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12 février 2009 4 12 /02 /février /2009 17:34

L'INSTANT TRAGIQUE

"Le tragique, c'est d'abord l'idée de l'immobilité introduite dans l'idée du temps, soit une détérioration de l'idée du temps : au lieu du temps mobile auquel nous sommes accoutumés, nous nous trouvons soudain dans le temps tragique, un temps immobile." (Clément Rosset, La philosophie tragique, Presses Universitaires de France, coll. Quadrige, p.8)

Introduire de "l'immobilité dans l'idée du temps", c'est reconnaître le lien entre ce qui est essentiellement constitué de mesures, la spatialisation du réel, et ce qui ne se contraint à la mesure que par la force des choses humaines.
C'est reconnaître qu'entre diachronie ("le temps mobile") et synchronie ("le temps immobile"), il y a un rapport d'événement, de surgissement du soudain dans la "mobilité" habituelle du temps, dans cette volatilité qui nous fait dire après coup, et après tout, en dépit des soucis, des longueurs et des mers à boire, que ça a passé vite, et même que ça passe de plus en plus vite, que ça file.
Le soudain est cette part de tragédie dans nos diachronies bien huilées. Que ce soudain soit heureux ou malheureux renvoie de toute façon à cette idée que le temps, soudain pure synchronie, - celle de l'instant fatal -, relève du tragique, du fait des dieux ou des hasards.

"(...) nous refusons toute interprétation de la chute, mais nous parlons de chute, parce que nous découvrons le surprenant par essence qui propose l'anéantissement de toutes les valeurs que nous avions, sans nous en rendre compte, établies prématurément." (Clément Rosset, ibid., p.20)

S'en remettre sans critique aux valeurs que la communauté des vivants prend pour principes, ou repères, c'est donc se maintenir dans la diachronie de la pré-maturation, - une sorte d'infantilité assumée -, dont seul le coup de grâce de la tragique providence pourrait nous débarrasser ; c'est surtout refuser d'admettre que le réel est un grand soudain qu'un coup de dé jamais n'abolira.

"Ce n'est qu'après coup que nous découvrons que ce n'était pas le temps, parce que l'idée de mécanisme intellectuel - intemporel - qui s'est déroulé pendant le temps, a pris, sans que nous nous en apercevions, la place du temps : le monstre tragique a dévoré le temps en en épousant les contours ! A ce moment l'horreur nous glace d'épouvante, surtout si nous prenons conscience de la mort du temps au moment même où le mécanisme tragique l'a dévoré et se déroule à sa place, - à la place qu'aurait occupée le temps." (Clément Rosset, ibid., p.12-13)

Le temps et son double. Un masque : celui du temps de la tragédie qui, - poétiquement, Clément Rosset en fait un monstre, une espèce de créature dissimulée et surgissante à la manière des divinités glauques de Lovecraft -,  "dévore" le temps illusoire du sans-événement, le temps reproducteur, le temps à la chaîne, générant du temps et des emplois du temps puisqu'il faut bien occuper le temps des hommes si on ne veut pas que, soudain, ils s'aperçoivent que le temps n'existe pas.
C'est ainsi que la servitude volontaire apparaît comme rassurante, civique même, tandis que la lutte contre la vocation tragique du temps des hommes semble pure utopie, déraison, irresponsabilité.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 février 2009

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