NAUSEE
« Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s’épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir. »
(Baudelaire, Une Charogne, vers 13-16)
De même que la grande Nature baudelairienne tend à se substituer au royaume de Dieu, le ciel est débarrassé de sa mystique majuscule pour n’être plus que ce regard indifférent des choses sur le vivant.
« Ça ne me déplaisait pas de voir bouger quelque chose, ça me changeait de toutes ces existences immobiles qui me regardaient comme des yeux fixes. » (Sartre, La Nausée, folio, p.186).
Le ciel, du ça que c’est, ça, le ciel. De l’identification de l’existence à l’étant. On y met du dieu, pour le peupler, ce grand vaste vide. Du dieu, c’est-à-dire, du regard. Mais ce qui donne sens à l’en-bas, c’est l’activité humaine, l’art de l’oxymore, de la « carcasse superbe ».
L’horreur pousse comme une fleur. C’est si facile, l’horreur. Tout le temps, l’horreur travaille l’humain. Vous vous souvenez de ce film C'est arrivé près de chez vous (Belgique, 1992), vous vous en souvenez de cette horreur dans le quotidien, de cette banalité de l’horrible le long des jours de notre moderne Europe. Y a qu’à ouvrir le poste : disparitions inquiétantes, meurtres, viols, violences gratuites, jusqu’à des émeutes provoquées par je ne sais quel site web promettant de distribuer des billets de banque (!!!). C’est moche. Sordide. On a vu ça, ces jours ci de novembre 2009, au pied de la tour Eiffel, à Paris, France, des gens tomber sous les coups de crapules avec foulard sur la tronche. Parfois, c’est un jeune homme qui tombe ; parfois, c’est une jeune femme, semble-t-il, qui s'écroule, d’une masse, puis rouée de coups qu’elle est. C’est curieux comme ça rappelle des épisodes des années trente, d’entre les deux guerres, d'entre l'horreur de "la guerre des tranchées » et l'horreur de "la guerre des trancheurs ». Franchement, personne le dit mais tout le monde y pense, que ça finira mal, cet appauvrissement programmé des populations européennes, cette désindustrialisation qui laisse sur le carreau des patelins entiers, des régions qui crèvent à petit feu. Franchement, les politiques se plaignent d’être de moins en moins respectés, d'être moqués, persiflés, tournés guignols, mais on ne respecte jamais que ce qui est respectable, et dans ce domaine, on ne peut pas dire qu’ils sont blancs comme neige, nos chevaliers du législatif, du décret, de la petite phrase à la con, de l’arrangement entre gens du même monde. Vous le saviez-vous ça, que dans les années 70, en France, y a eu tellement de notables et de politiques compromis dans des affaires de mœurs que le ministre de l’Intérieur de l’époque (Michel Poniatowski) a dû réviser les missions de la « brigade » dite « mondaine » ; en fait, il l’a supprimée, que j’ai entendu dire sur la chaîne Histoire, ce dimanche 15 novembre 2009, dans une émission animée par Michel Field, il l’a dissoute, la Mondaine, pour la remplacer par un autre service, histoire d’archiver des dossiers et d’éviter que ça tangue de trop dans la République. Pourtant, à l’époque, on nous le disait bien déjà, que les politiques, c’étaient que des « gens biens », des gens responsables et pleins d’amour de la chose publique. Très portés sur le radada, oui, qu'ils étaient, les proches de leurs sous. Moi, vous me ferez pas changer d’avis. Je vote pas. Moi d’abord. Qu’ils aillent se faire empapaouter par les énarques, les citoyens, si c’est ça qu’ils veulent. Moi, je vote San-Antonio, et aux rouspéteurs, je leur fais le doigt de Besson, que j’aime pas non plus d’ailleurs, l'Eric Besson...
Bon, on s’est éloigné du camarade Charles, là. C’est que la charogne, effectivement, ça pue, et que quand la « puanteur » est trop « forte », les belles demoiselles, dont on rêve, et qui sont les femmes cachées de bien des poèmes, elles en ont comme de la nausée, et elles manquent de s’évanouir, les poupées... D’où cette allitération ironique, ce « v » du « Vous crûtes vous évanouir », - aussi ce distancié passé simple, inusité, et donc singulier -, ce « v » qui souligne la tentation de la perte de conscience devant la puanteur qui semble presque siffler comme une bête : « carcasse superbe » ; s’épanouir », « si forte », « sur l’herbe ». L’horreur pousse. Les âmes tombent. C’est que du vivant, quoi.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 17 novembre 2009