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21 février 2009 6 21 /02 /février /2009 00:08

D'après Printemps urbain de Pablo Neruda (in Mémorial de l'île noire, traduit par Claude Couffon, Poésie/Gallimard, p.144-145).

                                   Bref, tout ce qui arrivant à chacun
                                   s'en va et reste inexorablement
                                                Pablo Neruda

Il était bien ennuyé aussi contemplait-il le pavé,
Le pavé aussi usé qu'un fond de pantalon
Quand il s'ennuyait à l'école des garçons,
Le pavé aussi morne qu'un poème trop long
- Vous en avez ici la leçon ! -
Aussi usé, chiffonné, martelé, estompé, raboté
Jusqu'à n'être plus qu'une pétanque de creux et de bosses
Sur lesquels la demoiselle mélancolie d'automne,
La demoiselle dont on fait des chansons
Et sur qui plaisantent salement les gosses,
La demoiselle pluvieuse pleurait comme une madeleine
Qui aurait perdu sa tasse de thé.
Bref, c'est en ville, il y a des pavés et de la pluie.

Après quoi l'histrion soleil débarqua
Matamore mouché de mille mouches
Sur le sol où erraient les orangers fatigués.
En dehors des orangers, on pouvait voir passer aussi quelques exilés politiques, des guitaristes aux mains tranchées et le fantôme de la liberté avec son orchestre de
jazz, tout un tas de macchabées tout en os
jouant du blues d'un air féroce...
Comme tous les chevaux avaient fui,
Les cavaliers étaient bien embêtés,
Leurs femmes aussi,
Et on pouvait se demander s'il n'y avait pas eu une révolution,
Un coup d'état ou le démantélement d'une organisation secrète...

Finalement les coups de pinceau des citrons
Et les traits des mandarines, des clémentines, des sanguines
Achevèrent le tableau où se démenait la fable d'un écureuil.
On murmurait dans la futaie, c'était entendu,
Quelque opéra du printemps
Au milieu des fleurs d'oranger
Des fiancés naïfs comme des électeurs
Et des demoiselles de la grande vertu d'être complétement nues...

Hector, lui, se demandait s'il était d'ici, de ces murs froids
Où la fumée mimait des bêtes bizarres.
Il se demandait aussi si son âme appartenait à la bière,
Au chili con carne et au film du dimanche soir.
Telle est la question qu'on se pose quand on sort
De soi, quand on y entre, ou quand on perd de vue son lit jusqu'au lendemain,
Comme le disait si bien René Char.
C'était aussi la question que lui posaient les cloisons,
Le papier peint, les chats, les coussins et les miroirs
Si souvent interrogés qu'ils ne se donnaient plus la peine de réfléchir
Autrement que par habitude.
D'ailleurs, ils ne répondaient plus qu'en anglais désabusé
Aux amis d'Hector qui s'inquiétaient de sa santé.

Parfois, Hector se confondait avec le décor,
Et ses amis, alors, usaient sans vergogne de son nez, de ses souliers,
De ses vêtements neufs, de sa viande de boeuf,
De ses mains de pianiste et du noir de ses yeux,
De son coeur ouvert comme une ville
Où s'étaient entassés les vignes et les digues,
Les amours et les retours, les trains de nuit et les aubes là-bas, tout au bout des étés
passés, derrière les rangées de pins parasols et les draps et les terrasses,
Le sable des châteaux et le sphinx de soi-même,
Bref, tout ce que nous sommes
Et tout ce que nous ne sommes plus...
Là-dessus, le téléphone se mit à sonner
Et il se fit engueuler...

                         Patrice Houzeau
                         Hondeghem, le 2 janvier 2005



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