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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 16:57

« COMME UN VEAU SOUS LA LUNE »

« Triste et gras l’œil gonflé par une perle opaque
   le verbe alourdi par les venaisons
   touffu comme une étoile louche
   tout fou comme un veau sous la lune court »
   (André Frénaud, Autoportrait, cité dans, Pierre Seghers, Le livre d’or de la poésie française contemporaine de A à H, p.314)

Le mot relève du lexique de la peinture. Intituler un poème « Autoportrait » suggère que narrateur et auteur sont ici confondus. Mais la poésie est avant tout pure construction linguistique. Qu’en est-il dès lors de la vérité poétique ? Est-il même sérieux d’évoquer quelque vérité poétique ? A mon sens cela n’est pas plus sérieux que de croire que la musique puisse décrire quelque chose. Elle ne peut qu’évoquer. Et encore de très loin. D’un lointain radical séparé du langage par ces fenêtres que tisse, en flux continu, ce que nous appelons « réel ».

« Triste et gras l’œil gonflé par une perle opaque »

Effet visuel. Le portrait ne s’annonce guère flatteur qui commence par deux adjectifs dépréciatifs (« triste et gras »).
L’accent est tout d’abord mis sur « l’œil », mais cet œil est obscurci par une « perle opaque ».

« le verbe alourdi par les venaisons »

Je l’ai souvent remarqué aussi qu’il est assez difficile d’écrire quelque chose de lisible après avoir fait un bon repas. L’estomac plein ne porte guère à la virtuosité.
Le mot « venaisons », ce sont peut-être aussi toutes ces chasses de l’homme, toutes ces chasses où l’homme, immanquablement, s’épuise.

« Touffu comme une étoile louche »

Il peut, bien sûr, s’agir de la vue d’une étoile derrière une fenêtre embuée. C'est là l'image prétexte.
En tout cas, l’auteur se voit en être « touffu ». C’est dire qu’il n’est ni lisse, ni facile à définir. D'ailleurs, il ne brille guère ; s'il est une étoile, alors elle est assez louche, cette étoile, assez médiocre. Certainement pas un modèle d'étoile, pas un exemple à suivre.

« Tout fou comme un veau sous la lune court »

L’image est assez plaisante quand on considère qu’il s’agit là d’un «autoportrait». L’auteur semble donc se comparer à un « veau qui court sous la lune », une espèce de lunatique bestiole donc, assez « tout fou » d’ailleurs pour jouer sur les mots (cf la paronomase « touffu » / « tout fou »).
C’est que nous sommes de nous-mêmes nos propres paronomases et ne sommes jamais tout à fait conformes à la manière dont les autres nous définissent, pas plus que nous ne sommes conformes à l’image que nous avons de nous-mêmes, que nous tentons de projeter, etc… Notre vie durant, nous filons notre propre métaphore comme l’araignée tisse sa toile, comme le réel tisse ses fenêtres. La vérité de nous autres est pourtant tout aussi loin que la véritable nature de la matière ; elle demeure ancrée dans cet autre lieu où nous sommes et où nous ne sommes pas, cette grande ombre faite de toutes ces choses que nous ne comprenons pas, que nous ne voyons pas, que nous pressentons cependant comme étrangement liées et ontologiquement étrangères à la condition de notre présence au monde.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 janvier 2008

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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 16:54

DU JOCKEY PERDU

Et, nourris de fascinations, une foule d'images nous flottant dans la tête, nous parcourant en tous sens la mémoire à la manière de cette image du "Jockey Perdu" dont parle André Hardellet dans Sommeils.
L'évoquant en quelques lignes, ce tableau de Magritte, cette illustration de ce que fut la ligne claire, non seulement dans la bande dessinée franco-belge, mais aussi dans le surréalisme du Nord, celui de Magritte, de Delvaux, de Labisse, André Hardellet posa quelques questions à faire songer :

"Qui me dira jamais d'où venait le "Jockey Perdu" que Magritte peignait sur un échiquier de feuillage ?" (André Hardellet, Sommeils in La Cité Montgol, Poésie/Gallimard p.82)

Cette première question interrogeant l'origine des fantômes, cette généalogie des spectres et des masques qui composent nos légendes, débouche sur l'image d'un "échiquier de feuillage", intéressante en cela qu'elle associe la précision rythmique de l'échiquier, figuration de l'infini qui s'impose à la représentation de tout ce qui s'apparente à un damier, puisque l'on peut toujours y ajouter une ligne de cases, de la même manière que l'on peut toujours ajouter 1 à la plus grande suite de nombres, intéressante en cela qu'elle associe la précision rythmique de l'échiquier au désordre apparent du feuillage qui, au contraire de l'échiquier, n'ouvre pas l'espace, n'ouvre pas le champ des possibles, mais le contraint, le borne, le condense, l'enracine, l'assure de sa présence vivante, de sa tranquille et terrienne persistance dans l'être.

"De quelle futaie dormante, de quel hippodrome clandestin dont les pistes bifurquaient inexpliquablement?" interroge encore Hardellet, esquissant cet arrière-monde des fascinations qui nous accompagne et nous rend supportable l'insupportable jugement des brutes et des imbéciles, arrière-monde déployant dans la phrase l'un de ses innombrables paysages imaginaires, composé ici d'une "futaie dormante", - c'est-à-dire d'où pourrait à tout instant surgir quelque étrange incident -, d'un "hippodrome clandestin", lequel suppose donc une vie clandestine au coeur d'une cité clandestine (cf "On pénètre dans la Cité Montgol par des ruelles et des passages comme on en rencontre dans les quartiers sordides de n'importe quelle ville, mais son entrée est difficile à découvrir et je n'ai pu la retrouver depuis que Slade m'y a conduit." André Hardellet, incipit de La Cité Montgol), cependant que cet arrière-monde est sans doute tout aussi suscité par l'étrangeté fondatrice du réel que le nôtre puisque "les pistes" des "hippodromes" y "bifurquaient inexpliquablement".
Ce qui, entre nous, tend à prouver la science du poète Hardellet en matière d'arrière-monde et de cité perdue.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 6 janvier 2008

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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 15:32

RAISON DU POEME
(Notes sur Sonnet de Charles Cros)

SONNET

Je sais faire des vers perpétuels (1). Les hommes
Sont ravis à ma voix qui dit la vérité (2) .
La suprême raison dont j'ai, fier, hérité (3)
Ne se payerait pas avec toutes les sommes. (4)

J'ai tout touché : le feu, les femmes et les pommes;
J'ai tout senti : l'hiver, le printemps et l'été;
J'ai tout trouvé, nul mur ne m'ayant arrêté. (5)
Mais Chance, dis-moi donc de quel nom tu te nommes ? (6)

Je me distrais à voir à travers les carreaux
Des boutiques, les gants, les truffes et les chèques
Où le bonheur est un suivi de six zéros. (7)

Je m'étonne, valant bien les rois, les évêques,
Les colonels et les receveurs généraux,
De n'avoir pas de l'eau, du soleil, des pastèques. (8)

Charles Cros

(1)
Les bons vers, étant appelés à rester dans la mémoire collective, sont donc "perpétuels".

(2)
Cette "voix qui dit la vérité" n'est pas voix de prophète, mais il est, sans nul doute, quelque vérité dans la Beauté, dans ce qui "ravit". D'ailleurs, il y a plus de vérité dans un roman de Chrétien de Troyes, dans L'Iliade et L'Odyssée, dans les Mille et une Nuits que dans un discours de ministre.

(3)
Charles Cros donne lui-même la cause de cette vérité du poème : la littérature, comme la science et la philosophie, relève de la "suprême raison". On peut noter que le ton général du texte est faussement emphatique, les "vers perpétuels" et la "suprême raison" étant toutes relatives, eu égard à la fragilité de la condition humaine.
Cependant, le narrateur insiste sur le caractère patrimonial de cette "suprême raison" (cf "La suprême raison dont j'ai, fier, hérité") ; patrimoine de l'humanité dont les gouvernants actuels, comme ceux des débuts de l'ère industrielle, ont une fâcheuse tendance à se moquer, leur préférant les compromis du commerce, les arrangements avec la filoucratie mondialisante.

(4)
De fait, cet héritage du bien commun de la raison n'a pas de prix, est inestimable et "ne se payerait pas avec toutes les sommes." Tout l'or du monde ne peut corrompre la Raison et faire d'un homme libre un homme asservi , la liberté consistant justement à se révolter, à faire tomber celui qui prétend vous réduire en esclavage.

(5)
Parallélisme : "J'ai tout touché" / "J'ai tout senti" / "J'ai tout trouvé".
Charles Cros mêle avec humour le plus évident, le plus commun (les "pommes", la suite des saisons) à ce qui relève d'un projet, d'une transcendance (le "feu", qui, avec l'écriture, sortit l'être humain des ténèbres de la préhistoire pour le lancer dans l'aventure historique ; ce qui se "trouve" aussi au-delà de ces "murs" que l'humanité, pour aller plus loin, finit toujours par abattre.)
Petite notation personnelle : amusant, ce rapprochement à la rime entre les "hommes" (vers 1) et les "pommes" (vers 5).

(6)
Le poète est certes, autant que le savant et le philosophe, l'héritier de ce projet - n'est-il pas aussi un maître du langage ? - ; en est-il plus chanceux pour autant ?
Non, sans doute puisque les conditions de sa survie ne sont pas toujours réunies.
Il y a la censure et la malveillance (9) ; il y a aussi la misère que Charles Cros, de façon plaisante, dénonce dans les deux tercets.

(7)
Ainsi, dans le premier tercet, le narrateur poétique est-il condamné à contempler dans les vitrines (les "carreaux des boutiques") ces gens qui dépensent tant d'argent, ces "truffes", le mot pouvant désigner l'un des aliments parmi les plus chers de notre gastronomie aussi bien que la naïveté des clients pour lesquels "le bonheur est un suivi de six zéros." (Ceci dit, ça aide quand même bien, "un suivi de six zéros" dans une époque où l'argent file aussi vite qu'un pull se détricote).

(8)
Du reste, ce spectacle est, pour le narrateur, une distraction (cf au vers 9: "Je me distrais"), cette précision témoignant de l'élégance de celui qui ne se plaint pas mais qui, ironique malgré tout, ironique jusqu'au bout, feint de s'étonner que, étant poète à "vers perpétuels", et valant donc autant que cette gradation décroissante (de la majesté des "rois" à la simple fonction de "receveur général", en passant par le goupillon des "évêques" et le sabre des "colonels"), il manque cependant du strict nécessaire : "de l'eau, du soleil, des pastèques".
Notons enfin, car elle est d'importance, cette humilité dans l'élégance du poète qui, aux "gants" (marqueur social du "beau monde") et aux "truffes" (ce qui passe pour être le meilleur, ce qui relève donc d'une certaine aristocratie), préfère revendiquer le droit à ce qui devrait être à tous : l'eau, la lumière, la fraîcheur du fruit.
Pas de dandysme à la Baudelaire dans ce sonnet de Charles Cros mais l'ironique constat d'une situation peu enviable, d'une injustice.

(9)
"Censure et malveillance" : je ne peux résister à l'ajout de cet autre texte de Charles Cros qui s'intitule :

EN COUR D'ASSISES
                                            A Edouard Dubus.

Je suis l'expulsé des vieilles pagodes
Ayant un peu ri pendant le Mystère;
Les anciens ont dit : Il fallait se taire
Quand nous récitions, solennels, nos odes.

Assis sur mon banc, j'écoute les codes
Et ce magistrat, sous sa toge, austère
Qui guigne la dame aux yeux de panthère,
Au corsage orné comme les géodes.

Il y a du monde en cette audience,
Il y a des gens remplis de science,
ça ne manque pas de l'élément femme.

Flétri, condamné, traité de poète,
Sous le couperet je mettrai ma tête
Que l'opinion publique réclame !

(Charles Cros)

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 janvier 2008

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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 15:27

YVES MARTIN LE MAGNIFIQUE

Les poètes, ceusses-là qui utilisent les mots de façon si radicalement inutile, ceusses-là qui balancent des pierres dans les jardins si bien ordonnancés des belles âmes, ceusses-là qui patinent dans l'inexorable et qui, comme tout le monde, ont des soucis d'argent, de petits malaises passagers (mal aux dents, mal au ventre, mal au cul), des problèmes relationnels, des abus d'affects, les poètes sont parfois d'une magnifique simplicité. En témoignent ces vers de Yves Martin extraits d'un poème publié dans la revue Poésie 1 (n°108- 109, de juillet- août 1983, p. 147) :

"Je n'entre jamais dans une pièce
  Sans être au préalable en télépathie
  Avec un objet que j'épate,
  Volte-face, pulvérise.
"

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi, j'adore cet humour, cette nonchalance face aux choses, lesquelles ne sont pas toujours bienveillantes :

"Je n'aborde pas
  Un visage avec franchise.
  Qu'avant on me moleste,
  On m'envoie les chiens, les gardes.
"

Et cet aveu aussi dans un autre texte (cf Poésie 1 n°108-109, p. 151) :

"Ne décolérez pas
  Quand je m'assois dans le métro.
  Qui donc a dit qu'après la mort
  De ma mère, je deviendrai clochard ?
  Phénoménal pour surprendre
  Le choc des étoiles.
"

Poésie-chronique que cette poésie-là de la notation, au fil de la plume peut-être parfois, - et alors ? -, poésie qui fait se succéder aux phrases des plus prosaïques des fulgurances, des coups d'oeil sur la vision, qui relativisent autant qu'ils soulignent l'invraisemblable malaise de l'être au monde quand il prend conscience de sa fragilité.

Heureusement, il y a des compensations :

"J'ai mes mises en scène.
  J'ouvre un Penthouse,
  Vitriol de poils,
  A l'instant même
  Où la jeune fille se penche
  A sa fenêtre.
"

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 janvier 2008

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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 15:24

"AU BORD DU TEMPS"

Une récente livraison de Feuilles de Poémier, la revue qu'anime Denise Jardy-Ledoux, datée de Décembre 2007 / janvier 2008 ; j'y trouve, cités par Jeanne Maillet, ces huit vers impeccables, ce texte du poète Eugène Guillevic (ce numéro de la revue lui est d'ailleurs consacré) :

"Dans l'arbre privé de fruits et de feuilles
  qui déjà se lasse
  des rameaux jouant pour ne pas trop voir
  le soleil couchant,
  une pomme est restée
  au milieu des branches
  Et rouge à crier
  crie au bord du temps."

1) "arbre privé de fuits et de feuilles" : stérile donc, dépouillé, en manque de printemps puisque  "privé de fruits et de feuilles".

2) "qui déjà se lasse" : bel effet rythmique qui, par le contraste avec cet allongement de l'encre sur le papier, de la syllabe dans la bouche que constitue le pronominal "se lasse", stoppe le "a" final de l'adverbe "déjà".

3)"des rameaux jouant pour ne pas trop voir" : décasyllabe. 2 X 5 donc. Ce fragment est d'ailleurs presqu'uniquement composé de séquences de cinq syllabes (regroupées aux vers 1 et 3 en décasyllabes), à l'exception du vers 5 : "une pomme est restée".
Le spectateur, ce narrateur du poème, ce commentateur, ce promeneur solitaire, semble s'attarder au jeu des "rameaux", lequel le détourne, le distrait, sans qu'il en soit tout à fait dupe, de cette vérité toute simple de la finitude des choses que symbolise ici "le soleil couchant".

4)"une pomme est restée" : au milieu du poème comme au milieu des branches, cette pomme qui reste, qui persiste dans l'être.

5)"au milieu des branches" : le mot "branches", comme tout à l'heure la forme "se lasse", semble vouloir prolonger le bref écho de ce vers. Echos justement que ce jeu des assonances ("couchant" / "restée" / "branches" / "crier" / "temps").

6)"Et rouge à crier" : l'accent est mis sur la couleur, ce rouge qui éclate, ce "rouge à crier" et qui exprime sans doute cette surprise de la pomme restée, de la pomme persistante dans la grisaille de l'arbre dépouillé.
"crie au bord du temps" : remarquable sonorité en ces deux dernières brisures de vers. La  séquence palato-vélaire ("k"), labiale ("b"), dentale ("d","t"), l'enjambement et la répétition du motif du "cri" font d'un simple aperçu anecdotique (une pomme rouge dans un arbre nu) une vision sous-tendue par la soudaine révélation de l'étrangeté fondatrice du réel.
Il est tout aussi remarquable que le poète lie, de si sobre façon, la puissance du cri muet, qui semble hanter la matière, à ce "bord du temps" que nous longeons comme on longe une  infranchissable frontière.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 janvier 2008

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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 15:19

PIERRE, TU ES PIERRE

Être au monde, c'est sans doute se situer dans le questionnement du monde - et de son image dans le miroir du rêve, image qui, d'ailleurs, peut s'apparenter au vraisemblable :

"Quel est cet homme vêtu de bleus d'ouvrier"

demande ainsi le narrateur du poème L'ouvrier et la mort de Paul Vincensini (in Poésie 1 Présence du merveilleux, n°108-109, juillet-août 1983, p.86),

"Quel est cet homme vêtu de bleus d'ouvrier
  Qui avance vers une maison blanche
"

la maison blanche étant à la fois probable, - il existe des maisons blanches -, et idéelle, - le blanc appelant toutes les visions possibles cependant que cette blancheur idéelle la signale comme vierge de tout folklore, de toute influence, de toute manière d'être spécifique.

A cette question, le narrateur répond dans les deux vers suivants :

"Mon Dieu c'est moi
  Ce n'était pas un ouvrier.
"

L'imparfait dissipant la méprise et le présent de narration inscrivant le texte dans une sorte de prise à témoin de Dieu - une prière si l'on estime que la prière consiste avant tout à prendre Dieu à témoin de la vanité et de la misère des hommes.
D'ailleurs, cette adresse, - le mot "apostrophe" me semblant trop fort lorsque l'on s'adresse à Dieu -, rythme le poème comme s'il s'agissait en effet d'une prière :
- "La maison blanche mon Dieu n'est pas terminée"
- "Mon Dieu c'est qu'il est mort"
- "Mais on ne peut pas mon Dieu brûler les miroirs"

Donc, cette maison blanche "n'est pas terminée" et suscite ainsi non l'image idéelle de la maison bâtie, du lieu accompli, mais l'image de la construction, du projet. Est-ce pour cela que le narrateur montre l'homme en "ouvrier", en maçon qui "a posé sa veste dans l'entrée" de cette maison inachevée, de cette maison en projet, ou plutôt en chantier ?

On aura compris que le poème de Paul Vincensini relève de la matière des rêves et poursuit sa propre logique :

"Puisqu'il n'est pas ouvrier
  Et qu'il a posé sa veste dans une maison incomplète
  Mon Dieu c'est qu'il est mort.
"

Ainsi se trouvent justifiés le titre (L'ouvrier et la mort) et ce questionnement persistant dont le poème se fait l'écho, le porte-voix, l'ironie du songe qui, tout au long de tant de nuits, multiplie les pièces du puzzle de ce monde-chantier hanté par les hommes, par leur capacité d'étonnement :

"Peut-on s'étonner alors
  Que tous les murs de la maison soient des miroirs
  Qu'il les ait tous brûlés.
"

Nous vivons des ingénieries improbables.
Des chevaleries impossibles.
La croix a disparu de nos pains.
Mort, de tous nos vaisseaux, de tous nos miroirs, ne reste-t-il que cendre ?
Les douze dernières syllabes du poème de Paul Vincensini répondent par la négative, gardiennes ainsi de cette flamme au coeur des hommes, de cette foi en leurs projets, de cette volonté d'être au chantier, celui des chevaleries impossibles, des ingénieries improbables, du pain donné aux lépreux :

"Mais on ne peut pas mon Dieu brûler les miroirs."

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 31 décembre 2007

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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 15:16

DANS LE GENRE SYMBOLISTE

"Trois princes revenaient des chasses de l'ennui,
  menant leurs trois chevaux à des lunes de pluie
  où la Lune assemblait les sorcières de Thrace."
  (Constantin Mavromichalis, Retour de la chasse, Les Enfants et les Sphinx, cité par Pierre Seghers in Le livre d'or de la poésie française contemporaine de H à Z, Marabout Université, p.112).

Dans le genre symboliste.
Pierre Seghers, dans sa présentation du poète, précise que Constantin Mavromichalis "aimait Moréas et Mallarmé".
Gravure. Echo de quelque conte.
Pourtant, ces "trois princes" ne sont peut-être jamais que des cavaliers sans grade ni titres, et ces "chasses de l'ennui" une manière d'occuper le temps des hommes.
Il pleut dans cette gravure.
Et les reflets font des lunes sous la pluie, font des "lunes de pluie".
Pas si loin de la chanson traditionnelle et des trois dames du temps qui vont passant et ramassant les dépouilles du sortilège.
De fait, voici la Lune, cette personnification de l'énigme qu'est tout être, la Lune qui rassemble les siennes, ces "sorcières de Thrace" qui jettent leurs ombres malignes sur la magie grise, soupe froide pour maussade Bouc, de la pluie.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 28 décembre 2007

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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 15:03

"IMMORTEL MEPRIS"

"Je ne voyais point les fruits,
  Je n'entendais plus les guêpes
  Et le Rhône en vain chantait
  L'immortel mépris de nous."
  (Georges Duhamel, Elégies, XV, in Pierre Seghers, Le livre d'or de la poésie française, Marabout Université, p.340)

Faire cet aveu d'être maintenant aveugle aux fruits, sourd aux guêpes et ressentir cet "immortel mépris" que constitue la Nature, c'est en quelques vers exprimer le grand désarroi des hommes.
Devant "Toutes les années futures / Abreuvées de mille hontes" ajoute le poète.
Il est vrai qu'il fut très convaincant, le XXème siècle, en matière de honte.
Le XXIème, espérons-le, ne lui arrivera sans doute pas à la cheville.


Ou alors, c'est que nous avons décidément pris l'habitude de vivre dans un immense "A quoi bon" qui ne peut faire de nous que les merveilleux et ordinaires sujets des tyrannies à venir.


Pour ce qui est de la Nature, ce n'est pas tant qu'elle nous méprise.
L'expression de Georges Duhamel est sans doute par trop littéraire, - ne soyons pas trop sévères, mon cher Houzeau, nous ne faisons guère mieux, bavards que nous sommes -, mais elle a le mérite de souligner l'indifférence ontologique qui caractérise ce qui n'est pas humain.
Ce n'est pas tant qu'elle nous méprise, la Nature, c'est qu'elle continue, qu'elle persiste et nous bouffe l'absolu sur le dos, la vorace.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 27 décembre 2007

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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 13:13

EN MANGEANT DU BOUDIN BLANC

"L'automne est une demeure d'or et de pluie,
  Dans ses étages transparents des corbeaux crient.
(...)
  Quel passage trouvera-t-il, cet inquiet,
  Quand l'or couvre sa lampe dans l'ombre froide ?" 
(Jacques Chessex, Pluie in Batailles dans l'air, cité dans Le livre d'or de la poésie française contemporaine de A à H de Pierre Seghers, Marabout Université, p.172)

Pour moi, je pique des vers dans les livres comme la poule pique sa graine.
Vrai qu'avant de le décortiquer, le vers, de l'éplucher, il est comme une graine attirante et pareille à tant d'autres.
Pourtant, quelque chose déjà nous le fait préférer à ce tant d'autres dont sont faits tant de recueils.

L'automne est lié à la mélancolie comme le coeur au corps, comme des chevilles, comme des poignets.
On chante l'automne de belle façon souvent.
Comme s'il fallait exprimer l'enchantement si particulier de ce qui se délite, de ce qui s'en va au vent.
De ce qui n'est plus et de ce qui n'est pas encore ; de ce qui, entre le sacre de l'été et la mort blanche de l'hiver, joue les ombres.
Jusqu'à "l'or" alors, ce regard sur l'automne qui pisse sa pluie.
Jusqu'à la "demeure" même, comme s'il s'agissait de la fixer, cette saison mouvante.
Qu'y voit-on pourtant dans les "étages" de cette maison ?
Rien que de très attendu : de la pluie et des corbeaux qui crient.

L'inquiétude cependant pose son point d'interrogation à la fin du poème.
C'est que le marcheur, cet homme à la lampe, ce chercheur de passages, voit sa propre lumière se perdre dans cet or corrupteur de l'automne.
Dans cet or froid que l'ombre manipule.

Nous ne sommes jamais que les jouets de l'ombre.
C'est ce que, en mangeant du boudin blanc, je pense.

Note
: Il m'arrive, en cette période de confection du boudin blanc, de rentrer chez un boucher charcutier (noble profession), et d'acheter un boudin blanc justement, nature de préférence, puis, une fois dans la rue, je dévore le dit boudin, et, comme je suis pudique, en général, je me colle devant une vitrine qui ne tente personne et me régale consciencieusement de cette merveille de nos traditions culinaires ; consciencieusement, c'est-à-dire en usant de mon esprit critique et de ma capacité à me réjouir de ce qui est Beau, Juste et Bon. Je précise que ma pudeur ne va pas jusqu'à pratiquer cette dévoration dans une église. Je ne suis pas un monstre tout de même.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 26 décembre 2007

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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 13:09

HIERARCHIE

"Monsieur Haneda était le supérieur de Monsieur Omochi, qui était le supérieur de Monsieur Saito, qui était le supérieur de mademoiselle Mori, qui était ma supérieure. Et moi, je n'étais la supérieure de personne." (Amélie Nothomb, incipit de Stupeur et tremblement, Le Livre de Poche).

Les relatives s'enchaînent, mimant la hiérarchie, ce squelette de l'entreprise.
Les répétitions s'enchaînent, révélant la généalogie de l'entreprise.
Talent et vivacité. Tout l'art d'Amélie Nothomb.

"Et moi, je n'étais la supérieure de personne."
La narratrice, qui n'a pas de subordonné, ne peut que renvoyer à elle-même.
Elle est à elle-même sa propre relative.
Il est amusant de constater que le mot "subordonné" s'emploie pour désigner "l'inférieur hiérarchique" aussi bien que la proposition qui, en grammaire bien ordonnée, ne peut que dépendre d'une "principale" et est dite, pour cela, "subordonnée à la principale."
L'ordre hiérarchique, ce noyau dur de la sphère sociale, imite donc la langue.
Ou plutôt ne serait-ce pas la langue qui constituerait l'ordre des choses?

D'ailleurs :

"On pourrait dire les choses autrement. J'étais aux ordres de mademoiselle Mori, qui était aux ordres de monsieur Saito, et ainsi de suite, avec cette précision que les ordres pouvaient, en aval, sauter les échelons hiérarchiques." (Amélie Nothomb, même page).

Il est ainsi plus rapide d'ordonner que de commenter.
On ne grimpe pas quatre à quatre les échelons d'une hiérarchie.
La hiérarchie et l'objet même de l'entreprise étant de s'installer dans un "ainsi de suite" performant, efficace, sans accroc : Il faut que ça tourne ; il faut que ça roule.

La conclusion logique, de ce qui me fait penser à une sorte de "syllogisme tautologique" (une démonstration dont chacune des parties ne ferait que souligner le principe d'identité de chaque chose : A est égal à A et non égal à non-A) quoi qu'on dise, reste la même :

"Donc, dans la compagnie Yumimoto, j'étais aux ordres de tout le monde." (Amélie Nothomb, même page).

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 décembre 2007

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