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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 00:59

FRONDE

ADRASTE
Ce belître (1) insolent (2) me fait encore bravade.

LYSE
A ce compte, Monsieur, votre esprit est malade ?

ADRASTE
Malade, mon esprit ? (3)

LYSE
                                       Oui, puisqu'il est jaloux (4)
Du malheureux agent de ce prince des foux. (5) (7)
    (Corneille, L'illusion comique, Acte II, scène 8, vers 565-568)

(1)
Quand je ne peux plus supporter mon visage, je l'arrache. Je le froisse et le mets en boule et le jette dans la corbeille à visages. Aussitôt sur ma face de sang je prends un visage tout neuf ; je fais dès lors une toute autre figure. Cela n'a qu'un temps, bien sûr.

(2)
Je suis plein d'insolences comme un chien grouille de puces. Partant, je suis mauvais chien et mauvais camarade.

(3)
La vivacité des répliques est une des plus jolies choses de L'illusion. Ici, le chiasme ("votre esprit est malade" / "malade, mon esprit") construit cette vivacité ; ce sont attaque et parade de savante escrime. Le gentilhomme Adraste est peut-être assez épaté que la servante Lyse lui parle avec une telle franchise. Il est vrai que les servantes sont bien plus puissantes que les valets de comédie et ont ce pouvoir de faire progresser l'action.

(4)
Lyse aussi est jalouse. Elle se sent dédaignée par Clindor et va dans cette scène révéler à Adraste, amoureux d'Isabelle, que celle-ci la belle en pince pour le valet Clindor : "Si j'ose vous le dire / Ce n'est plus que pour lui qu'Isabelle soupire." (vers 577-578). L'esprit de Lyse est donc tout aussi malade de jalousie que celui d'Adraste.

(5)
Comment en effet être jaloux de ce qui n'est jamais qu'un complément : "Oui, puisqu'il est jaloux / Du malheureux agent de ce prince des foux." Ce vers 568 définit de façon dépréciative l'apparence de Clindor : un complément d'objet ("du malheureux agent") suivi d'un complément de nom ("de ce prince des foux"). Clindor est ainsi réduit à sa fonction : il n'est jamais que le valet d'un nom ridicule, - celui de Matamore -, et est ainsi déterminé à n'être que l'ombre d'une ombre. (6)

(6)
En grammaire française, le complément de nom est aussi appelé complément de détermination.

(7)
"jaloux" / "foux" : rime pour l'oeil. Il est assez révélateur que la poésie, et même la plus classique, la plus respectueuse en apparence des règles, n'hésite pas à bousculer l'orthographe pour les besoins de sa cause. La poésie est une fronde sans doute au beau royaume du langage.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 7 octobre 2007

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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 00:54

CADEDIOU !

MATAMORE
Cadédiou (1) (2) ! ce coquin a marché dans mon ombre (3) ;
Il s'est fait tout vaillant d'avoir suivi mes pas (4) :
S'il avait du respect, j'en voudrais faire cas.
    Ecoute, je suis bon (6), et ce serait dommage
De priver l'univers (7) d'un homme de courage.
Demande-moi pardon et cesse par tes feux (8)
De profaner l'objet digne seul de mes voeux (9) :
Tu connais ma valeur, éprouve ma clémence.
    (Corneille, L'illusion comique, Acte III, scène 9, v.942-949)

(1)
D'après les Classiques Larousse (édition de Marc Fumaroli) "cadédiou" est un "juron gascon" qui signifie "tête-Dieu".
"Cadédiou ! Ses valets feraient quelque insolence" s'exclame Matamore au vers 745. Le juron, marqueur de virilité, annonce cependant chez Matamore le refus d'en découdre, ou même la simple crainte d'avoir à en découdre.

(2)
"Cadédiou ! " fit-il en espagnol et en roulant les "r". C'est mon professeur de français de classe de première qui disait cela, de temps à autre, pour nous faire sourire, nous les ennuyés de l'adolescence.

(3)
Mon ombre est toute agitée et gigue toute seule !
      Regardez la à swinguer sous le jazz haut des feuilles ;
      Sûr que je n'aurais pas dû boire tant de café :
      Voilà mon ombre sur les murs qui s'met à skater.

(4)
Les rues sont pleines de pas
      Pas perdus pas pressés pas
      Un chat dans les rues l'hiver (5)

(5)
L'hiver, en lisant Desnos, j'aime à désosser
      Les chevaliers qui s'bousculent dans l'escalier
      Puis dans le ciel froid je vais à la poste d'hier
      Télégraphier tibias, rotules et fractures.

(6)
L'hiver, il faut s'en mitonner, de bons
      Petits plats et faire chauffer le vin.
      "Ecoute, je suis bon", c'est moi l'jambon
      Que l'on met dans les pâtes au gratin.
        (Philippe Meirieu, Prolégomènes à un référentiel des Bio-services)

(7)
L'univers, paraîtrait qu'il pourrait tenir tout
      Entier dans quelque grain de sable ou de raisin.

(8)
Et le jambon, c'est bon aussi avec des oeufs
      Que l'on cuit sur le plat, franchement c'est fameux !
      Avec des pâtes ou des frites, délicieux
      Qu'c'est ! Mais vrai ! aucun rapport avec le mot "feux".

(9)
Dieu, dit-on, de peur d'oublier quelque chose, fait parfois aux étoiles quelques noeuds. C'est ainsi qu'il crée les constellations.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 24 septembre 2007

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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 00:49

IL ETAIT LA AUSSI LE PATERNEL
Tout ce qui figure ci-dessous entre guillemets est de Pierre Corneille (L'Illusion comique), le reste est de ma pomme.

Il était là aussi le paternel, vu que c'était lui qui en avait besoin des mirobolantes facultés du mage, rapport à ce qu'il avait paumé son grand fils, Clindor, un peu dans la nature.
Il larmoyait donc, parlant de son "cher fils", "ce cher objet" de ses "inquiétudes" qu'avaient "éloigné" de lui "des traitements trop rudes".
C'est vrai qu'il avait pris ce pli, le Clindor, d'aller chaque samedi draguer des poufiasses en boîte de nuit et, la semaine, d'écouter toute la nuit de la musique à faire fuir les honnêtes gens et leurs vaches en jouant à des imbécilités de jeux de panpan t'es mort ! sur son ordinateur que même que c'était sa tata Phèdre qui lui avait offert avec les droits d'auteurs de son dernier bouquin (Le jour n'est pas plus pur, Agamemnon and Co Editeurs).
Du coup :
- "Sous ombre qu'il prenait trop de licence,
    Contre ses libertés je roidis ma puissance ;
    Je croyais le dompter à force de punir,
    Et ma sévérité ne fit que le bannir."

Mais, évidemment, une fois que le grand couillon se fut tiré, il en est resté comme deux ronds de flan, le Pridamant (c'est le nomine du pater) :
- "Je l'outrageais présent et je pleurais sa fuite,
    Et l'amour paternel me fit bientôt sentir
    D'une injuste rigueur un juste repentir."

Bref, il s'était mis à l'amérement regretter, la chair de sa chair, l'oeil de son oeil, le poulet de sa couvée, le veau de son pré, la mie de son pain, la rime de son coeur, la raison de ses nuits sans sommeil et de ses maux d'estomac, il se mit donc en quête du rejeton évanoui.
Pendant dix ans qu'il courut donc la France et ses auberges, et ses musées, et ses touristes allemands en bermuda qui s'épatent devant la Joconde et Jean-Paul Gaultier.
Il alla même jusqu'aux enfers des officines les plus marabouteuses, devineresses, cartomanciennes, gloglomanciennes où il pauma beaucoup de sous et pas mal d'illusions vu qu'il n'en apprit rien des zélateurs de l'occulte, muets soudain comme un président américain devant un texte de Kafka quand il leur fallait répondre ou ne répondant rien qu'afin de le "confondre".
Bref, il entendit causer d'Alcandre, le fameux mage dont on faisait grand cas dans certains milieux, - surtout ceux du théâtre -, et décida donc de s'en remettre à lui.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 17 août 2006

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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 00:45

DONC, IL S'AGISSAIT D'UN MAGE

Donc, il s'agissait d'un mage, et pour le présenter, il fallait d'abord évoquer l'espèce de "grotte obscure" où il demeurait :

"La nuit qu'il entretient sur cet affreux séjour,
  N'ouvrant son voile épais qu'aux rayons d'un faux jour,
  De leur éclat douteux n'admet en ces lieux sombres
  Que ce qu'en peut souffrir le commerce des ombres".
    (Corneille, L'Illusion comique, vers 3 à 6)

Autrement dit, il faisait noir, sombre, obscur et c'était là le domaine des ombres ; du coup, valait mieux pas s'approcher rapport à ce que le périmètre était sérieusement piégé : pièges à loup, attrape-couilles, griffe-mollet, disques de rap, féticheur jeteur de mauvais oeils, marabout cadavéreur, psychologue scolaire, bref de quoi assassiner son chrétien aussi bien qu'un discours d'un leader d'extrême-droite, et même que "cette large bouche" qui ouvrait la grotte n'était en fait qu'un "mur invisible" fatal à tout outrepassant because l'air y était aussi vicié que dans une réunion d'amateurs de cassoulet.
Vous fûtes prévenu et zut tant pis pour vous si vous êtes mort.
Cependant, il n'est de Paris sans bon bec (j'aime bien ce genre d'expression dont le sens m'échappe mais qui sonne juste assez vieillot pour faire savant), il n'est d'université sans parlote, ni de Mère Michel sans son chat, ni de Père Ubu sans sa gidouille, ni de fonctionnaire sans tampon encreur non plus que d'homme politique sans promesses, il ne fut donc non plus d'ermite sans promenade et nous en fûmes avertis :

"Chaque jour il se montre, et nous touchons à l'heure
  Où pour se divertir, il sort de sa demeure."
    (Corneille, L'Illusion comique, vers 17-18)

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 16 août 2006

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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 00:35

D'ABORD, IL EVOQUA

Où l'on voit que l'auteur est quelque peu remonté.

"Ce mage, qui d'un mot renverse la nature,
  N'a choisi pour palais que cette grotte obscure."
    (Corneille, L'Illusion comique)

D'abord, il évoqua je ne sais quel mage qui "d'un mot renverse la nature", - je compris que c'était un de ces hommes qui s'amusent avec l'analogie, mettant en haut ce qui est en bas et en bas ce qui est en haut, ou alors un tempestaire, un des ces légendaires qui commandent aux vents de souffler, à la pluie de tomber, à la foudre de frapper.
Ce qui était curieux, c'est que ce si puissant, qui, grâce à ses dons, aurait pu vivre comme un pacha, - pas difficile de faire du racket quand on sait l'art de déchaîner les éléments -, n'avait "choisi pour palais que cette grotte obscure".
C'était donc un solitaire, un de ces misanthropes qui préfèrent l'enfer des banlieues aux cercles mondains et l'humble demeure où l'on se fait oublier aux plus brillants des hôtels particuliers.
Il est vrai que pour bien se perfectionner dans un art, il vaut mieux savoir rester seul, - comme Monsieur de Sainte-Colombe avec son instrument de musique à faire revenir les morts - et je me demande d'ailleurs si nos politiques actuels ne doivent pas leur médiocrité obstinée à cette obligation que les médias leur font d'être toujours "sur le devant de la scène" comme on dit. C'est qu'ils en oublient souvent de réfléchir, à répondre sans cesse à des journalistes forcément complaisants (sinon, ils se font virer comme des malpropres ou de vulgaires thierry ardisson (1)), c'est qu'ils en oublient souvent que être pauvre, cela signifie, Monsieur le Sous-Préfet, ne pas savoir payer sa facture d'eau ou d'électricité, être obligé d'aller faire des sourires à son interlocuteur bancaire que l'on déteste mais que l'on est bien obligé d'aller voir vu qu'on est dans le rouge trois semaines sur quatre, cela signifie que malgré que l'on soit bien brave, pas méchant et tout, parfois on se dit que y en a marre des impôts, locaux ou pas, des crédits incroyables accordés aux universités, tout ça pour former des caissières de supermarché ou des animateurs socio-culturels, ou des professeurs de pas grand chose en attendant que les chiffres du chômage baissent et que les communistes se rachètent des cervelles, qu'il y en a marre d'être toujours pris pour des vaches à lait tandis que de bonnes âmes bien associatives nous expliquent que nous devons tous être solidaires. Pour ma part, je suis solidaire de mes couilles et de mes chiens ; le reste, je m'en bats l'oeil, sauf pour ce qui est des praticiens étrangers, sous-payés et interdits de Conseil de l'Ordre alors qu'ils font le boulot que beaucoup d'étudiants français ne veulent plus faire, préférant émarger à l'éducation nationale ou aux impôts plutôt que de devenir chirurgien ou anesthésiste (2).

Notes du 16 août 2006 
:

(1) Ne vous inquiétez cependant pas pour eux, les journalistes virés et autres présentateurs vedettes, rien qu'avec leurs indemnités de licenciement, vous pourriez payer largement toutes vos dettes et mêmes les études de sociologie de l'aîné(e) qui vient d'avoir son bac parce que sinon ça prouverait que l'éducation nationale ne fonctionne pas bien et que Meirieu est un âne (tiens, ça faisait longtemps !).

(2) C'est vrai qu'avec les primes d'assurances qui, dans le secteur médical, grimpent à toute allure (jusqu'à des 20-30 000 euros par an, qu'elles disent les blouses blanches aux informations), on comprend que beaucoup de bacheliers se disent :"Bof, je vas aller faire semblant d'être efficace à France Telecom ou à la Poste, moi, c'est moins risqué que d'opérer à coeur ouvert des gens qui, si ça se trouve, n'ont pas payé leur taxe d'habitation et votent Le Pen ou Besancenot" (3).

(3) Olivier Besancenot : activiste intérimaire. (4)

(4) Note du 1er février 2009 : Entre-temps, Olivier Besancenot est devenue une vraie vedette de l'opposition au président Sarkozy (si ! si ! habitants des autres planètes, il y est arrivé !).

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 16 août 2006

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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 00:22

NUIT

La nuit : l’absence de lumière ; le non-lieu de la lumière ; en est-elle absolument absente ? Elle peut y être tolérée, et même désirée (cf « une lueur dans la nuit »). La nuit sans lumière aucune est appelée « nuit noire ».

« La nuit qu’il entretient sur cet affreux séjour,
   N’ouvrant son voile épais qu’aux rayons d’un faux jour,
   De leur éclat douteux n’admet en ces lieux sombres
   Que ce qu’en peut souffrir le commerce des ombres. »
   (Corneille, L’illusion comique, vers 3-6)

Présentant à Pridamant le lieu du mage, Dorante en souligne l’obscurité :

« Ce mage, qui d’un mot renverse la nature,
   N’a choisi pour palais que cette grotte obscure. »
   (L’illusion comique, vers 1-2)

C’est donc dans une nuit soigneusement entretenue que se tient le mage. Il s’agit ainsi de favoriser le « commerce des ombres », la fréquentation des esprits qui se manifesteraient d’autant mieux que l’obscurité de la grotte leur fournirait ainsi la continuité des ténèbres où elles demeurent habituellement. La nuit est ainsi le médium de la manifestation spectrale.

Eclipse de la lumière. Voilà comment Matamore tourne une éclipse du soleil en merveille amoureuse, en fantasme de puissance sur le jour lui-même :

« Le Soleil fut un jour sans pouvoir se lever,
   Et ce visible Dieu que tant de monde adore,
   Pour marcher devant lui ne trouvait point d’Aurore :
   On la cherchait partout, au lit du vieux Tithon,
   Dans les bois de Céphale, au palais de Memnon ;
   Et faute de trouver cette belle fourrière,
   Le jour jusqu’à midi se passa sans lumière.

CLINDOR
   Où pouvait être alors la reine des clartés ?

MATAMORE

   Au milieu de ma chambre, à m’offrir ses beautés.
   Elle y perdit son temps, elle y perdit ses larmes ;
   Mon cœur fut insensible à ses plus puissants charmes ;
   Et tout ce qu’elle obtint pour son frivole amour
   Fut un ordre précis d’aller rendre le jour.

CLINDOR
   Cet étrange accident me revint en mémoire ;
   J’étais lors en Mexique, où j’en appris l’histoire,
   Et j’entendis conter que la Perse en courroux
   De l’affront de son Dieu murmurait contre vous. »
   (L’illusion comique, Acte II, scène 2, vers 296-312)

La nuit est donc aussi un jour sans lumière. De quoi courroucer la Perse et tous les peuples qui ont divinisé le soleil. Qui veut attenter au Soleil ou même se mesurer au Soleil est donc coupable. On peut penser que la société française commence à se laïciser, à sortir de l’entretien scrupuleux des mystères à partir de ce postulat de Louis XIV : Le Roi des Français doit briller comme le soleil, être en toute chose assimilé au soleil, devenir "ce visible Dieu que tant de monde adore".

Là commença la transparence du politique. Par la mascarade dansante. L'illusion solaire. La scène. Tous ceux qui voulurent en revenir aux pratiques occultes d’un Etat retranché ne purent pérenniser leur pouvoir. Il est remarquable que cette naissance de la modernité politique française se soit faite sur le mode de la représentation, par la reconnaissance du théâtre comme mode de penser et façon d'être.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 juillet 2008

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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 00:17

CHÂTIMENT ONTOLOGIQUE

"Mon ombre chaque jour viendra t'épouvanter"
  (Corneille, L'illusion comique, vers 1016, Acte IV, scène 2)

Clindor, le pseudo-valet de Matamore, pour avoir tué son rival, le gentilhomme Adraste, est condamné à la peine capitale. Isabelle, désespérée, en veut à son père, Géronte, qui a d'abord repoussé Clindor, avant de l'avoir fait arrêter. Elle envisage donc de mourir à son tour :

"Mais en vain après toi l'on me laisse le jour;
  Je veux perdre la vie en perdant mon amour :
  Prononçant ton arrêt, c'est de moi qu'on dispose;
  Je veux suivre ta mort, puisque j'en suis la cause,
  Et le même moment verra par deux trépas
  Nos esprits amoureux se rejoindre là-bas."
  (L'illusion comique, vers 1003-1008)

Et, une fois passée là-bas, elle promet de revenir "épouvanter" Géronte.
C'est qu'une ombre sans corps, qui partout vous suivrait, glissant le long de tous les murs, surgissant des angles de chaque pièce, est en effet une promesse d'épouvante, de lancinant tourment. Ainsi, l'ombre survit au corps, et de même qu'elle se rencontre partout, en plein soleil comme au clair de lune, une fois détachée du corps, elle a cette faculté de continuer à être.
Le corps est donc l'étant, et l'ombre l'être.
Et c'est alors un châtiment ontologique qui attend Géronte :

"Mon ombre chaque jour viendra t'épouvanter,
  S'attacher à tes pas dans l'horreur des ténèbres,
  Présenter à tes yeux mille images funèbres,
  Jeter dans ton esprit un éternel effroi,
  Te reprocher ma mort, t'appeler après moi,
  Accabler de malheurs ta languissante vie,
  Et te réduire au point de me porter envie."
  (L'illusion comique, vers 1016-1022)

C'est le travail de deuil imaginé par la candidate au suicide. Une telle colère dans les sentiments pourrait bien être l'indice d'un véritable amour de la fille pour le père, puisque, après tout, elle souhaite qu'une fois morte, Géronte se reproche sa mort et l'appelle, puis, accablé "de malheurs", traînant une "languissante vie", en vienne à avoir, lui aussi, "envie" de mourir. Ce qui serait une manière de rejoindre Isabelle et Clindor dans un autre théâtre, celui des ombres, sur une autre scène, celle des amours mortes.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 mai 2008

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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 00:07

DESORDRE

"Juge un peu quel désordre aux yeux de ma charmeuse"
(Corneille, L'illusion comique, vers 757, Acte III, scène 4)

La "charmeuse", c'est Isabelle. Matamore en est amoureux. Ce qu'il craint, en ce vers, c'est de faire paraître le "désordre" aux yeux de la belle. L'hyperbolique Matamore s'inquiète des "feux", des éclats de lumière que son épée, une fois sortie du fourreau, afin d'effrayer quelques valets, pourrait lancer :

"CLINDOR
  Ce fer a trop de quoi dompter leur violence.

  MATAMORE
  Oui, mais les feux qu'il jette en sortant de prison
  Auraient en un moment embrasé la maison,
  Dévoré tout à l'heure ardoises et gouttières,
  Faîtes, lattes, chevrons, montants, courbes, filières,
  Entretoises, sommiers, colonnes, soliveaux,
  Pannes, soles, appuis, jambages, travetaux,
  Portes, grilles, verrous, serrures, tuiles, pierre,
  Plomb, fer, plâtre, ciment, peinture, marbre, verre,
  Caves, puits, cours, perrons, salles, chambres, greniers,
  Offices, cabinets, terrasses, escaliers."
  (L'illusion comique, vers 746-756)

C'est donc, cette épée, un genre d'excalibur de l'excellente série Kaamelott d'Alexandre Astier dont on peut suivre les épatants épisodes du lundi au vendredi sur M6 vers 20h. 30, elle-même, l'épée merveille d'Arthur, parodiant l'épée laser des cosmiques guerriers de La Guerre des Etoiles.
Désordre
dit-il, Matamore, cependant qu'il vient de déstructurer toute une maison, de façon très ordonnée, en 7 alexandrins et un hémistiche, du toit ("ardoises et gouttières") jusqu'aux "caves" et toutes les pièces et tous les accès ("Caves, puits, cours, perrons, salles, chambres, greniers, / Offices, cabinets, terrasses, escaliers"), détaillant même les matières de la maison menacée ("pierre, / Plomb, fer, plâtre, ciment, peinture, marbre, verre").
Dévorants, les feux, et étouffants aussi :

"Juge un peu quel désordre aux yeux de ma charmeuse ;
  Ces feux étoufferaient son ardeur amoureuse."
  (Illusion comique, vers 757-758)

D'habitude, ce sont les "yeux" qui jettent des "feux". Ici, les "feux" sont séparés des "yeux", antagonistes même. Ils en sont les ennemis au point d'en étouffer "l'ardeur amoureuse" qui pourrait s'y lire. "Ardeur amoureuse" d'Isabelle qui, à l'égard de Matamore, n'existe pas. Il s'illusionne, le fanfaron, et se donne de fausses raisons pour ne pas affronter le regard de la belle. Matamore est ainsi un être de mauvaise foi, qui préfère vivre dans l'illusion plutôt que d'affronter la réalité.

Note du 2 février 2009
: Entre-temps, la série Kaamelot s'est évaporée des étranges lucarnes non sans avoir laissé un dernier épisode sous forme de téléfilm aussi drôle que profond (si ! si!) : on y voit un Arthur en quête de lui-même repasser par son passé, comme quoi le Graal, c'est peut-être rien d'autre que la clé de notre humaine condition. Après tout, qui pense sérieusement que la vérité est joyeuse, la vérité, celle des philosophes, est peut-être infiniment triste, très tragique même, si ça se trouve, la vérité...

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 mai 2008

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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 00:01

ILLUSIONS

"Jugez plutôt par là l’humeur du personnage :
  Ce page n’est chez lui que pour ce badinage,
  Et venir d’heure en heure avertir Sa Grandeur
  D’un courrier, d’un agent, ou d’un ambassadeur."
        (Corneille, L’IIlusion comique, vers 477-480)

Clindor se moque de Matamore, en dénonce les mises en scène. L’Illusion comique est une pièce sur la représentation : la mise en scène du théâtre et de sa charge d’émotions, mais aussi la mise en scène des illusions humaines. L’Illusion ne peut donc qu’être « comique » (le grotesque de Matamore en est l’un des ressorts essentiels) autant que tragique (cf le monologue de Clindor en prison à la scène VII de l’Acte IV).

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 31 mars 2007

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1 février 2009 7 01 /02 /février /2009 23:57

IMPUISSANCE DE MATAMORE
Notes sur L'illusion comique de Corneille

"Tu connais ma valeur, éprouve ma clémence."
    (Acte III, Scène 9, vers 949)

Matamore s'adressant à son valet Clindor imite ici le style de la tragédie.
Ce qui le caractérise, Matamore, c'est son impuissance à se hisser au niveau du discours héroïque qu'il prétend incarner.
A la scène 9 de l'acte III, la rivalité Matamore/Clindor (tous deux se disent amoureux d'Isabelle) en arrive au point où Clindor est sur le point de se battre en duel avec son "patron" :

"Plutôt, si votre amour a tant de véhémence,
  Faisons deux coups d'épée au nom de sa beauté."
    (vers 950-951)

Matamore, bien entendu, ne va pas saisir l'occasion qui lui est offerte de prouver sa vaillance et, illico, s'empresse d'abandonner tout espoir de conquête du coeur d'Isabelle :

"Parbleu, tu me ravis de générosité.
  Va, pour la conquérir n'use plus d'artifices ;
  Je te la veux donner pour prix de tes services ;
  Plains-toi dorénavant d'avoir un maître ingrat !"
    (vers 952-955)

On notera le juron faussement viril ("parbleu") censé masquer la couardise du fanfaron sous une apparence de bonhomie.
De plus, l'offre de Matamore est assez insultante pour Isabelle qu'il prétend donner à son valet comme si elle n'était qu'un gage, une prime accordée à un serviteur méritant.
Cette offre si "généreuse" de Matamore révèle non seulement sa lâcheté mais aussi son impuissance.
Le fanfaron est dans l'incapacité permanente et ne peut se hisser au niveau de son propre discours. Il n'est lui-même que dans la fuite et reste toujours en-deçà et du discours héroïque et du discours amoureux.
Il est impuissant dans son désir comme il est impuissant à se battre.
C'est en cela que Matamore est la parfaite antithèse du Dom Juan de Molière qui n'a de cesse de passer à l'acte en séduisant le plus de femmes possibles comme en prouvant sa valeur au combat.
Cependant, nul n'est dupe des fanfaronnades et on ne paie que de flatteries les actions d'un maître trop faible :

"A ce rare présent, d'aise le coeur me bat.
  Protecteur des grands rois, guerrier trop magnanime,
  Puisse tout l'univers bruire de votre estime !"
    (vers 956-958)

Qu'il lui dit alors, Clindor, aux anges, évidemment.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 18 janvier 2007

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