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4 octobre 2009 7 04 /10 /octobre /2009 07:18

DECHEANCE ET HUMANITE DE LA MARIONNETTE
Notes sur l’arrivée de Topujo dans Le Traité des Traités de Orlando de Rudder   

« Un petit bonhomme rond qu’on nommera Topujo filait, descendant la colline. Vêtu d’une robe, à la façon des moines. Enfin, des moines… il ne faut rien exagérer : s’il portait une robe, ce qui est certain, elle ne s’en colorait pas moins de jaune et de vert. Curieuses teintes, pour une bure. » (Orlando de Rudder, Le Traité des Traités, Jean-Claude Lattès, 1995, p.10)

Notre « moine » semble donc quelque perroquet, ou arlequin, ou bateleur. On dirait bien quelque comédien du Septième sceau, la magnifique fantaisie d’Ingmar Bergman. Du reste, son apparition tient de la marionnette que l’on fait glisser le long d’un décor : « Il semblait glisser sur son chemin. De-ci, de-là, sur une haie sans feuilles étincelaient des arniétoiles. Oui, des toiles d’araignées aux fils givrés, portant des gouttelettes figées, semblables à des diamants. L’homme progressait toujours avec une souplesse de loutre. » (Le Traité des Traités, p.10).
On appréciera, je pense, l’art de la vivante narration que déploie ici Orlando de Rudder. Un vrai début de conte que ce commencement-là, avec ses phrases courtes, ses précisions imagées, ses fugaces interventions d’auteur. De la syllabe pour les oreilles que ces arniétoiles qui jettent comme une pincée d’enchantement, quelques notes claires.
Du reste, ne semble-t-il pas marcher sur les eaux, magique fantoche ? : « Les vallées et les monts sont comme des vagues figées. Topujo ressentait des courants, des mouvements parmi ces plis de la terre. Il y naviguait avec un instinct de marin. » (ibid., p.10)
C’est un grotesque cependant ! Une figure à fils pour féerie de Manuel de Falla ! Et le voilà qui chute dans la neige : « Topujo culbuta nu-pieds et chut, tête en proue. Enfoncé jusqu’aux épaules dans la blancheur frisquette, il agita ses jambes. Son froc, répandu en corolle, retombait autour de sa taille épaisse. Un bonhomme la tête en bas dans un océan livide, c’est le monde à l’envers. » (ibid., p.10).
Voilà donc la silhouette merveilleuse rendue à l’état de vivant encombré de sa bipède mécanique. Il en devient presque rabelaisien : « Relevé, la trogne bleuie grimaçante de dépit, il chaussa sa sandale. Il hurla des injures espagnoles à l’adresse d’une corneille, moqueuse, d’après lui, qui venait de croasser. Puis il reprit sa marche, déplaçant lourdement ses deux gros pieds rougeauds. » (ibid., p.10-11)
C’est qu’il ne «file » ni ne « glisse » ni ne « roule » et « navigue » maintenant, mais progresse « lourdement » sur « ses deux gros pieds rougeauds. »
Après tout, ce n’est qu’un homme. Et c’est bien là le sujet des romans de Orlando de Rudder : l’humain, fragile, dérisoire, précieux, comme du temps perdu et que l’on regrette infiniment.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 8 novembre 2007

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