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5 août 2012 7 05 /08 /août /2012 17:24

LILI FANTÔME
(cf D'un château l'autre, de Céline, folio n° 776, pp 164 à 175 ; les citations sont en italiques)

"sapristis sapeurs cachottiers !..." Ce style de fantaisie langagière, du Céline pur jus de langue, à dire choses cachées, enfouies planquées ; ô richesses du monde sous la peau des pierres, sous l'écaille du cauchemar ! les fabuleux trésors qu'on peut ni voir ni savoir, hyperocculte des qui échappent au regard, ceux qu'on peut même pas imaginer & structurent le réel autrement qu'on croit, qu'c'est sous une langue pareille, singulière, fantasque et fééerique à la façon des gothiques. Noir donc ce fééerique, tout à fait toxique & venimeux, langue de dragon, de corbeau, le malin piaf, le farceur funèbre, car c'est qu'il est farceur, savez-vous, le corbeau... Paraît qu'c'est le seul cas de bestiole dont on dit qu'il ferait des farces, pas des gentilles en plus qu'on dit, avec un humour de corbeau quoi !... En ça, il vaut le bipède réflexif... corbeau vaut l'homme... vu que l'homme, itou qu'il se joue tours et détours, et macabres farces, fatales même, cruelles, reptiliennes, sadiques même, que pas toujours qu'il en a l'air, l'homme & on lui donnerait le bon dieu sans qu'il se confesse, tellement il a l'air gentil, franc, honnête, sincère, serviable, aimable... Pourtant, regardez et vous verrez... & tout ça nous amène au labyrinthique oùsqu'il amène sa drôle de prose, Céline ; il y est maintenant dans la souvenance du dédale Hohenzollern, le château qu'il dit qu'il connaissait très bien ce château dans tous les coins, mais rien à côté de Lili... Lili, c'est son épouse... la danseuse, car y paraît qu'il n'aimait que les danseuses, Céline ; c'est sa légende érotique, que la souplesse des corps, et donc les longues jambes aussi, je suppose, n'aimait que ça, le souple & le flexible & le vivace que c'était rapport à son boulot de médecin peut-être... Lili donc, il précise bien que comme chez elle qu'elle était, qu'elle y était toute à son aise, la danseuse, aise étant très relatif ; je veux dire qu'elle s'y retrouvait, Lili, comme chez elle, fut pas paumée donc dans le labyrinthe ; tous les bizarres secrets tapisseries truquées, par exemple, à personnages livrant passage, elle maîtrisait Lili, dit Céline & qu'on se croirait dans Les Barbouzes, ce petit bijou d'ironie avec Blier, Blanche, Ventura - vous voyez quoi ? - & les répliques de Michel Audiard, Albert Simonin... du pur marrant que c'était ; pas marrant ce truc là du Hohenzollern-Château : les collabos y furent logés là par les Nazis, puisque c'était kaputt pour le Reich, même qu'ça sentait fort le roussi pour la clique à Laval, et Céline à son habitude vous met tout ça en féérique prose rythmique, que moi, toutes ces variations, formules, tout ce swing baroque, fioritures d'argot, que jacté par cézigue Céline seulement il a l'air d'être, me fait penser, cette zique unique au jazz, & même à Jimi Hendrix, le gusse étonnant qui vous remua dans tous les sens l'art de les faire strider, les six cordes de sa guitare électrique, les variations époustouflantes, mirobolantes, tourneboulantes qu'il en tirait, Hendrix, de sa gratte hurlurante, c'était prodige, tout à fait prodige, vertige & gouffre... A sa manière, Céline idem fit-il, vertige & gouffre pareil, escaliers à vrille, comme s'il avait voulu, Céline, se rattraper du Destin, de l'accumulation des erreurs, la rédemption par le style, genre j'ai fait le con grave, mais je vais vous faire du beau, du magnifique, que vous croirez pas vos mirettes... C'est qu'il s'est paumé un max, le Céline, s'est fasciné de sa haine... moi-même d'une porte l'autre je me paumais... je me fascinais sur les portraits, les tronches de la sacrée famille... Lui-même le dit, d'un machin l'autre que voilà qu'il se goure, & non seulement se goure, mais en outre se fascine ; c'est la tronche qu'il fait, le réel, ce concentré du passé, du présent, et de ce qui arrive qui le fascine, lui fait tout drôle dans la cogitation, & l'ailleurs dans l'autre... car remarquez comme il va souvent d'une chose l'autre & porte l'autre & couloir l'autre & château l'autre, c'est là qu'i s'paume, Ferdinand, dans le moment bref & crucial où il doit choisir entre autres cet autre où il va s'engouffrer ; après, i s'récupère à la lettre par l'écriture ; i revient sur ses pas par la souvenance ; i renie pas et fééerise... lui-même sur le i se met le point... c'est ce point qu'il va chercher dans le labyrinthe, dont il est à la fois l'architecte & le chroniqueur... ce point de fuite qui sinue et zigzague et traviole, particule aléatoire... La tête est une espèce d'usine qui marche pas très bien comme on veut...pensez! deux mille milliards de neurones absolument en plein mystère qu'il dit & sûr ! mystère, c'est bien le mot-clé ici pour pénétrer dans ce Château-Mystère plein de choses entre les points de suspension: beffroi du tout en l'air colimaçons pierres échelles bois salle d'armes armoires triple-fond... ça s'souvient chemin de traverse, avec un chat et son monde à eux, car les chats, itou les enfants et les dames, dit Céline, ont un monde à eux, comme Lili au Château tourneboulant, comme chez elle & jamais perdue, Lili que ça l'fait songer, l'écrivain : Je pensais, c'est vrai, à la façon qu'elle était là-bas comme chez elle... comme chez elle... Lili fantôme.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 août 2012

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