TROIS DOSES
1.
"Je m'accoude à la table, la lampe éclaire très vivement ces journaux que je suis idiot de relire, ces livres sans intérêt."
(Rimbaud, Enfance, V)
Des fois qu'on s'accoude à la table
Qu'on a l'esprit ennuyé saumâtre
Sous l'électrique très vivement jaune
Que ça vous en blesse la mirette à moral
On tombe l'oeil sur un canard
Des heurs et malheurs des gens du pays
Ou sur un magazine avec des filles dedans
Et de beaux habits qu'elle peut pas s'acheter
On se dit que ça traîne bien des choses
Dans la cuisine qu'on devrait préparer le frichti
Que tout ça est idiot et nous avec
Qu'il faudrait changer la litière du
Mais on se sent du mou dans le félin
On dormirait bien sur le canapé
Bercé par Barnaby ou un chanteur à textes
Et on contemple tous ces livres tous ces livres
Tous ces livres qu'on a achetés
Qu'on n'a pas lus et qu'on lira pas
Et qu'on n'a même pas écrits.
2.
"Au bois, il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir."
(Rimbaud, Enfance, III)
Au bois, allons-y allons-y donc
Mais moi tout seul au bois
Au bois j'y vas-t-y j'y vas-t-y pas ?
Au bois, il y a un oiseau
Et moi je trouve ça normal
Qu'au bois il y ait un oiseau
Au bois si c'était une girafe en flammes
Ah moi je me demanderais
Au bois s'il faut y aller si faut point
Au bois n'allons pas non n'allons pas
Car moi je sais que le bois brûle
Le bois il flambe d'une girafe en flammes
Au bois je le sais je le sais bien
Qu'au bois il n'y a plus rien
De bois a plus d'oiseau a plus d'girafe a plus
Au bois j'y ai mis le feu oui
C'est moi qu'a tout cramé
Au bois n'avait qu'à pas m'chanter
Au bois n'avait qu'à pas m'chanter
Qu'au bois est la belle qui fait rougir
La belle qui fait rougir d'incendie.
3.
"C'est elle, la petite morte, derrière les rosiers. - La jeune maman trépassée descend le perron. - La calèche du cousin crie sur le sable. - Le petit frère (il est aux Indes !) là, devant le couchant, sur le pré d'oeillets. - Les vieux qu'on a enterrés tout droits dans le rempart aux giroflées."
(Rimbaud, Enfance, II)
Qui a fait revenir la petite morte
Que je vois derrière les rosiers
Le guéridon est plein de mains
Le guéridon est plein de mains tranchées
Et pourquoi la jeune maman trépassée
Descend-elle le perron
Et dans la chambre et dans la chambre
Il y a un miroir brisé
Qui a invité le cousin
Sa calèche déjà crie sur le sable
Dans le thé dans le thé qu'a-t-on versé
Et pourquoi cette girafe flambe-t-elle
Ô je ne veux pas de petit frère
Il est aux Indes ! qu'il y reste
On dit que dans la malle sanglante
Il n'y a personne et quelqu'un pourtant
En tout cas ne réveillez pas les vieux
Qui dorment tout droits dans le rempart aux giroflées
Le guéridon est plein de voix coupées
J'ai ma dose j'ai ma dose d'hanté pour aujourd'hui.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 novembre 2013
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