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25 mars 2012 7 25 /03 /mars /2012 09:43

APRES TOUT JE ME VAUX BIEN

1.
"... les autres qui vivent sans le chercher ni l'avoir trouvé." (Pascal, Pensées, Brunschicg 257)
Passer sa vie sans chercher ni trouver ce que beaucoup cherchent et ne trouvent que médiocrement indique une liberté d'esprit certaine aussi bien qu'une grande inconscience.

2.
"... des marques divines en moi..."
(Pascal, Pensées, Brunschicg 430)
Certains pensent-ils que Dieu leur a tatoué l'âme, marqué l'envers de leur peau, placé son signe entre les os ?

3.
"Sede a dextris meis, [assieds-toi à ma droite] cela est faux littéralement ; donc cela est vrai spirituellement."
(Pascal, Pensées, Brunschicg 687)
Nos esprits sont nourris d'erreurs aussi bien que de vérités. Du reste, pour les ambigus grotesques qui agitent nos inconscients, vérités et erreurs sont interchangeables. Caboche vaudeville qu'on est.

4.
Un amoureux désargenté, quel embarras ! Un riche impuissant, quel gâchis !

5.
Je ne veux pas mourir ni pour une poignée de syllabes, ni pour une poignée d'organes. C'est trop con. Après tout, je me vaux bien.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 25 mars 2012

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25 mars 2012 7 25 /03 /mars /2012 08:03

UNUS QUISQUE SIBI DEUM FINGIT

"Unus quisque sibi Deum fingit.
Le dégoût."
(Pascal, Pensées, édition Brunschicg 258)

1.
Note de bas de page: "Chacun se fabrique un Dieu".

2.
A chacun son dieu, comme à chacun son dû peut-être. Les humains, on dirait bien qu'ils ont besoin de leur dieu quotidien comme d'un ordre du jour, comme d'une liste des priorités. L'individu se forge sa propre transcendance. Le réel grouille de transcendances contradictoires, singulières, spécifiques, spécialisées. Nous spécialisons nos dieux. Reste de polythéisme ? Le Dieu des politiques est-il le même que le Dieu des sans domicile fixe ?

3.
L'humain, une fabrique du divin. Une forge de foudres. Une orfévrerie de cas de conscience. Du méticuleux dans l'éthique, l'humain. Du foudroyant aussi. Du barbare païen.

4.
Projection de nos affects, de nos peurs. Justification de nos malheurs. Tête de turc métaphysique. Bouc émissaire de nos horreurs. Nous nous moquons de Dieu pour ne pas voir le réel en face. Le diable humain à l'oeuvre. Qui peut croire ce monde marqué par la grâce ?

5.
Dégoût donc des idoles qu'on bricole pour se donner du sens. Dégoût des accommodements avec le divin. Dégoût de la combine métaphysique. De l'escroquerie du céleste utilitaire. Dégoût du Dieu qu'on se met dans la poche, du Dieu vademecum. Dégoût du Dieu du poseur de bombes, du massacreur, de l'assassin, des croisades. Réussite des malins : substituer à l'angoisse liée à la rareté naturelle l'idôlatrie d'un dieu vengeur. Remplacer la lucidité de l'analyse par la foi aveugle.

6.
Intelligence de Pascal qui n'en dit pas plus. Le mot "dégoût", un crachat.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 25 mars 2012

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24 mars 2012 6 24 /03 /mars /2012 18:22

L'HOMME PASSE INFINIMENT L'HOMME

1.
"... apprenez que l'homme passe infiniment l'homme" (Pascal, Pensées, Edition Brunschicg 434)

Apprendre. Employer le verbe pour saisir le réel. Comprendre ce qui ne va pas de soi. "L'homme passe infiniment l'homme". Infiniment un avenir, l'homme. L'humanité est le but de l'humanité. Elle est sa propre transcendance. La nature n'a pas de but. Pascal, dans cette même page : "taisez-vous, nature imbécile".

2.
L'humain va vers l'outre, toujours. Outre pleine de vin, de Dieu, ou de mélancolie, il se dépasse, l'humain ; il se déquilibre et danse au-dessus du vide avec une virtuosité dont les singes ne le croient pas capable.

3.
"... et si l'homme n'avait jamais été que corrompu, il n'aurait aucune idée ni de la vérité ni de la béatitude." (Pascal, Pensées, Edition Brunschicg 434)
Pas que cette boue l'humain. Pas que le pain et les jeux, ni pure complaisance, ni obéissance aveugle. Le tyran qui a quelque raison le sait bien, qui fait attention à ne jamais laisser l'amour de la vérité l'emporter sur la raison d'Etat. En bonne philosophie du droit, il ne peut y avoir de loi réellement démocratique qui ne puisse être d'une manière ou d'une autre sujette à jurisprudence.

4.
J'admire ces professeurs de philosophie qui enseignent la nécessité du sacrifice de sa vie, non seulement pour autrui (la belle affaire !) mais aussi pour une idée, et qui, très philosophiquement, baissent la tête devant leur inspecteur d'académie.

5.
Dire que l'humain n'est pas absolument négatif, ça ne fait pas assez philosophique. Il faut dire que l'humain n'est pas une pure négativité, ou encore qu'il n'est pas une négativité absolue, et d'ailleurs qu'il ne peut y avoir de négativité sans positivité, puisque la médiocrité se situe justement au point où s'annulent positif et négatif, de telle sorte que l'on finit par penser que les gens ne sont ni bons, ni mauvais, mais qu'ils sont simplement ignorants et maladroits. Quant à moi, mon ignorance et ma maladresse me pèsent singulièrement, surtout quand on me fait l'honneur de me présenter une belle personne, ce qui, à vrai dire, est de plus en plus rare.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 24 mars 2012

   
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24 mars 2012 6 24 /03 /mars /2012 10:41

CROIRE SANS RAISONNER

"Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonner. Dieu leur donne l'amour de soi et la haine d'eux-mêmes. Il incline leur coeur à croire. On ne croira jamais d'une créance utile et de foi, si Dieu n'incline le coeur ; et on croira dès qu'il l'inclinera. Et c'est ce que David connaissait bien : Inclina cor meum, Deus, in... (Pascal, Pensées, Edition Brunschicg 284)

1.
Evidemment, en sceptique, je ne peux m'empêcher de penser que toute institution demande que ses administrés, et surtout ses agents, croient sans (trop) raisonner en sa pleine et entière légitimité. Dans le cas de l'Education Nationale, cela prend des airs d'idôlatrie assez sidérants (L'Inspecteur a raison car il est l'Inspecteur), mais il en est de même pour tous les petits chefs que notre civilisation militaro-démocratique produit en série (le Chef a raison car il est le Chef ; quant au sous-chef, il n'a pas tort non plus, vu que, quand le Chef sera parti en retraite, c'est lui qui sera Chef, alors, hein !...).

2.
Le "croire sans raisonner" est le premier échelon de toute hiérarchie bien pensée. C'est ainsi que d'un bout à l'autre d'une chaîne de commandement, une stupidité magistrale peut se répandre, et, avec de grands haussements d'épaules et des "je n'en pense pas moins, mais je ne dirai rien", enfoncer un peu plus chaque jour une institution dans un de ces pédalages dans la choucroute à faire passer la ligne Maginot pour le summum de l'efficacité.

3.
C'est le principe même de toute Eglise, comme de toute administration, d'incliner les esprits à croire, à donner aux simples individus l'amour de Dieu et des Impôts et la haine d'eux-mêmes, c'est à dire de leur vilain pas beau si peu citoyen individualisme.

4.
Ce qui est utile est rétribué de manière à ce que puisse perdurer le service ; ce qui n'est que nécessaire n'est payé que par nécessité.

5.
J'aime beaucoup la désinvolture pascalienne qui abrège ses citations par trois petits points. Je sais bien que les Pensées ne furent pas publiées du vivant du génial probabiliste et furent retrouvées à l'état de travail en cours. N'empêche, volontaire ou pas, cette désinvolture me plaît.

6.
L'administration passe toutes ses promesses. A chacune de ses géniales innovations (on appelle cela "réforme") elle rassure toujours les sceptiques visionnaires que, allons ne soyez pas ridicules, bien sûr qu'on n'ira pas jusqu'à ... et, bien évidemment, on y arrive, et même assez vite souvent.

7.
Que le corps incliné soit plus enclin à croire, voilà ce qu'a bien compris l'Eglise. Afin d'incliner, rien de mieux que de distribuer diplômes et titres. Les citoyens se sentant rassurés sur leur valeur personnelle n'en sont que plus redevables à un Etat qui pense tellement à leur promotion sociale. Evidemment, cela n'a qu'un temps et certains diplômes, à la façon des actions côtées en bourse, peuvent se déprécier, et parfois très rapidement.

8.
En écho, cet aphorisme de Kafka :
"Die Märtyrer unterschätzen den Leib nicht, sie lassen ihn auf dem Kreuz erhöhen. Darin sind sie mit ihren Gegnern einig."
(Franz Kafka, Aphorismes, Editions Joseph K., 2011, p. 20).
Ce qui signifie à peu près que les martyrs, loin de mépriser le corps, le flanquent sur la croix. C'est ainsi qu'il tombent d'accord avec leurs ennemis.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 24 mars 2012

   
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24 mars 2012 6 24 /03 /mars /2012 09:26

CESAR ETAIT TROP VIEIL

"César était trop vieil, ce me semble, pour aller s'amuser à conquérir le monde. Cet amusement était bon à Auguste ou à Alexandre ; c'étaient des jeunes gens, qu'il est difficile d'arrêter; mais César devait être plus mûr." (Pascal, Pensées, Edition Brunschicg 132)

César : l'appétit de puissance. Il vient qu'un jour cet appétit de puissance est "trop vieil", - et n'est donc plus lui-même, ne se ressemble plus.

Où ai-je entendu que le Napoléon des Cent Jours aspirait à la tranquillité ? A la vie de famille ??? Dans la bouche d'un français, bien sûr, comme s'il s'agissait d'expliquer la chute de l'aigle par le déclin de son énergie conquérante, par une sorte d'andropause, la nécessité de digérer en paix, la fatalité naturelle.

"Ce me semble...", ce me semble... plus personne ne dit ce me semble, c'est pourtant bien joli, ce me semble...

Opposition "s'amuser" / "conquérir le monde". Après tout, vu par le petit bout de la lorgnette aphoristique, la conquête est un divertissement, une manière de ne pas penser que l'on va mourir.

Devait-il être plus mûr, l'homme aux lauriers (c'est par allusion à une aventure d'Astérix le Gaulois que j'ose cette périphrase) ? Se devait-il d'être plus mûr et de ne conquérir le monde que par devoir ? Se devait-il d'être plus mûr et de ne plus chercher à conquérir le monde ? En tout cas, les conjurés ont tranché. Pascal a raison dans son ambiguité : qui peut dire ce qui se tramait sous les lauriers ?

Le cours de latin vu par un mauvais esprit : Tu quoque fili et tutti quanti...

Inépuisable fabrique de mythes - l'Histoire est un spectacle aussi illusoire que le présent - le cinéma a fait de César l'amant de Cléopâtre et d'Alexandre un romantique jusqu'auboutiste. Autrement dit, l'un a été mené par un petit nez et l'autre par une trompe d'éléphant.

Dois-je à César de parler français ?

César oeuvra à la grandeur de Rome, il en profita donc pour semer çà et là de petites phrases du genre Alea jacta est (c'est pas con ça en franchissant le Rubicon) ; Veni, vidi, vici (c'est qu'il l'emporta à Zéla, le zélé guerrier) ; Teneo te Africa (et puis voilà). Souvent, les hommes sont grands aussi par leurs petites phrases, sauf les muets, ça va de soi.

"Conquérir le monde" : notre civilisation est essentiellement conquérante. Par les armes d'abord, par sa puissance de production ensuite. Arrivera-t-elle à survivre à ses crises, à ses cancers, à ses soubresauts ? Est-elle la première à être réellement "ouverte", ou un chevelu, venu d'on ne sait où et préchant on ne sait quoi, réussira-t-il à convaincre une douzaine d'idéalistes de la nécessité d'abattre le veau d'or qu'est toujours debout ?

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 24 mars 2012

 
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23 mars 2012 5 23 /03 /mars /2012 05:28

FEU FOLLET

"Ah cruel ! cet amour dont vous voulez douter,
Ai-je attendu si tard pour le faire éclater ?"
(Racine, Iphigénie, III, 6, vers 1031-1032)

Ah ! qu'c'est qu'c'est qu'c'est
Cruel le temps ! i passe pis nous efface...
Cet allant ce vivace qu'on avait cet
Amour des jolies choses et des beaux êtres
Dont on s'éprit d'où qu'il est ?
Vous parlez d'une débandade ! Le temps que
Voulez-vous se fout de nous qu'à pas
Douter qu'on est son guignol au temps !
Ai-je ou n'ai-je pas bien fait de toute façon
Attendu qu'c'est
Si tard trop
Tard oh bien trop tard
Pour y changer quoi que ce soit
Le mieux c'est d'essayer de faire mieux
Faire tout son possible puis s'en aller
Eclater poche de gaz sous la terre feu follet.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 23 mars 2012

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22 mars 2012 4 22 /03 /mars /2012 16:11

EN ECOUTANT LA RUELLE DES MORTS

"Thou hast a base and brickish skirt there, sours
That neighbour-nature thy great beauty is grounded
Best in ; graceless growth, thou hast confounded
Rural rural keeping - folk, flocks, and flowers."
(Gerard Manley Hopkins, Duns Scotus's Oxford)

"Tu as un vil pourtour briqueux, là, qui sûrit
La nature voisine où ta grise splendeur
S'implante au mieux ; tumeur ingrate, tu marris
le rural rural demeuré - gens, troupeaux, fleurs."
(traduction : Pierre Leyris ; source : Gerard Manley Hopkins, poèmes et proses, édition de poche Points, Editions du Seuil, 2007)

Je lis du Hopkins j'aime bien Hopkins
Traduit par Pierre Leyris excellent à
Lire ces phrases on les dirait sur le
Point de se déchirer se naufrager une
Errance au-dessus de l'abîme un fil y
Porte votre foi votre certitude qu'il
y a un sens fatalement un sens à tout
ça qui s'agite qui s'encontre se mêle
L'Oxford de Duns Scot Voilà ce que je
Lis pour l'heure c'est un sonnet dans
La deuxième strophe surtout je trouve
De quoi rêver pourtant pas joyeuse la
Strophe plutôt sinistre morne même le
Faubourg quasi no man's land zone une
Frontière la nature l'humain les murs
Mais dans ce morne la féerie du style
Ce qu'il dit de la ville l'expression
Vil pourtour briqueux par exemple qui
Désigne ces murs de briques qui n'ont
Pas l'air très entretenus toujours un
Peu sales dans le Nord rouges et puis
- je parle du Nord de la France - y a
Cette expression grise splendeur très
Exact c'est qu'ça vous en fabrique de
La nostalgie aussi ces murs rouges la
Ville où vous avez traîné vos guêtres
Z'y avez traîné votre enfance dans la
Poussière du jaune dessus le soleil y
Passe la lenteur des faucheux on voit
Aussi le rural rural demeuré c'est la
Traduction de Pierre Leyris je trouve
ça très bon ce rural rural demeuré ça
Mime exactement le vers anglais rural
rural keeping
excusez mon accent très
Rural encore le décor interurbain des
Routes et chemins et des champs et du
Plus ou moins boisé des haies isolées
Quelques maisons des fermes rares les
Gens qui passent des chiens on entend
Aussi gueuler des coqs nous passons à
Vélo sur la route c'est il y a un bon
Bout de temps                     Les
Mots les v'là écrits en l'écoutant La
Ruelle des Morts la déjà un classique
Chanson d'Hubert-Félix Thiéfaine avec
Son bourdon qui résonne au clocher de
sa nostalgie et ses enfants cueillant
immortelles & chrysanthèmes car voyez
y en a des deuils à la pelle qu'on en
ramasse des deuils du passé tout mort
jadis en bas dans la ruelle des morts

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 mars 2012

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22 mars 2012 4 22 /03 /mars /2012 13:45

EN LISANT CHRISTINE LAVANT (31-40)

Citations : Christine Lavant
Traduction : Christine et Nils Gascuel
Source : Les étoiles de la faim (Orphée / La Différence, 1993)

A CHACUN SA PART DU REEL

31.
"Du hättest dies können !" (p.106)
("Cela était à ta portée !")
Ce dont on nous dit "cela était à ta portée !" était généralement tout à fait en dehors de notre patience.

32.
Les naïfs pensent qu'à tout problème correspond une solution.
Les cyniques feignent de le penser.

33.
L'univers est irrésoluble. C'est pour ça qu'il existe.

34.
"... wo winselnd das Tier wächst." (p.106)
("... où la bête grandit en gémissant")
Il m'arrive de penser que c'est là où nous allons, nous, la civilisation, vers les gémissements de la bête grandissante, comme si l'humanité faisait un long détour pour en revenir à la violence originelle.

35.
Le langage, une géométrie du hasard.

36.
"man müsste sich auf das besinnen,
was früher war und später kommt." (p.66)
("on ferait bien de réfléchir / à ce qui fut et ce qui va venir")
Le temps de la phrase est double. Il y a le temps que l'on met pour énoncer. Il y aussi le temps spécifique, celui des formes verbales. En cela, la phrase est exemplaire de la complexité de notre rapport au temps qui nous apparaît à la fois comme linéaire (tendu vers l'avenir, se situant entre ce qui fut et ce qui n'est pas encore) et imaginaire (les formes verbales renvoient à d'autres temps, à une temporalité flottante que seule la minutie des informations arrive à préciser).

37.
Il m'arrive, en regardant quelqu'un, de penser à son cadavre, là-bas, dans le plus tard, l'indéterminé, l'inéluctable. Il m'arrive de penser que, par leur bouche, déjà, parle la dépouille.

38.
Le refus d'être tel que les autres aimeraient vous voir entraîne souvent leur mépris. Insistez et vous serez tantôt pitoyable, tantôt insupportable. On vous traitera alors comme un dieu mort.

39.
Les yeux, c'est un genre de jeu de dés : ils roulent, se jettent, se fixent. Alors, les jeux sont faits. A chacun sa part de réel.

40.
"Schon steigt aus meinem zweiten
Aug-Brunnen auch ein Hungerstern " (p.56)
("Déjà émerge de mon autre / oeil-puits une étoile de faim")
Les films nous présentent des formes possédées par des masques. Nos yeux les animent. C'est bien le regard qui constitue le réel. Ainsi, chaque film est un univers parallèle que le regard réalise. Du reste, on ne peut guère regarder la réalité sans se faire un film. La vérité file au puits de l'oeil et se noie dedans.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 23 mars 2012

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22 mars 2012 4 22 /03 /mars /2012 10:39

EN LISANT CHRISTINE LAVANT (26-30)

OEUVRER A LA ROSE
Citations : Christine Lavant
Traduction : Christine et Nils Gascuel
Source : Orphée / La Différence, 1993

1.
"Ich wirke blindlings an der Rose weiter" (p.46)
("Je continue aveuglément d'oeuvrer à la rose")
Continuer aveuglément d'oeuvrer à la rose : voilà une jolie formule pour décrire le travail poétique. C'est l'adverbe surtout qui ici intéresse. Nous ne savons pas réellement ce que nous écrivons et quel sera le sort de nos charmes. Si, selon la formule rimbaldienne, le poète est un Voyant, c'est assurément un voyant aveugle.

2.
"Alles geht im Schwermutkreise" (p.34)
("Tout va dans le cercle de Tristesse")
La Tristesse, un cercle dont on s'échappe difficilement. A l'image de cet adorateur de Satan qui, dans une bande dessinée d'Hugo Pratt (La Maison dorée de Samarkand, Casterman, 1986, p.67), n'ose plus franchir les limites du cercle qu'il lui a même tracé, le triste, le mélancolique circule dans le cercle de ses jours avec cette impression pénible que rien ni personne, jamais, ne pourra l'aider à s'en sortir.

3.
"Fremdblütig im Herzen der Nacht" (p.84)
("Etrangère dans le coeur de la nuit")
Etrangers nous autres, l'un à l'autre, de pauvres chandelles au coeur de la nuit, ça ne nous éclaire pas beaucoup. Avec ça, que comme le dit Hippolyte dans le Phèdre de Racine, qu'on se comprend pas tant que ça ! (cf Racine, Phèdre, II, 2, v.558, "Songez que je vous parle une langue étrangère" [Hippolyte])

4.
"ich bat den Tod : Lass mich noch sein !
Er sprach : Das wird dich reuen." (p.98)
("je priai la mort : Laisse-moi continuer d'être ! / Elle dit : Tu le regretteras.")
Cioran dit quelque part qu'il n'est personne de qui il n'ait souhaité, un jour ou l'autre, la mort. C'est assez commun, je pense, et relève probablement de l'hygiène du fantasme. Le mélancolique, histoire de ruser avec l'être, manière de gagner du temps, cela lui arrive aussi de souhaiter sa propre mort. C'est de l'immaturité, bien sûr ; il y a tant de gens qui souffrent dans leur chair et qui ne demandent qu'à partir dans la paix que les désagréments du mélancolique prêtent à rire, à moins que cela ne tourne au vinaigre, ce qui arrive parfois.

5.
"... zum Staunen in den Steinen" (p. 50)
("... pour la stupéfaction dans les pierres")
Semer des éclairs, lever une armée d'arbres à foudres ! Voilà de l'opéra matamore, n'est-ce pas ? Et qui illustre assez comment je lis : je me laisse emporter par les expressions, j'émiette le texte et ce sont ces miettes qui me font rêver.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 23 mars 2012

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22 mars 2012 4 22 /03 /mars /2012 06:20

APRES, PLUS DE RETOUR

1.
Publication récente (septembre 2011) : les Aphorismes de Franz Kafka en édition bilingue. Ce qui est, le bilingue, toujours intéressant - et dans le cas des grands auteurs, c'est même essentiel - de pouvoir les lire dans la langue même qu'ils ont rêvée, avec laquelle ils se sont dépêtrés avec l'être, les fantômes et leurs ombres. (Franz Kafka, Aphorismes, éditions Joseph K., traduction française par Guy Fillion, préface de Alain Coelho, France, 2011).

2.
Bon, à titre d'exemple, je vous en livre un (le commentaire qui suit est de ma pomme, vous aurez reconnu, vu qu'ça tourne vite paradoxe et fantaisie).
"Von einem gewissen Punkt an gibt es keine Rückkehr mehr. Dieser Punkt ist zu erreichen." (Frank Kafka, Aphorismes, 5).
Vrai que nous sommes ce point à atteindre ("dieser Punkt zu erreichen"). Après, plus de retour ("keine Rückkehr mehr"). Ce qui importe réellement dans notre existence, ce sont ces points à atteindre, ces instants où l'on devient ou on ne devient pas, où l'on choisit ou on ne choisit pas, où l'on décide ou on ne décide pas. Puis le plus de retour nous incline à penser que nous n'avions guère le choix. C'est en se laissant fasciner par son passé que l'on abdique sa liberté. C'est ainsi que le passé tue l'histoire.

3.
Les écrivains dont la phrase n'incite pas à rêver, ne vous en flanque soudain pas des ombres courant sous la pluie et des étés qui n'en finissent pas, les écrivains qui ne vous peuplent pas d'images mentales et d'éclats de l'ailleurs, ne sont pas des écrivains mais des journalistes. Dans le cas de Franz Kafka, toute sa prose est un gigantesque ailleurs, sec et osseux, une trouble et longiligne étrangère, regard noir perçant (d'ailleurs, elle plisse les yeux).

4.
Où ai-je entendu dire que Kafka riait en lisant ses propres textes ? L'ai-je rêvé ? En tout cas, je l'imagine assez, le mélancolique, se moquant du respect ridicule pour l'autorité qui empêche le petit homme de franchir la porte et qui le condamne ainsi à attendre, jusqu'à la fin de sa vie, la bonne volonté d'un gardien qui n'est légitime que par le respect ridicule qu'inspire son statut de fonctionnaire. C'est là le but ultime de toute administration, ne l'oubliez pas, libres lecteurs, filtrer toutes les entrées et toutes les sorties pour finir par n'accorder le droit de passage qu'aux seuls usagers qu'elle aura elle-même, la toute puissante administration, distingués.

5.
Un aphorisme encore :
"Die Tatsache, dass es nichts anderes gibt als eine geistige Welt, nimmt uns die Hoffnung und gibt uns die Gewissheit." (Franz Kafka, Aphorismes, 62).
Douter de tout revient à promulguer le règne de l'esprit ("eine geistige Welt"). C'est ainsi que le "Que rien n'existe" nous ôte l'espoir ("nimmt uns die Hoffnung") d'un monde libre pour nous refiler "la certitude" ("gibt uns die Gewissheit") que le monde n'est que spéculation, calcul, gestion.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 mars 2012

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