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18 décembre 2012 2 18 /12 /décembre /2012 21:27

FAIRE SIGNE
Notes de lecture sur la quatrième partie du recueil Là où leur chair s'est usée, de Jean le Boël, Les Ecrits du Nord / Editions Henry, 2012.

 

1.
Le premier substantif employé dans la partie IV est le mot "émotion" ; il est suivi de l'épithète "étrangère". L'émotion romantique est essentiellement tournée vers le moi. C'est la modernité qui a fait de l'émotion de l'autre un sujet d'investissement, voire d'investigation, poétique.

 

2.
Un vers comme "tout te traverse" (p.64), je ne peux pas faire autrement que de l'appliquer à l'une de mes thématiques favorites, celles des fantômes.

 

3.
Cet autre vers, page 65 : "ce qui te poursuit n'a de cesse". Sans le pronom complément, cela donne l'aphorisme suivant: Ce qui poursuit n'a de cesse. La poésie est aussi une école de l'aphorisme.

 

4.
Soudain le mot "sang" jette sa tache. C'est ainsi que, page 66, m'est rappelée cette idée que nous sommes outres pleines de sang, qu'elle videra la terre, un jour ou l'autre. Idée qui est aussitôt associée à cette image d'une amie d'autrefois, d'il y a bien longtemps même, à laquelle je ne peux penser que blessée, saignante. Le souvenir que j'ai de cette fille n'a pourtant rien de sanglant. Je m'entendais bien avec elle. Elle était simple, souriante, sage et attirait la sympathie. Nos études nous séparèrent (en plus de mon caractère ombrageux comme arbre qui court, et de son petit copain). Je me demande à quel circuit de neurones bricolé par un démon iconique je dois cette image de la belle en sang.

 

5.
La page 67 interroge notre conception du destin. La page 68 mêle aux "ténèbres" l'arbre des fantasmagories. Exactement le genre de texte qui pôurrait légender un dessin de Comés, un noir et blanc hanté tiré de Silence.

 

6.
La page 69 compare le désordre des "ornières" à l'ordre des "jardins". C'est à l'expression que l'on reconnaît le poète. Je jalouse cet "ordinaire effroi des heures" que je découvre page 70. De même pour cette nuit mangeuse d'êtres qui pointe son museau à la page 71.

 

7.
Des fois, le poète, voyez comme il touche juste. Ainsi, page 72, éclate cette vérité que l'ombre est la condition de la chair. J'emploie ici le mot condition dans un double sens : ce qui conditionne l'existence quotidienne, et aussi ce qui la permet. Nous sommes ceux de la caverne. Certes, le théâtre de nos ombres est d'une élégance fabuleuse, il exprime en alexandrins des sentiments d'une exquise profondeur, mais ce ne sont que des ombres. Ce sont pourtant ces ombres qui nous font.

 

8.
Page 73, l'auteur réaffirme son attachement au réel. C'est un arbre, cet homme-là, un enraciné dans la terre des humains.

 

9.
Page 74, il nous est rappelé que si nous fûmes tout feu tout flamme, nous sommes aussi cette cendre où les braises des fascinants continuent de couver leur phénix.

 

10.
Le dernier poème de cette suite n°4 évoque de nouveau ce "souffle" qui prouve que nous ne sommes pas encore fantômes. Dans les réseaux lexicaux qui caractérisent la poésie de Jean Le Boël, le "souffle" souvent ouvre le chemin. L'un des meilleurs textes que je connaisse de Le Boël ("Enfants de mon âge...") commence par ces mots merveilleux et tout simples : "Sur les chemins ouverts". Ces chemins, c'étaient ceux qui s'ouvraient aux "enfants de son âge", et ce sont ceux aussi qu'ouvre le souffle poétique.

 

11.
Une remarque en passant : il est curieux de constater qu'une poésie si ancrée dans le réalisme poétique que celle de Jean Le Boël soit ici accompagnée des vignettes abstraites d'Isabelle Clément. C'est qu'au-delà du réel, au-delà de la litanie de ces mots, que tant de souffles déjà ont animés, ce qui importe, c'est le signe. Je ne sais pas si le poète fait sens (cette expression de "faire sens", je la comprends, - elle fait sens pour moi -, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'elle cuistre un peu), je ne sais pas donc si le poète fait sens, en tout cas, il fait signe.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 18 décembre 2012

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