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11 mai 2013 6 11 /05 /mai /2013 15:48

VERS UNE POESIE LISIBLE

 

Entendu dire récemment par un éditeur songeur, que certains souhaitaient que les poètes, désormais, composassent de la poésie plus accessible, moins expérimentale, moins hermétique, et qu'en conséquence, les éditeurs de poésie (gens admirables) ne publiassent que du lyrique contenu par une juste pudeur (on écrit des sottises sentimentales, mais avec sobriété, on a sa dignité), avec dedans de l'humain, du paysage (avec vaches et arbres centenaires, témoins des travaux et des jours de nos anciens, dont traîne, au détour d'un vers, quelque chapeau déformé par les cruelles mains du temps, lequel passe, lasse, casse, agace car certes, vous fûtes chipie à couettes, mais vous voilà femme maintenant, et fichtre boudjî nom d'une pipe quel morceau ! - excusez-moi, je m'égare) donc de la poésie avec terroir, de l'urbain humaniste, du citoyen, de la poésie normale quoi, de celle qu'on pourra faire apprendre à des tas de mômes sans craindre la malice hermétique, laquelle, des fois, sous ses airs de Cassandre parle, vous flanque de ces jeux de mots d'un genre à l'manach Vermot que l'on s'en aperçoit toujours trop tard (ah quels comiques, ces hermétiques !). Ils espèrent, ces amis de la poésie pour tous, que le public viendra plus facilement à une littérature plus simple, plus lisible, plus décorative.
Je ne doute pas qu'en effet, si Picasso, au lieu de peindre des grands yeux tout décalés dans des visages qu'on dirait des masques mortuaires, de ces visages de terre cuite qu'on mettait dans les tombes, ou même qu'on dirait les divinités d'un monde parallèle, si Picasso, dis-je, avait peint de paisibles vaches observant d'un oeil plus aigu qu'on ne le croit (d'ailleurs, on dirait qu'elles vont parler) le promeneur solitaire et plein de profondes pensées, arpentant la terre de nos ancêtres (ceux qui se lançaient des noix de coco en poussant des cris aigus), et cheminant dans le chemin comme s'il avait quelque chose à y faire, cependant qu'au loin et le respect de la perspective, un ancien, le chapeau déformé par les mains cruelles du temps (qu'on ne voit pas, mais qu'on devine ; d'ailleurs, on dirait qu'elles vont parler), croque une pomme rouge de chez nous, ridée comme une vieille, parce que, s'il poursuivait une fille de ferme, ce serait répréhensible, et s'il buvait au goulot un litre de blanc, ce serait pas un exemple pour les enfants des écoles, voyons, gageons donc que si Picasso, au lieu de peindre Guernica - quelle horreur, tous ces corps torturés comme si on les massacrait ! - avait peint quelque scène d'un jour de foire agricole de nos provinces, avec les yeux en face de leurs trous, aux vaches, et chapeaux déformés par les mains cruelles du temps, il aurait été beaucoup plus lisible, plus exemplaire, plus moral, et même, osons le dire, plus normal.
Donc, sus à Char, haro sur le Michaux, boutons Breton, ardons Artaud, gardons un peu d'Eluard (des fois, on comprend ce qu'il dit), un peu plus d'Aragon (le parolier de Jean Ferrat), les chansons de Prévert, celles de Guy Béart (là, c'est épatant, on comprend tout) et écrivons des poèmes lisibles, des poèmes d'amour, d'amitié et du temps qui passe, des poèmes barbeliviens. Et c'est sûr, ça plaira tellement, qu'on va s'en mettre plein les fouilles, tellement qu'on en vendra, du lisible.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 mai 2013

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