JIM MORRISON, UN APPARAÎTRE AMERICAIN (II)
CHIENS ANTIQUES.
Notes sur Seigneurs et Nouvelles Créatures (10/18, édition bilingue, texte original de Jim Morrison et traduction de Yves Buin et Richelle Dassin) et Une Prière américaine et autres écrits (10/18, édition bilingue, texte original de Jim Morrison et traduction de Hervé Muller).
Réinvention.
Une réinvention des dieux et des mythes ? « Let’s reinvent the gods, all the myths of the ages » ; « Ré-inventons les dieux, tous les mythes / des siècles » (Une Prière américaine, p.144-145). Un appel au paganisme ? Il est vrai que le rock a des allures de musique panique. Jusqu’à rappeler la guerre : « Have you forgotten the lessons / of the ancient war ». “(avez-vous oublié les leçons / de la guerre antique)”.
Guillevic.
Sans blague, parfois, Morrison, on dirait du Guillevic, du bref, du condensé, du sec, du minéral, de l’écriture blanche comme il y a des sons blancs :
“Doesn’t the ground swallow me
when I die, or the sea
if I die at sea ?”
« La terre ne m’avale-t-elle pas
quand je meurs, ou la mer,
si je meurs en mer ? »
(Jim Morrison, Seigneurs et Nouvelles Créatures, p.192-193)
Ténèbres.
Dans les yeux vifs nous pouvons percevoir les ténèbres. Derrière l’éclat, la nuit. Derrière le chiffre, la face opaque.
Dans les yeux vifs nous pouvons pressentir l’origine ténébreuse, la pure et indifférente férocité de l’être :
“Stranger, traveler,
peer into our eyes & translate
the horrible barking of ancient dogs.”
« Etranger, voyageur
regarde-nous dans les yeux et traduis
l’horrible aboiement des chiens antiques. »
(Jim Morrison, Seigneurs et Nouvelles Créatures, p.218-219)
Indicible.
Entendu à la télé cette survivante d’une agression ce qu’elle a vu dans les yeux de cet homme, si elle n’avait pas bougé, si elle n’avait pas décidé de bouger, elle serait morte dit-elle elle n’a pas réellement dit ce qu’elle avait vu dans les yeux de l’homme, l’indicible, les ténèbres de ce que l’on ne peut pas dire.
Chiens antiques.
C’est peut-être ce qu’a voulu traduire H. P. Lovecraft : « l’horrible aboiement des chiens antiques », ces autres dieux, animaux, pures fascinations, pure volonté d’être, en dépit de nous, qui seuls pouvons les dire, ces innommables surgis des marais du temps, des cercles du temps où hurlent des chiens lointains, des loups et des cris.
Dog/god.
Le palindrome « dog/god » est peut-être une clé. Mais pour quelle porte ? Les humains ne chercheraient-ils pas à domestiquer leurs dieux comme on apprend l’obéissance à un chien ?
Dans ce cas, confisquons la parole des dieux, parlons en leur nom.
Ce que Lovecraft a dénoncé : les dieux, si lointains et étrangers soient-ils, n’agissent pas en fonction de notre grammaire. Leur syntaxe est barbare, indicible, intraduisible, absurde à notre entendement. Nous n’avons donc pas prise sur eux.
Langue.
Il est d’ailleurs que Dieu ne veut peut-être pas servir les hommes. Aussi se venge-t-il de notre volonté de puissance en mettant dans notre bouche la langue des malédictions, ou en rédigeant lui-même des malédictions que les anges malins sont chargés de faire appliquer.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 14 juin 2009