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21 novembre 2009 6 21 /11 /novembre /2009 09:45

LA NUIT QUI REVIENT NOUS INFECTER

« La nuit qui revient nous infecter… » (Lorette Nobécourt, L’Equarrissage, Mille Et Une Nuits n° 368, p.25)

« La viande seule, cette masse rouge et bleue, porte toutes les promesses. » (Lorette Nobécourt, ibid., p.24)

«…les mouches de mes pensées… » (Lorette Nobécourt, ibid., p.25)

« Je percevais le squelette sous la viande… » (Lorette Nobécourt, ibid., p.30)

La nuit qui revient nous infecter
Puisque tout est retour tout donc
Tout revient au même de la viande
Masse rouge et bleue porteuse des
Promesses et qui court partout et
Qui bave partout cause partout et
Attire partout les mouches celles
De mes pensées les mouches de mes
Pensées puisqu’ils mangent et ils
Pensent les gens forcément que ça
Les attire les mouches celles des
Pensées de mes pensées et tout ça
Qu’ils mangent et tout ça tout ça
Qu’ils pensent parfois ça fait de
L’impossible insensé inaccessible
Le réel étant toujours s’écartant
Nous écartant nous chassant comme
On chasse les mouches taches dans
La durée du monde qui le prend le
Temps tout son temps pour digérer
Pour vous digérer pour vous jeter
A la fosse aux ombres ce là où on
Reste à pourrir six pieds sous la
Grande rue où s’engouffre le vent
Qui disperse tous les squelettes.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 21 novembre 2009

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21 novembre 2009 6 21 /11 /novembre /2009 07:47

HORS-LA

« C’étaient des cris qui, je crois, n’avaient pas de sons. » (Lorette Nobécourt, L’Equarrissage, Mille Et Une Nuits n° 368, p.25).

Un alexandrin que cette phrase qui dit les cris que l’on a sans les crier, les cris que l’on a dans l’angoisse.

Le pronom « je » au centre de la phrase comme dans l’inquiétude, notre présence alors, on la sent mal à l’aise au centre de tout qui semble vouloir vous mettre en dehors, hors-jeu, hors ce je (j.e.) si tranquille habituellement, si patient avec le réel. C’est qu’alors nous sommes le jouet du réel, et qu’on se sent partagé, tiraillé, disputé, querellé de soi-même, entraîné par la relative, hors-là.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 21 novembre 2009

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19 novembre 2009 4 19 /11 /novembre /2009 07:15

DU TOUT CELA, LA CHAROGNE

« Tout cela descendait, montait comme une vague,
                     Ou s’élançait en pétillant ;
   On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
                     Vivait en se multipliant. »
(Baudelaire, Une Charogne, vers 21-24)

La charogne, c’est aussi de l’épopée, de la vague qui descend, et monte, et s’élance ; et du « souffle vague » aussi, de ce souffle d’on ne sait où qui enfle les êtres, les navires, les armées, donne vie aux images et multiplie les mouvements.

C’est que c’est du « tout cela », la charogne, de l’englobant macabre. De l’épique morbide.
C’est que ça grouille là-dedans, que c’est infesté et plein d’échos, de l’ouvert : « descendait », « montait », « s’élançait », « vivait » ; du fermé : « descendait », « s’élançait », « tillant », « enflé », et les sons « an » aussi : « descendait », « s’élançait en pétillant », « enflé », « en se multipliant », et des « i » itou pour agrémenter le tout : « pétillant », « dit », « vivait », « multipliant ». C’est qu’ça assone, c’est qu’c’est la foire aux voyelles. On dirait bien le discours de la nausée, le cœur au bord des lèvres, la gerbe qui vient.
On peut s’épater d’une telle précision sonore dans la description d’une charogne. Je suis sûr qu’il y a des belles et bonnes âmes qui se disent : « Et c’est ça qu’on loue ! Qu’on fait étudier dans les écoles ! Quelle dégoûtation ! » Eh oui, c’est que les temps sont gothiques, qu’on y croit plus guère à l’âme dans tout du Bon Dieu partout. On le sait maintenant que c’est le langage qui fait l’homme, et tant qu’à faire, autant qu’il dise vrai, l’homme, au lieu de se raconter de pieux mensonges. D’une certaine manière, je suis d’accord avec ceux qui regrettent que l’on vante les mérites des troubles gravures baudelairiennes au lieu d’en rester au pastel sentimental et citoyen. C’est vrai que ça fait des ravages, Baudelaire, dans les têtes des adolescents (enfin, ceux qui lisent ; et puis, ils ne sont pas si niais les lycéens qui se gavent de musiques barbares, et de films violents..), oui, c'est assez âpre, Baudelaire, mais, que voulez-vous, la littérature est à ce prix.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 19 novembre 2009

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19 novembre 2009 4 19 /11 /novembre /2009 06:14

TOUT S’EMPRESSE, TOUT PART.

« Tout s’empresse, tout part. La seule Iphigénie 
   Dans ce commun bonheur pleure son ennemie. »
(Racine, Iphigénie, V, 6, vers 1785-1786)

La tragédie à son dénouement. C’est qu’elle n’existe que par son dénouement, la tragédie. C’est l’heure critique qui intéresse le tragique. Et, comme nous l’avons appris au lycée, la tragédie peut être comprise comme une « action saisie au plus près de la crise ».
Au contraire de la comédie donc, suite de mots d’esprit, de piques, de pointes, d’effets, qui ont pour but de révéler les grotesques en d’en faire rire le public. Et peu importe le peu d’intérêt et l’invraisemblance des fins de la plupart des comédies de Molière : l’essentiel est dans le rire au spectacle de l’avare s’agitant, de la précieuse ridicule minaudant, du malade imaginaire s’emportant, du bourgeois se gonflant en gentilhomme.
Le tragique a d’autres fins. Il exige le sang promis. Il dans ce « tout s’empresse, tout part » du récit d’Ulysse qui clôt  la pièce. Il est dans ce monde qui va reprendre son cours, dans ces Grecs qui vont reprendre la mer et ces Troyens qui vont les combattre ; il est dans l’alliance du roi Agamemnon et du guerrier Achille ; il est dans le regard que Clytemnestre tourne vers le ciel (« Par quel prix, quel encens, ô ciel, puis-je jamais / Récompenser Achille, et payer tes bienfaits ! ») ; il est dans ce réveil après le cauchemar, cette lumière retrouvée parce qu’il est aussi dans le sacrifice, le sang versé, la mort donnée.
Certes, ce n’est pas Iphigénie qui meurt, mais son double, « l’autre Iphigénie », Eriphile, et Iphigénie n’est pas la tragédie du Roi des Rois, n’est pas la tragédie de la fille d’Agamemnon, mais la tragédie de celle qui ignore sa généalogie et qui ne peut apprendre d’où elle vient sans mourir (cf II, 1, les vers 428-430 : « Un oracle effrayant m’attache à mon erreur, / Et quand je veux chercher le sang qui m’a fait naître, / Me dit que sans périr je ne me puis connaître. ») . C’est ce que comprend Iphigénie sans doute qui « pleure son ennemie » ; c’est ce que comprend Iphigénie, la rescapée, « la seule Iphigénie », l’unique désormais.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 19 novembre 2009 

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18 novembre 2009 3 18 /11 /novembre /2009 05:17

UN COUP DU SORT

« Je le sais bien, Seigneur. Aussi tout mon espoir
   N’est plus qu’au coup mortel que je vais recevoir. »
(Racine, Iphigénie, V, 2, vers 1527-1528)

L’espoir réduit à un coup.
Le tragique inverse le sens : l’espoir, c’est l’espoir de la mort, l’acceptation du sacrifice. Ce qui permet à Iphigénie d’affirmer ce renoncement à la vie, c’est cette remarque d’Achille, au vers 1526 :

« Hâtons-nous. Votre père a déjà vu vos larmes. »

Les larmes annonceraient-elles le sang versé ?
C’est qu’Iphigénie doit renoncer à Achille (cf vers 1504-1508) :

« Achille trop ardent l’a peut-être offensé ;
   Mais le roi, qui le hait, veut que je le haïsse ;
   Il ordonne à mon cœur cet affreux sacrifice.
   Il m’a fait par Arcas expliquer ses souhaits :
   Aegine, il me défend de lui parler jamais. »

Ce qui amène Iphigénie à accepter sa propre mort, c’est la volonté de son propre père, Agamemnon, qui semble accepter la fuite d’Iphigénie, à condition, en fin de compte, qu’elle repousse Achille :

« Mon père même, hélas ! puisqu’il faut te le dire,
   Mon père, en me sauvant, ordonne que j’expire. »

Iphigénie s’exprime simplement : « Je le sais bien, Seigneur. » Sa voix s’est affaiblie sans doute. Après la rime du mot « espoir », au vers 1527, on peut supposer un temps, un suspens, avant que les paroles d’Iphigénie fassent s’effondrer les espérances d’Achille. Ainsi le discours semble haché, la voix plus faible, murmurante peut-être, et qui semble correspondre au rythme binaire du premier hémistiche :

« N’est plus / qu’au coup / mortel / que je vais (/) recevoir. »

Iphigénie semble comme hypnotisée par l’idée de sa mort prochaine. Pour elle, le « sacrifice », c’est d’abord l’obligation de renoncer à Achille (cf vers 1506 : « Il ordonne à mon cœur cet affreux sacrifice »). Il est étonnant qu’elle emploie le mot « sacrifice » pour désigner la rupture de ses fiançailles, alors que ce qui est réellement « affreux », c’est sa propre mort. Je pense à ces mots de Lorette Nobécourt dans l’Equarrissage : « … la jeune fille avait tourné la tête un instant vers la droite, son regard lentement revenait du fond de la salle immense pour venir embrasser la lame de la hache qui lui rentrait en pleine gueule. » (Lorette Nobécourt, L’Equarrissage , Mille Et Une Nuits n°368, p.42)
Ce qui importe désormais, c’est ce « coup mortel », - l’épithète « mortel » est mise en valeur au centre du vers -,  qui dénouera les vents et permettra aux guerriers grecs, et donc à Achille, d’aller se battre (cf vers 1537-1540) :

« Songez, Seigneur, songez à ces moissons de gloire
   Qu’à vos vaillantes mains présente la victoire.
   Ce champ si glorieux où vous aspirez tous,
   Si mon sang ne l’arrose, est stérile pour vous. 

Le pronom « je » est donc relégué dans la proposition relative « que je vais recevoir ». Ce n’est plus la vie d’Iphigénie qui compte maintenant, mais que la fille d’Agamemnon soit livrée à ce coup du sort qu’a ordonné un dieu et qu’ont décidé les humains.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 18 novembre 2009

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18 novembre 2009 3 18 /11 /novembre /2009 03:50

LA VIE PRIVEE DES ÂMES

« Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
                      D’où sortaient de noirs bataillons
   De larves, qui coulaient comme un épais liquide
                      Le long de ces vivants haillons. »
(Baudelaire, Une Charogne, vers 17-20)

Le monde est aux insectes.
A la vie des larves.
A la vie bourdonnante.
A la vie des putréfactions.
A la vie instinctive.
A la vie stimuli.
A la vie dévorante.
A la vie des chiens inquiets, qui, d’un œil fâché, épient le moment de reprendre au squelette le morceau qu’ils avaient lâché. (cf Une Charogne, vers 33-36).
Autant qu’au poète.
Aux allitérations du « ventre putride ».
Aux assonances qui font courir leurs échos le long des vers : « mouches », « bourdonnaient », « d’où », « coulaient ».
Aux rimes internes qui travaillent les vers de l’intérieur : « bourdonnaient », « sortaient », « coulaient ».
Comme si le poème vivait d’une vie intérieure ; comme si le cadavre était l’expression concrète de cette vie intérieure qui se met à vivre de larves en « noirs bataillons », « d’épais liquides » qui en découlent.
Où est l’âme de cette charogne ? Est-elle dans le ciel qui ne fait que « regarder la carcasse superbe » ? Est-elle dans cette putréfaction entre les « jambes » (notons que le poète n’a pas employé le mot « pattes » mais l’anthropocentrique mot « jambes » : il est vrai que le vers Les pattes en l’air, comme une femme lubrique eût sonné drôlement drolatique !)
Est-elle dans ce qu’on dit à propos de la charogne ?
A propos de tout.
Qui part en « vivants haillons ».
Jusqu’à dissolution.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 17 novembre 2009

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17 novembre 2009 2 17 /11 /novembre /2009 15:23

NAUSEE

« Et le ciel regardait la carcasse superbe
                   Comme une fleur s’épanouir.
   La puanteur était si forte, que sur l’herbe
                    Vous crûtes vous évanouir. »
(Baudelaire, Une Charogne, vers 13-16)

De même que la grande Nature baudelairienne tend à se substituer au royaume de Dieu, le ciel est débarrassé de sa mystique majuscule pour n’être plus que ce regard indifférent des choses sur le vivant.
« Ça ne me déplaisait pas de voir bouger quelque chose, ça me changeait de toutes ces existences immobiles qui me regardaient comme des yeux fixes. » (Sartre, La Nausée, folio, p.186).
Le ciel, du ça que c’est, ça, le ciel. De l’identification de l’existence à l’étant. On y met du dieu, pour le peupler, ce grand vaste vide. Du dieu, c’est-à-dire, du regard. Mais ce qui donne sens à l’en-bas, c’est l’activité humaine, l’art de l’oxymore, de la « carcasse superbe ».
L’horreur pousse comme une fleur. C’est si facile, l’horreur. Tout le temps, l’horreur travaille l’humain. Vous vous souvenez de ce film C'est arrivé près de chez vous (Belgique, 1992), vous vous en souvenez de cette horreur dans le quotidien, de cette banalité de l’horrible le long des jours de notre moderne Europe. Y a qu’à ouvrir le poste : disparitions inquiétantes, meurtres, viols, violences gratuites, jusqu’à des émeutes provoquées par je ne sais quel site web promettant de distribuer des billets de banque (!!!). C’est moche. Sordide. On a vu ça, ces jours ci de novembre 2009, au pied de la tour Eiffel, à Paris, France, des gens tomber sous les coups de crapules avec foulard sur la tronche. Parfois, c’est un jeune homme qui tombe ; parfois, c’est une jeune femme, semble-t-il, qui s'écroule, d’une masse, puis rouée de coups qu’elle est. C’est curieux comme ça rappelle des épisodes des années trente, d’entre les deux guerres, d'entre l'horreur de "la guerre des tranchées » et l'horreur de "la guerre des trancheurs ». Franchement, personne le dit mais tout le monde y pense, que ça finira mal, cet appauvrissement programmé des populations européennes, cette désindustrialisation qui laisse sur le carreau des patelins entiers, des régions qui crèvent à petit feu. Franchement, les politiques se plaignent d’être de moins en moins respectés, d'être moqués, persiflés, tournés guignols, mais on ne respecte jamais que ce qui est respectable, et dans ce domaine, on ne peut pas dire qu’ils sont blancs comme neige, nos chevaliers du législatif, du décret, de la petite phrase à la con, de l’arrangement entre gens du même monde. Vous le saviez-vous ça, que dans les années 70, en France, y a eu tellement de notables et de politiques compromis dans des affaires de mœurs que le ministre de l’Intérieur de l’époque (Michel Poniatowski) a dû réviser les missions de la « brigade » dite « mondaine » ; en fait, il l’a supprimée, que j’ai entendu dire sur la chaîne Histoire, ce dimanche 15 novembre 2009, dans une émission animée par Michel Field, il l’a dissoute, la Mondaine, pour la remplacer par un autre service, histoire d’archiver des dossiers et d’éviter que ça tangue de trop dans la République. Pourtant, à l’époque, on nous le disait bien déjà, que les politiques, c’étaient que des « gens biens », des gens responsables et pleins d’amour de la chose publique. Très portés sur le radada, oui, qu'ils étaient, les proches de leurs sous. Moi, vous me ferez pas changer d’avis. Je vote pas. Moi d’abord. Qu’ils aillent se faire empapaouter par les énarques, les citoyens, si c’est ça qu’ils veulent. Moi, je vote San-Antonio, et aux rouspéteurs, je leur fais le doigt de Besson, que j’aime pas non plus d’ailleurs, l'Eric Besson...
Bon, on s’est éloigné du camarade Charles, là. C’est que la charogne, effectivement, ça pue, et que quand la « puanteur » est trop « forte », les belles demoiselles, dont on rêve, et qui sont les femmes cachées de bien des poèmes, elles en ont comme de la nausée, et elles manquent de s’évanouir, les poupées... D’où cette allitération ironique, ce « v » du « Vous crûtes vous évanouir », - aussi ce distancié passé simple, inusité, et donc singulier -, ce « v » qui souligne la tentation de la perte de conscience devant la puanteur qui semble presque siffler comme une bête : « carcasse superbe » ; s’épanouir », « si forte », « sur l’herbe ». L’horreur pousse. Les âmes tombent. C’est que du vivant, quoi.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 17 novembre 2009

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17 novembre 2009 2 17 /11 /novembre /2009 14:27

CUIRE LA CHAROGNE

« Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
                    Comme afin de la cuire à point,
   Et de rendre au centuple à la grande Nature
                    Tout ce qu’ensemble elle avait joint. »
(Baudelaire, Une Charogne, vers 9-12)

Ce qui est en haut est donc bien en relation avec ce qui est en bas : le soleil brille aussi pour les chiens morts.
Le « comme afin » modère la finalité. C’est « comme si » le soleil avait pour but de cuire la charogne. Mais justement, ce n’est qu’un « comme si », une fantaisie poétique. En fait, le soleil ne fait que se conformer à sa qualité de soleil : il brûle.
Ce qui est « rendu au centuple », habituellement, c’est la monnaie de Dieu. Les bienfaits, dit-on, sont rendus au centuple par le Royaume de Dieu, lequel est sans doute le plus grand établissement de crédit qui soit jamais. Ici, l’ironie de la charogne, c’est que sa cuisson rend à la grande Nature, substituée à l’ordre de Dieu, « tout ce qu’ensemble elle avait joint ». Quoi donc ? Les amours, les nourritures, chair et terre, tout ce qui constitue l’ensemble des échanges du vif avec le réel.
Substituée à Dieu alors, la grande Nature des choses jointes, mêlées, fusionnées. La mort unit. Comme l’amour. Comme le sexe. Parodie de la préparation culinaire (cf « afin de la cuire à point »).

Remarque : j’aime bien l’expression « cuire la charogne » et je m’applaudis de cette trouvaille car j’aime à trouvailler et donc à m’applaudir. Cuire la Charogne ! Beau titre pour un polar visqueux à souhait ! - Et d’où qu’ils sont partis ? – I sont allés cuire la charogne de l’autre balance là, Tonio la Mickette, là…

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 17 novembre 2009

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16 novembre 2009 1 16 /11 /novembre /2009 06:01

LES JAMBES EN L’AIR

« Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
                     Brûlante et suant les poisons,
   Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
                     Son ventre plein d’exhalaisons. »
(Baudelaire, Une Charogne, vers 4- 8).

Se promenant, lui et son « âme » (lui-même ? sa maîtresse ?) par un « beau matin d’été si doux », le narrateur baudelairien « au détour d’un sentier » tombe soudain sur le spectacle d’une « charogne infâme / Sur un lit semé de cailloux ».
C’est à l’autre qu’il destine cette comparaison : « les jambes en l’air, comme une femme lubrique ». La charogne est d’ailleurs « brûlante » et « nonchalante ». Active aussi. Il ne s’agit plus de l’âme, mais du « ventre » ici. Il s’agit de la leçon des cyniques : nous, esprits si vifs, nous sommes esprits si vifs parce que nous sommes des corps vivants ; nous sommes si charmants, nous sommes si « âme » par un « matin d’été si doux », parce que nous sommes encore vivants, et vifs, et jeunes. Rappel donc de la nature carnée des êtres. Rappel à l’organique.
Les sons montent et descendent (« lubrique », « poisons », « cynique », « exhalaisons ») comme une musique qui ferait soudain des dissonances dans une mélodie charmante.
La vision morbide constitue un spectacle obscène. La mort et le sexe fascinent, et de cette fascination le créateur tire des comparaisons, des analogies. La fascination cristallise. Les comparaisons proposent des fragments d’analyse, suggèrent des soleils noirs, des mélancolies, des complaisances qui rappellent que le vivant est à la merci des fascinations.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 16 novembre 2009

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16 novembre 2009 1 16 /11 /novembre /2009 05:26

RAPPELEZ-VOUS L’OBJET

« Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
                 Ce beau matin d’été si doux :
   Au détour d’un sentier une charogne infâme
                 Sur un lit semé de cailloux, »
(Baudelaire, Une Charogne, vers 1- 4)

A l’autre, on demande toujours de se rappeler. Une mémoire nous accompagne, c’est l’autre aussi. Du reste, à quoi bon les choses si ce n’est pas pour s’en rappeler, si ce n’est pas pour en tirer quelque chose ?
Les deux premiers vers : du charme, de la distance. L’hypercorrection du passé simple « vîmes » induit cette distance. Le mot « objet » aussi. S’agirait-il d’une préparation à un compte-rendu phénoménologique ? Le mot « objet » sonne si philosophique, comme sonnent philosophique, à la fin du poème, ces deux derniers vers si ironiquement abstraits (« Que j’ai gardé la forme et l’essence divine / De mes amours décomposés ! »). L’ironie, cette singerie savante du discours des autres, cette réappropriation du lexique dont les autres font un si noble usage. C’est que les charognes, effectivement, ce sont des « objets » aussi.
L’autre, c’est une « âme », une belle âme que l’on promène dans le « matin d’été si doux ». A l’âme et au « si doux » répondent la « charogne infâme » et les « cailloux ».
C’est que l’on est « au détour d’un sentier ». Et qu’en empruntant les détours des sentiers, on risque assez de voir et de se rappeler le spectacle d’une « charogne infâme ». Les détours, c’est ce qui s’oppose aux avenues, aux boulevards, aux rues dévolues au commerce moderne, au commerce spectacle, lumineux et artificiel. Les détours mènent à « l’extrême bout de la rangée de baraques » où l’on finit par arriver à la « cahute plus misérable que celle du sauvage le plus abruti. » (Baudelaire, Le Vieux Saltimbanque in Petits Poëmes en Prose ).

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 16 novembre 2009

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