêcheur d'or ou de coquillages,
Dire que je n'ai pas eu souci de boire !

On pourra noter cependant que le dernier vers est faussement naïf, avec cette exclamation de petit triomphe et cet aveu inutile, - je n'ai pas bu - ; ce qui, à mon avis, est dit ici, c'est l'affirmation de la réalité comme étant influencée par l'imaginaire : parce que je manie les mots, parce que je peux rythmer des vers, décrire des tableaux et les noyer sous des orages étranges, parce que je peux bâtir un texte où le mot "or" désignera des choses différentes et rimera même avec lui-même désignant le connecteur logique et le précieux métal, - Or ! tel qu'un pêcheur d'or ou de coquillages, -, parce que j'ai écrit le 15 mai 1871 à Paul Demeny :

    Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.
    (...)
    Donc le poète est vraiment voleur de feu.
    Il est chargé de l'humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme ; si c'est de l'informe, il donne de l'informe. Trouver une langue ; - Du reste toute parole étant idée, le temps d'un langage universel viendra ! (...)
     Cette langue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant.

parce que je suis le poète Arthur Rimbaud, j'ai ce pouvoir d'évoquer des visions avec les mots et n'ai besoin pour cela ni d'alcool, ni de cet or que chacun cherche : l'ivresse et la fortune sont dans la langue.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 21 novembre 2005


Commentaires

La porter, ne l'oublions pas, était la bière de Maubeuge! Mais je me suis toujours demandé si la liqueur d'or pâle n'était pas de l'eau de vie de Dantzig dans laquelle nagent des paillettes d'or! L'or a des vertus thérapiques supposées et parmi elles, celle d'activer la transpiration... Un peu terre-à-terre, certes et probablement faux. N'empêche que j'aime bien l'eau de vie de Dantzig qui est fort agréable à regarder dans un verre: les paillettes d'or dansent, et on les avale... Il y a aussi une liqueur d'argent. Quand j'étais môme et que je n'en buvais pas, on trouvait ces boissons dans les épiceries fines de Paris...

Des amis polonais m'en ont fait boire il y a quelques années, après du kwass! Du rouge à l'or pâle... Il faut manger de l'or: c'est un oligo élément! MAis je ne croque pas dans un lingot tous les matins!!!!

Posté par orlando de rudde, 21 novembre 2005 à 18:23
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