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2 mars 2009 1 02 /03 /mars /2009 11:32

NOTES SUR ANDROMAQUE DE RACINE ACTE II, SCENE 3
MONOLOGUE D'ORESTE

L'acte II d'Andromaque est constitué de 5 scènes. C'est donc au milieu de l'acte, à la scène 3, que se situe le premier monologue de la pièce.
Il est assez court (14 vers, du vers 591 au vers 604) et donne la parole à Oreste.
L'exercice du monologue est l'illustration exemplaire de ce qui fait l'intérêt du théâtre : nous, spectateurs dans la nuit de la salle, dans l'anonymat du public, écoutons et nous laissons fasciner par une voix venue d'un monde qui n'existe pas mais que le génie des dramaturges nous rend aussi nécessaire que le désir.

ORESTE,seul
Oui, oui, vous me suivrez, n'en doutez nullement :
Je vous réponds déjà de son consentement.

Dans le secret du seul, Oreste s'adresse encore à Hermione et se persuade ainsi de sa victoire. Pour lui, aucun doute, Pyrrhus laissera partir cette femme qui l'encombre puisque :

Je ne crains pas enfin que Pyrrhus la retienne :
Il n'a devant les yeux que sa chère Troyenne ;
Tout autre objet le blesse ; et peut-être aujourd'hui
Il n'attend qu'un prétexte à l'éloigner de lui.

Ce que Oreste décrit ici, c'est la fascination de Pyrrhus pour Andromaque (cf "Il n'a devant les yeux que sa chère Troyenne") qu'il comprend d'autant mieux que lui-même est fasciné par Hermione.
Comptant donc sur cette fascination, Oreste ne doute pas.

Nous n'avons qu'à parler : c'en est fait. Quelle joie
D'enlever à l'Epire une si belle proie !

Le mot "proie", placé d'ailleurs au centre du monologue (cf la rime signifiante des vers 7 et 8 : "joie" / "proie"), résonne étrangement à nos oreilles modernes  ; en français classique, le mot désignait ce que plusieurs se disputaient et ainsi déchiraient. Nous trouvons ainsi dans le Dictionnaire du français classique (Jean Dubois, René Lagane, Alain Lerond, Larousse, 1971) la citation suivante : "Tout ce que la religion a de plus saint a été en proie" (Bossuet, Office funèbre Anne de Gonzague) c'est à dire "a été déchiré", notons qu'un complément au nom n'était  pas alors obligatoire.
Hermione est donc une "proie" puisqu'elle hésite entre deux hommes, celui du devoir (Pyrrhus) et celui de la liberté retrouvée (Oreste).
Hermione est aussi, comme la plupart des personnages tragiques, la "proie" d'elle-même, se cherchant dans le regard des autres, mais comment faire quand on est soi-même un regard fascinant, un pur apparaître dans les yeux de l'autre ?
Délaissée par Pyrrhus, fascinant Oreste, elle hésite pourtant puisque ces deux images d'elle-même ne sont que les deux faces d'un même miroir : femme dénotée et donc sans attrait pour Pyrrhus, femme surconnotée et donc adorée comme une princesse de légende par Oreste, elle ne peut donc qu'hésiter sur la position à prendre.

Oreste, lui, ne semble pas douter, et s'adressant au royaume d'Epire comme s'il s'adressait à Pyrrhus :

Sauve tout ce qui reste et de Troie et d'Hector,
Garde son fils, sa veuve, et mille autres encor,
Epire : c'est assez qu'Hermione rendue
Perde à jamais tes bords et ton prince de vue.

Où l'on voit que l'Oreste quasi-suicidaire de la scène précédente, celle des retrouvailles avec Hermione, se fait ici presque matamore, donnant des ordres à Pyrrhus, incarnation du royaume d'Epire, semblant se moquer du destin d'Andromaque, d'Astyanax, "et de mille autres encor (et pire)" (cf vers 600) et, partant, du destin de la Grèce qui plongera à nouveau dans une guerre fratricide.
D'ailleurs, il ne se sent plus de joie à l'arrivée de Pyrrhus :

Mais un heureux destin le conduit en ces lieux.
Parlons. A tant d'attraits, Amour, ferme ses yeux !

Cette dernière injonction est étonnante ; Oreste sait que Pyrrhus ne s'intéresse plus à Hermione. Néanmoins, il prie le dieu Amour d'éviter, - on ne sait jamais -, que le pouvoir du regard d'Hermione puisse influencer, fasciner à nouveau son rival.

Patrice Houzeau
Hondeghem contre l'A24
le 19 février 2006

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