MYSTIC
Notes sur Mystic de Sylvia Plath, poème du recueil Winter Trees (Arbres d'hiver) publié en édition bilingue dans la collection Poésie/Gallimard (cf La Traversée précédé de Arbres d'hiver, p. 210-211).
Les citations faites ici du texte figurent en caractères gras.
Les passages traduits par Françoise Morvan figurent en italiques.
Le poème commence par une saturation.
La narratrice s'attaque à l'un des éléments fondamentaux : celui de l'air décrit comme s'il était peuplé d'une armée d'invisibles qui chercheraient à vous happer, vous harponner, vous crocheter, vous faire passer dans le néant puisque, -le singulier le souligne-, il n'y a pas de réponse :
The air is a mill of hooks -
Questions without answer,
L'air est tissé d'hameçons,
Zébré de questions sans réponse
Que la lourde ivresse d'être à ce monde où l'air est livré aux "taons, étincelants, saouls, / Dont les baisers virulents brülent / Dans le ventre fétide et noir de l'air d'été sous les pins."
Glittering and drunk as flies
Whose kiss stings unbearably
In the fetid wombs of black air under pines in summer.
Monde obscène des "baisers virulents".
Monde qui pue la mort, la charogne.
Mort qui pue l'être mourant.
Le poème Mystic est réparti en 6 strophes de 5 vers plus un vers isolé qui en constitue la fin.
Dès la deuxième strophe, Sylvia Plath trace une piste problématique :
Once one has seen God, what is the remedy ?
Dès lors qu'on a vu Dieu, quel remède ?
La question est réïtérée au vers 15 : What is the remedy ?
Ce n'est pourtant pas une morte qui pose la question, mais une vivante, une poétesse.
La strophe 4 est particulièrement ironique, désespérée.
Quel est le remède au sentiment du néant, le remède à la souffrance du deuil, à la conscience du caractère obscène de la mort ?
Sylvia Plath, par l'ironie de ses questions rhétoriques, semble refuser la consolation de la foi :
The pill of the Communion tablet,
The walking beside still water ? Memory ?
Or picking up the bright pieces
Of Christ in the faces of rodents,
The tame flowers-nibblers, the ones
Whose hopes are so low they are comfortable -
Le cachet à prendre à la Sainte Table?
La marche au bord des eaux ? La mémoire?
Ou l'art d'assembler les reflets du Christ
Sur le faciès des rongeurs,
Radoteurs, gobeurs de bluettes
Aux espoirs si bas qu'ils en sont confortables -
Scepticisme. Donc lucidité :
Does the sea
Remember the walker upon it ?
La mer se souvient-elle
De celui qui marchait sur elle ?
La question est presque comique : est-ce que l'eau salée se souvient du Christ marchant sur l'eau ? Elle est presque comique mais rappelle que la divinité est un concept humain.
On peut penser que les dieux sont pour nous des outils qui nous permettent d'échapper à l'obscénité d'une réalité vouée aux mouches. Outils éthiques, outils politiques, les dieux font oeuvre universelle et empêchent les êtres humains de tout à fait sombrer dans la folie meurtrière. Les dieux sont les gestionnaires avisés et fatalistes (-forcément !-) de nos conflits.
Mais en dehors des dieux ? Le "ventre fétide et noir" du Seigneur des mouches dans "l'air d'été sous les pins".
Je me souviens de la couverture d'un roman d'Agatha Christie publié dans les années 70 par le Club des Masques. Il s'agissait du Cadavre dans la Bibliothèque et l'on y voyait une mouche posée sur le pied nu de ce que l'on comprenait être un cadavre, cela joliment bien fait, -mouche rutilante et ongles peints-, à laisser imaginer que le cadavre était celui d'une jeune femme et que l'histoire racontée se déroulait dans l'élégance des énigmes policières d'une Angleterre rêvée, filée du fil blanc des fantasmes.
Mais si la couverture était si intéressante, c'est qu'elle nous rappelait que la mort était affaire de mouches, d'insectes, de viande :
Meaning leaks from the molecules.
Le sens découle des molécules
précise Sylvia Plath en manière de réponse.
Affaire de douleur. De deuil. De vie quotidienne :
The chimneys of the city breathe, the window sweats,
The children leap in the cots.
The sun blooms, it is a geranium.
The heart has no stopped.
La vitre sue, les cheminées respirent sur la ville
(Le texte est daté du 1er février 1963, à quelques jours du suicide de Sylvia Plath, -le 11 février-; dans ses Notes (op. cit. p.275), Françoise Morvan indique que Mystic évoque la disparition du père de Sylvia, Otto Plath qui meurt le 5 novembre 1940, Sylvia étant alors ägée de 8 ans.)
Les enfants sautent sur leurs lits
Le soleil fleurit, c'est un géranium
Le coeur ne s'est pas arrêté.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 29 juin 2005