NOTES SUR ANDROMAQUE DE RACINE (ACTE II, SCENE 2)
Dans la scène 1 de l'acte II, Hermione et sa confidente, Cléone, ont une conversation sur l'avenir d'Hermione : va-t-elle quitter Pyrrhus et suivre Oreste ? Va-t-elle rester pour faire face à sa possible rivale, Andromaque, que Pyrrhus poursuit de ses assiduités. On se souvient qu'à l'Acte I, Pyrrhus avait accordé à Oreste la permission de s'entretenir avec Hermione (cf vers 245 : "Vous pouvez cependant voir la fille d'Hélène"). La scène 2 est consacrée à cette rencontre entre Hermione et Oreste :
HERMIONE
Le croirai-je, Seigneur, qu'un reste de tendresse
Vous fasse ici chercher une triste princesse ?
Ou ne dois-je imputer qu'à votre seul devoir
L'heureux empressement qui vous pousse à me voir ?
Est-ce l'amoureux ou est-ce le diplomate qui a demandé à rencontrer celle qui s'attribue le titre de "triste princesse" ?
Le ton de la première interrogative est presque plaintif ; la rime féminine ("tendresse" / "princesse") et l'emploi de l'allitération "s" (7 occurrences) ralentissent le rythme des vers.
Ceci dit, il ne faut pas, je pense, exagérer la plainte ; Hermione est assez noble pour dire les choses sans affectation, en les suggérant simplement.
Deux adjectifs épithètes nuancent le discours : "triste" qui, non sans humilité, présente Hermione comme un être malheureux et "heureux" que l'on peut voir ici comme une marque de politesse en même temps qu'un hommage timide à "l'empressement" d'Oreste.
Hommage timide que le très penaud Oreste ne semble pas relever :
ORESTE
Tel est de mon amour l'aveuglement funeste.
Cette première réplique est glaçante et l'on aurait pu s'attendre à un discours plus joyeux de la part de celui qui retrouve enfin celle qu'il aime tant.
Une "triste princesse" et un ambassadeur aveugle ! Quel couple ! : tragique, en effet !
Vous le savez, Madame ; et le destin d'Oreste
Est de venir sans cesse adorer vos attraits,
Et de jurer toujours qu'il n'y viendra jamais.
Pour Oreste, la figure du destin a pour nom Hermione.
Peut-être par désir de plaire, Oreste avoue à Hermione que sa passion est plus forte que sa volonté. Cet aveu signale au spectateur que Oreste ne peut s'empêcher d'aller vers ce qui lui cause du tourment ; en cela, il montre une certaine faiblesse et c'est dans cette inéluctable passion que se tient le personnage tragique.
Je sais que vos regards vont rouvrir mes blessures,
Que tous mes pas vers vous sont autant de parjures :
Je le sais, j'en rougis. Mais j'atteste les Dieux,
Témoins de la fureur de mes derniers adieux,
Que j'ai couru partout où ma perte certaine
Dégageait mes serments et finissait ma peine.
Les regards d'Hermione sont ainsi comparés à des poignards et approcher Hermione, c'est "se parjurer". Oreste est assez lucide pour juger de sa faiblesse amoureuse ; il en a même honte (cf : "j'en rougis") mais il prend les Dieux à témoin de son impuissance à fuir son destin.
Et, s'étant interdit d'approcher Hermione, puisqu'elle était alors à Pyrrhus, il a cherché la mort dans de lointaines aventures ; (en fait, Oreste ayant tué sa mère, - Clytemnestre -, fut pris ensuite de folie et, sur ordre d'Apollon, se rendit en Tauride, en plein territoire des redoutables Scythes qui s'adonnaient, pour passer le temps petit qu'il leur restait à vivre, aux sacrifices humains et autres jeux de société qui prouvent une fois de plus, mon cher Rousseau, que nous ne savons si l'homme est né bon, mais qu'en société, c'est clair, l'homme n'est qu'un vil corrompu, un massacreur, un affreux, et croyez-vous qu'il y mourut, que nenni non point, puisque sa soeur, Iphigénie, une autre grande tragique celle-là aussi, parvint à le sauver vu qu'elle avait le bras long puisqu'elle était prétresse d'Artémis, Mon Dieu Seigneur, quelle famille !) :
J'ai mendié la mort chez des peuples cruels
Qui n'apaisaient leurs dieux que du sang des mortels :
Ils m'ont fermé leur temple ; et ces peuples barbares
De mon sang prodigué sont devenus avares.
Il s'est donc offert en sacrifice à des "dieux" étrangers.
Cela ne pouvait qu'être un échec ; Oreste appartient aux Dieux grecs, aux Dieux de la tragédie qui n'abandonnent pas aussi facilement leurs proies humaines. Les deux vers qui suivent sont d'ailleurs très clairs et puisqu'il se trouve dans l'impossibilité d'aller mourir ailleurs, il ne lui reste plus qu'une solution :
Enfin je viens à vous, et je me vois réduit
A chercher dans vos yeux une mort qui me fuit.
Qu'il est donc funeste, cet amour d'Oreste pour Hermione, promesse de mort et qu'il est peu galant le compliment : Hermione pourrait porter malheur à celui qui l'aime...
On pourra noter qu'une fois encore, le substantif "yeux" est lié à l'idée de souffrance et de mort (cf vers 485 : "je sais que vos regards vont rouvrir mes blessures").
Mon désespoir n'attend que leur indifférence :
Ils n'ont qu'à m'interdire un reste d'espérance,
Ils n'ont, pour avancer cette mort où je cours,
Qu'à me dire une fois ce qu'ils m'ont dit toujours.
Voilà, depuis un an, le seul soin qui m'anime.
Madame, c'est à vous de prendre une victime
Que les Scythes auraient dérobée à vos coups,
Si j'en avais trouvé d'aussi cruels que vous.
Oreste se livre donc à Hermione comme on se livre à un Dieu de colère. Ainsi, après un an, Oreste n'a rien d'autre à dire que : "je viens à vous pour y chercher la mort". Le discours d'Oreste est ainsi uniquement centré sur lui-même et l'abondance des pronoms personnels et des adjectifs possessifs de la première personne renseigne assez sur l'auto-complaisance d'Oreste qui ne semble pas avoir relevé cet adjectif "triste" qu'Hermione a employé dès les premiers mots de leurs retrouvailles.
De plus comparer Hermione à un Scythe, c'est singuliérement manquer de bon sens et on peut se demander si Oreste a une bonne vue. D'ailleurs, à la fin de la pièce, ses hallucinations prouvent sans conteste qu'il a un sérieux problème oculaire, l'ambassadeur.
Hermione, qui doit commencer à sentir la moutarde lui taquiner les narines, tente alors de ramener ce prince pleurnichard à la réalité :
Quittez, Seigneur, quittez ce funeste langage.
A des soins plus pressants la Grèce vous engage.
Que parlez-vous du Scythe et de mes cruautés ?
Songez à tous ces rois que vous représentez.
Faut-il que d'un transport leur vengeance dépende ?
Est-ce le sang d'Oreste enfin qu'on vous demande ?
Dégagez-vous des soins dont vous êtes chargé.
Oreste effectivement est bien sot de vouloir expier des fautes qu'il n'a point commises, alors que ce qui est en jeu est d'abord le sang d'Astyanax, le fils d'Hector, puis le sang des combattants grecs, l'avenir d'Epire, le royaume de Pyrrhus, l'avenir d'Andromaque, l'avenir d'Hermione.
Alors euh hin bon, camembert, camarade !
Pourtant, Oreste est alors en position de force face à Hermione mais il n'en profite pas. Il parle en vaincu et s'apprête à quitter définitivement et, la mort dans l'âme, Hermione :
ORESTE
Les refus de Pyrrhus m'ont assez dégagé,
Madame : il me renvoie ; et quelque autre puissance
Lui fait du fils d'Hector embrasser la défense.
Ainsi voilà Hermione renseignée qui marque sa colère d'une exclamation :
L'infidèle !
Cette exclamation donne à penser qu'Hermione n'est pas indifférente à la trahison de Pyrrhus. C'est donc par dépit peut-être qu'elle envisage de suivre Oreste en quittant Epire.
Oreste se trouve pour l'instant dans une situation de double échec : il a échoué dans sa mission puisque Pyrrhus ne lui a pas cédé Astyanax et il a échoué sentimentalement, du moins en semble-t-il persuadé, et le voilà devant Hermione comme un accusé devant son juge :
ORESTE
Ainsi donc, tout prêt à le quitter,
Sur mon propre destin je viens vous consulter.
Déjà même je crois entendre la réponse
Qu'en secret contre moi votre haine prononce.
Hermione alors semble vouloir assurer ses arrières et rassurer cet amoureux transi sur l'affection qu'elle lui porte :
HERMIONE
Hé quoi ? toujours injuste en vos tristes discours,
De mon inimitié vous plaindrez-vous toujours ?
L'assonance [u] et la répétition de l'adverbe "toujours" donne au discours d'Hermione une tonalité presque moqueuse. Sans doute est-elle agacée mais s'efforce de ne pas le montrer :
Quelle est cette rigueur tant de fois alléguée ?
J'ai passé dans l'Epire, où j'étais reléguée :
Mon père l'ordonnait. Mais qui sait si depuis
Je n'ai point en secret partagé vos ennuis ?
Pensez-vous avoir seul éprouvé des alarmes ?
Que l'Epire jamais n'ait vu couler mes larmes ?
Enfin qui vous a dit que malgré mon devoir
Je n'ai pas quelquefois souhaité de vous voir ?
Hermione a ici fortement recours à l'interrogative, (à cinq reprises sans compter les tournures "qui sait " et "qui vous a dit"). Elle ne fait donc pas d'aveu direct à Oreste mais lui suggère que ses sentiments sont partagés. Elle modère son discours (cf l'emploi de l'adverbe "quelquefois") et semble excuser sa présence auprès de Pyrrhus en rappelant que c'est par obéissance à son père qu'elle se trouve "reléguée" "dans l'Epire". En outre, plus soucieuse qu'Oreste de l'état d'esprit de son interlocuteur, elle utilise à plusieurs reprises le pronom personnel de la deuxième personne du pluriel, le pronom "vous" qui oblige ainsi Oreste à répondre. Cela, en tout cas, suffit pour lui redonner de l'espoir à l'Oreste :
ORESTE
Souhaité de me voir ! Ah ! divine Princesse...
Pour Oreste, Hermione est une déesse qui a tout pouvoir sur lui.
Mais, de grâce, est-ce à moi que ce discours s'adresse ?
Ouvrez vos yeux : songez qu'Oreste est devant vous,
Oreste, si longtemps l'objet de leur courroux.
Les yeux, bien sûr, ces poignards de l'âme, qu'Oreste semble craindre plus que tout, comme un enfant fautif craint le regard de sa mère.
Oreste semble craindre l'égarement d'Hermione. Lui demander "d'ouvrir les yeux", c'est lui demander de confirmer que sa présence à lui n'est pas inopportune.
Le poisson mord à l'hameçon. Hermione l'enferre :
Oui, c'est vous dont l'amour, naissant avec leurs charmes,
Leur apprit le premier le pouvoir de leurs armes ;
Vous que mille vertus me forçaient d'estimer ;
Vous que j'ai plaint ; enfin que je voudrais aimer.
Elle est déchaînée, maintenant, la "triste princesse" mais le conditionnel "voudrais" modère la monture.
C'est d'ailleurs ainsi qu'Oreste l'interprète :
ORESTE
Je vous entends. Tel est mon partage funeste :
Le coeur est pour Pyrrhus, et les voeux pour Oreste.
C'est qu'il est prompt à mélancoliser, l'amoureux, et se contenter d'amours platoniques et lointaines tandis que Pyrrhus se pavane avec ses deux royales, Hermione et Andromaque, c'est effectivement difficile à accepter.
Hermione la comprend aussi, cette jalousie d'homme et réagit vivement :
HERMIONE
Ah ! ne souhaitez pas le destin de Pyrrhus :
Je vous haïrais trop.
Moi, je sais pas pour vous, mais pour ma pomme, si j'étais Oreste, je me méfierais ; c'est qu'elle comprend vite, Hermione et réagit vite itou ; d'ici à ce qu'Oreste devienne l'ombre de son ombre, l'ombre de sa main - qu'il ne manquera d'ailleurs pas de prendre sur la figure si jamais il s'intéresse trop aux petites suivantes grecques -, l'ombre de son chien, il y a peut-être pas si loin. (Je sens bien que ce n'est pas avec ce genre de style que je vais me faire référencer par les sites académico-universitaires mais rien qu'à la tronche des correcteurs des copies du bac à la lecture de ce type de commentaires, je ne puis m'empêcher d'avoir la banane ! qui aurait cru que Racine fût si poilant ? On nous avait caché ça !).
ORESTE
Vous m'en aimeriez plus.
Oreste prend aussitôt le contre-pied d'Hermione et se met à rêver à voix haute :
Ah ! que vous me verriez d'un regard bien contraire !
Vous me voulez aimer, et je ne puis vous plaire ;
Et l'amour seul alors se faisant obéir,
Vous m'aimeriez, Madame, en me voulant haïr.
Ô Dieux ! tant de respects, une amitié si tendre...
Que de raisons pour moi, si vous pouviez m'entendre !
Le mot "regard" (cf vers 541) est ici intéressant.
Comme nous l'avons vu, les yeux d'Hermione, ces "miroirs de l'âme" des poètes précieux, sont ressentis par Oreste comme autant de signes néfastes (cf v. 485 :"Je sais que vos regards vont rouvrir mes blessures" ; v. 495-496 :"... et je me vois réduit / A chercher dans vos yeux une mort qui me fuit") et lui-même comprend sa passion comme un "aveuglement funeste" (cf v. 481). Ce qu'il craint, c'est l'indifférence du regard qu'Hermione pourrait porter sur lui (cf v. 497 :"Mon désespoir n'attend que leur indifférence") et donc, l'aveu d'Hermione (cf v.527-528 :"Enfin qui vous a dit que malgré mon devoir / Je n'ai pas souhaité quelquefois de vous voir ?") jette Oreste dans un tel transport d'allégresse (cf v. 529 :" Souhaité de me voir ! Ah ! divine Princesse...") qu'il n'ose croire en sa bonne fortune et fait cette requête à Hermione :"Ouvrez vos yeux : songez qu'Oreste est devant vous, / Oreste, si longtemps l'objet de leur courroux" (v. 530-531).
Hermione, dès lors, utilise le motif du regard comme un outil argumentatif. Elle en a parfaitement compris l'importance et l'influence sur la psychologie d'Oreste qui apparaît ainsi comme un personnage hanté par le regard des autres. Hermione suggère donc à Oreste que, grâce à lui, elle a compris que dans ses yeux se cachait un grand pouvoir :"Oui, c'est vous dont l'amour, naissant avec leurs charmes, / Leur apprit le premier le pouvoir de leurs armes" (v. 532-533). La rime est intéressante qui révèle l'ambivalence du regard de la femme aimée : à la fois source de "charmes" et "armes" puissantes.
De quoi fasciner.
Ce dont rêve Oreste, c'est d'un regard aimant, le regard d'Hermione métamorphosé, un regard soumis à la loi amoureuse : "Ah ! que vous me verriez d'un regard bien contraire ! / (...) / Et l'amour seul alors se faisant obéir, / Vous m'aimeriez, Madame, en me voulant haïr." (v. 541, 543-544).
Il désire donc que la fascination qui le lie, malgré lui, à Hermione soit réciproque.
Fascination et non amour raisonné.
Mais il ne peut y avoir fascination sans exclusivité.
Oreste s'attaque donc à Pyrrhus :
Vous seule pour Pyrrhus disputez aujourd'hui,
Peut-être malgré vous, sans doute malgré lui,
Car enfin il vous hait ; son âme ailleurs éprise
N'a plus...
Il faut comprendre la forme "disputez" comme synonyme de "plaidez" (cf Andromaque, Presses Pocket, "Lire et Voir les classiques", note de Annie Collognat-Barès, p.53).
Oreste se montre ici assez lucide pour placer sur le même plan l'amour contraint d'Hermione (jalousie envers Andromaque, frustration d'être délaissée, sentiment d'un devoir d'épouse royale à accomplir) et l'indifférence de Pyrrhus. Le parallélisme est habile, et le vers moderne, "peut-être malgré vous, sans doute malgré lui" qui évoque certes le poids des conventions mais aussi ces actes auxquels on se voue, en contradiction avec nos désirs, et que dicte le principe de réalité.
Ce sur quoi, fort habilement, Oreste met l'accent, c'est sur la "haine" supposée de Pyrrhus pour Hermione cependant qu'il ne prononce pas le nom d'Andromaque, le remplaçant par le très vague "ailleurs".
Fort habile en effet : la haine peut précipiter Hermione dans ses bras alors que la présence d'Andromaque inciterait Hermione à rester en Epire pour y affronter sa rivale.
Hermione ne s'y trompe pas qui interrompt le discours trop explicite d'Oreste :
HERMIONE
Qui vous l'a dit, Seigneur, qu'il me méprise ?
Ses regards, ses discours vous l'ont-ils donc appris ?
Jugez-vous que ma vue inspire des mépris,
Qu'elle allume en un coeur des feux si peu durables ?
Peut-être d'autres yeux me sont plus favorables.
Promptement qu'elle rétorque, Hermione à cette évocation du "mépris" possible de Pyrrhus. Elle se montre même agressive, insistante, enchaînant les interrogatives et l'assonance [i] soulignée par les allitérations [k], [d], [p+r], [t] rend compte de cette vivacité de la réplique d'Hermione :
"Qui vous l'a dit, Seigneur, qu'il me méprise ?
Ses regards, ses discours vous l'ont-ils donc appris ?
Jugez-vous que ma vue inspire des mépris"
De fait, on a l'impression qu'elle demande des comptes à Oreste, reprenant la thématique du regard et renvoyant Oreste à sa fascination.
Mais pour l'instant, ce qu'il entend, Oreste, c'est le ton agressif d'Hermione qui semble même lui reprocher l'amour qu'il a pour elle (cf "Peut-être d'autres yeux me sont plus favorables") :
ORESTE
Poursuivez : il est beau de m'insulter ainsi.
Cruelle, c'est donc moi qui vous méprise ici ?
Vos yeux n'ont pas assez éprouvé ma constance ?
Je suis donc un témoin de leur peu de puissance ?
Je les ai méprisés ? Ah ! qu'ils voudraient bien voir
Mon rival, comme moi, mépriser leur pouvoir !
Oreste utilise l'ironie grinçante pour répondre à Hermione et désigne clairement Pyrrhus comme étant son "rival" cependant que la jalousie perce dans ses propos.
Deux thèmes ici constituent la réplique : celui du regard (cf "vos yeux", "leur peu de puissance", 'je les ai méprisés ?", "qu'ils voudraient bien voir", "leur pouvoir") lié au thème du mépris supposé d'Hermione (cf "il est beau de m'insulter ainsi", "qui vous méprise ici ?", "je les ai méprisés", "mépriser leur pouvoir").
Oreste le fasciné craint plus que tout le mépris d'Hermione et l'apparaître de ce mépris, le regard de la fille d'Hélène.
Celle-ci comprend la jalousie d'Oreste et s'empresse de le détromper en partie :
HERMIONE
Que m'importe, Seigneur, sa haine ou sa tendresse ?
Allez contre un rebelle armer toute la Grèce ;
Rapportez-lui le prix de sa rébellion ;
Qu'on fasse de l'Epire un second Ilion.
Allez. Après cela direz-vous que je l'aime ?
Ainsi pourrait se répéter l'histoire de Troie : Pyrrhus ne voulant, par amour pour Andromaque, consentir à la perte d'Astyanax risque de voir se liguer toute la Grèce contre lui de la même manière que le refus de rendre Hélène à Ménélas avait provoqué la coalition de tous les princes grecs contre Troie ("Ilion").
Ce qui est notable, c'est que, malgré sa position d'épouse délaissée, Hermione semble donner des ordres à l'ambassadeur de toute la Grèce (cf l'utilisation des impératifs).
L'enjeu des répliques, l'enjeu des batailles serait donc une femme : Hermione ou Andromaque ? Qui des deux plongera à nouveau le monde antique dans le sang et la fureur ?
Oreste alors lui propose une alliance :
ORESTE
Madame, faites plus, et venez-y vous-même.
Voulez-vous demeurer pour otage en ces lieux ?
Venez dans tous les coeurs faire parler vos yeux.
Faisons de notre haine une commune attaque.
Le regard d'Hermione encore comme preuve de son pouvoir sur les destinées humaines.
Mais Hermione ne peut se résoudre à laisser sa place à Andromaque :
HERMIONE
Mais, Seigneur, cependant s'il épouse Andromaque ?
Décidément, elle ne sait pas ce qu'elle veut !
ORESTE
Hé ! Madame !
Et Oreste ne sait plus quoi dire !
HERMIONE
Songez quelle honte pour nous
Si d'une phrygienne il devenait l'époux !
"Tout est perdu fors l'honneur" dirait un capitaine du XVIIIème siècle et Hermione prouve ainsi qu'elle ne peut quitter Pyrrhus.
Du coup, c'est Oreste maintenant qui semble lui demander des comptes :
ORESTE
Et vous le haïssez ? Avouez-le, Madame,
l'amour n'est pas un feu qu'on renferme en une âme :
Jolie sapience où le présent de vérité générale épouse les douze syllabes de l'alexandrin.
Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux ;
Et les feux mal couverts n'en éclatent que mieux.
Mais c'est qu'il file la métaphore, en attendant de filer le parfait amour, l'ambassadeur !
Donc Oreste demande à Hermione d'avouer que sa passion pour Pyrrhus est plus grande que son dépit de femme délaissée.
Hermione va alors tenter le tout pour le tout :
HERMIONE
Seigneur, je le vois bien, votre âme prévenue
Répand sur mes discours le venin qui la tue,
Toujours dans mes raisons cherche quelque détour,
Et croit qu'en moi la haine est un effort d'amour.
Autrement dit, "mon petit Oreste, vous commencez à être un peu lourd, là, avec vos soupçons perpétuels !"
Il faut donc m'expliquer : vous agirez ensuite.
Vous savez qu'en ces lieux mon devoir m'a conduite ;
Mon devoir m'y retient, et je n'en puis partir
Que mon père ou Pyrrhus ne m'en fasse sortir.
Hermione ne pouvant décider seule, - c'est une femme ! -, elle est bien obligée d'attendre la suite des événements et attend qu'Oreste, qui parle beaucoup, - vous me direz, c'est son métier ! -, prenne un peu le taureau par les cornes !
Voici ce qu'elle propose car, en fin de compte, c'est tout de même elle qui décide, - c'est une femme ! - :
De la part de mon père allez lui faire entendre
Que l'ennemi des Grecs ne peut-être son gendre :
Du Troyen ou de moi faites-le décider ;
Il faut que Pyrrhus cède Astyanax aux Grecs s'il veut conserver Hermione.
Qu'il songe qui des deux il veut rendre ou garder ;
Enfin qu'il me renvoie, ou bien qu'il vous le livre.
Adieu. S'il y consent, je suis prête à vous suivre.
Notons qu'Hermione ne manque pas de rappeler l'origine troyenne d'Astyanax, le désignant ainsi comme l'ennemi héréditaire de tous les Grecs.
Le marché est clair et à vue de nez semble être en faveur d'Oreste.
Pyrrhus consentira-t-il à se rendre aux injonctions de Ménélas, le père d'Hermione, et se détournera-t-il d'Andromaque ?
Oreste, une fois de plus sera-t-il obligé d'aller porter ailleurs son coeur, sa tête, ses jambes et tout ce qui fait qu'un homme est un homme, ou, aux côtés de la fascinante Hermione, ira-t-il chercher lui-même Pyrrhus au coeur de son palais pour lui couper les c... euh pour lui arracher le coeur, et le donner tout palpitant aux chiens dévorants (mais qu'est-ce que je raconte, moi ?).
Pour le savoir, ne manquez pas les antiques aventures d'Andromaque, sur des dialogues de Jean Racine...
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 13 février 2006