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6 octobre 2009 2 06 /10 /octobre /2009 04:51

DU MAL DE L'ÊTRE
Notes sur Poursuite d'Ulysse de André Doms (Maison de la Poésie Nord/Pas-de-Calais, Maison de la Poésie d'Amay, 1999).

p.13

Le poète manie l'ellipse:

    "Comme si lors de ton départ
      l'heure s'était bloquée"

Ellipse du présentatif
"C'est".
A l'octosyllabe "comme si lors de ton départ" succède un hexamètre qui semble en effet "stopper, bloquer" le vers.
Arrêt brusque. Croyance. On raconte, que, lorsque quelqu'un meurt dans une famille, il arrive que, dans une ou l'autre des maisons concernées, si ce n'est celle du défunt, une horloge, ou une pendule, s'arrête.
Comme si le temps avait été compté.
C'est que, sans doute, le temps aussi a ce pouvoir de nous mettre aux arrêts.
Il ne s'agit pas seulement ici d'un objet, mais de la perception que nous avons de notre temps.
Nous savons que, lorsque nous avons un problème à régler, - et la vie toute entière est une succession de problèmes à régler -, nous pouvons mesurer l'importance de ce problème à la façon dont s'écoule le temps qui nous sépare de la nécessaire solution.
Plus notre désir est grand et plus long le temps, plus lent le temps.
C'est, ce "mal de l'être" qui nous définit, dans l'inéluctable temporalité que nous l'éprouvons.
Certains tombent dans le sommeil pour ne plus l'éprouver, cette longueur de temps.
D'autres, au contraire, ne peuvent guère fermer l'oeil et s'installent dans une inconfortable patience, une peu tranquille attente, une étrange solitude.
D'autres tentent la tricherie puisque l'alcool, ça fait passer le temps.
Mais il est vrai que ce passage du temps est une épreuve physique. Une lutte avec l'ange irrémédiable.

    "Et te savoir le temps de mes veines
      l'espace à mes joues
      l'indémontrable       l'indéniable
      contrepoint de neige et de boue
      sur tous nos lieux de plaine"

Ces vers me semblent d'une grande justesse.
Présence fantôme. L'être absent occupe et le temps et l'espace.
C'est ainsi que patiente le narrateur.
La dépossession (le sentiment de perte) ressemble à une possession (la douleur fantôme) "indémontrable" et pourtant "indéniable", aussi indémontrable et indéniable que la "neige" et la "boue" qui semblent ici inscrire le poème dans la temporalité d'une saison.

Quant à l'espace ?
Ce n'est pas la peine de chercher à fuir.
L'espace est hanté.
Les "lieux" ne sont pas prison pourtant, il s'agit de "plaines".
C'est que les villes parfois semblent refermer sur nous leurs ailes de poussière ; nous croyons y étouffer alors même, qu'incapables de rester chez soi, nous éprouvons l'impérieuse nécessité de sortir, de marcher, d'arpenter les rues, pour tenter d'apaiser ce "mal de l'être" qui, littéralement, nous prend à la gorge, nous bat le coeur.
Pour ma petite part, je le sais que bien des personnes la connaissent, cette impression de "lieu hanté."
Après, c'est une question de caractère peut-être ?
C'est-à-dire, en fin de compte, une question de rapport au temps et à l'espace.
Une question de rapport au rythme de l'être même, à ce "contrepoint de neige et de boue" où nous nous situons.

Il semble, en tout état de cause, que le rapport à l'autre, cet être absent, symptomatique de ce "mal de l'être" que révèle la langue, que ce rapport ne change pas s'il était auparavant authentique. C'est ce que l'on appelle, je pense, "fidélité".
Personnellement, je doute d'ailleurs que les brutes, les assassins et les imbéciles puissent connaître ce genre d'épreuve, ce genre de mal, puisque, pour eux, l'autre n'est jamais qu'un outil (de plaisir, de travail, d'intégration sociale,...).
Quand son outil ne marche plus, on le remplace. Et voilà tout.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 10 juillet 2007 

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