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11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 12:17

ET NOUS RIRE DE LUI

A PONTUS DE TYARD

Tyard, on me blâmoit à mon commencement,
De quoi j'étais obscur au simple populaire :
Mais on dit aujourd'hui que je suis au contraire,
Et que je me démens, parlant trop bassement.

Toi, de qui le labeur enfante doctement
Des livres immortels, dis-moi, que dois-je faire ?
Dis-moi (car tu sais tout) comme dois-je complaire
A ce monstre têtu, divers en jugement ?

Quand je tonne en mes vers, il a peur de me lire :
Quand ma voix se désenfle, il ne fait qu'en médire.
Dis-moi de quels liens, force, tenaille et clous,

Tiendrai-je ce Proté, qui se change à tous coups ?
Tyard, je l'entends bien, il le faut laisser dire,
Et nous rire de lui, comme il se rit de nous.

(Ronsard, Continuation des Amours (1555)).

Dans la Continuation des Amours, Ronsard, dans un sonnet, au poète Pontus de Tyard s'adresse, et lui dit qu'on le blâmait à son commencement, ses débuts poétiques, à raison qu'il fut obscur & que le simple populaire ne pouvait piger ses écrits, & qu'au contraire, maintenant qu'il serait plus clair, limpide, transparent, comme la goutte d'eau glissant sur le carreau, il serait trop bas, Ronsard, vulgaire, commun. C'est que talent fâche le fâcheux. Faire critique de tout est à la mode & pleins de jalousie, envie & latente malfaisance sont les gens ; je le sais, je ne suis pas différent d'eux. Puis, au quatrain second, Ronsard flatte un peu le Pontus, que ses livres sont immortels, et lui très docte, docte tellement qu'il en est omniscient, & lui demande quoi faire face aux faces baveuses qui font les dégoûtées, quoique le talent leur manquât, qu'elles fussent seulement capables de pérorer, comme les gens qui ne savent pas quoi en faire, de leur langue. C'est une question purement rhétorique qu'il pose là, Ronsard, & bien sûr, il sait comment on doit réagir face à ce qu'il appelle monstre têtu, divers en jugement. C'est que les gens changent d'avis, non en raison de ce que par eux-mêmes ils pourraient penser, mais, farcis d'avis de toutes sortes, ils inclinent à suivre l'avis du plus formidable & plus bruissant & du mieux vu et disant. On ne peut plaire à tout le monde; tout scribe doit avoir cela en tête. Quand il se met à tonner en ses vers ou à calmer le jeu, il mécontentera ceux qui pensent que la poésie est contemplation, comme ceux qui apprécient fantaise baroque, moquerie et paradoxes. Je dis tout à l'heure qu'elle était toute rhétorique, la problématique ici du que faire, et c'est par fantaisie, justement, que Ronsard compare le public critique à Proté, le dieu toujours autre, le dieu à métamorphoses - très pratique ! à pouvoir ainsi changer de forme, on évite facilement d'être enquiquiné - le dieu du discours mouvant donc, et il songe alors, Ronsard, qu'il pourrait le tenailler, pis le clouer, pour le tenir tranquille, mais il y a mieux, et Ronsard le sait : il faut laisser pisser le mouton, laisser dire & nous rire de lui puisqu'il rit de nous.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 juillet 2012

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3 juillet 2012 2 03 /07 /juillet /2012 18:26

SEIZE HEURES POUR LE MOINS

Dans Les derniers vers de Ronsard je lis ce vers :

"Seize heures pour le moins je meurs les yeux ouverts"

et m'épate du ton moderne que ça a. Il est que, peut-être, ce qui paraît moderne est cela qui encore à nos oreilles comme étant familier sonne. C'est dans un sonnet où Ronsard évoque ce qui le mine, l'insomnie :

"Mais ne pouvoir dormir c'est bien de mes malheurs
Le plus grand, qui ma vie et chagrine et dépite."

De même que tous avons un rapport particulier au temps, au sommeil aussi - et chose différente pour les mortels qu'nous sommes - à chaque carcasse à conscience est son sommeil & j'emploie à dessein ici le mot mortels puisqu'il est que l'on a comparé le sommeil à la mort, et à l'éjaculation on a donné le nom de petite mort : à songer que cela donne, puisque dodo & radada sont deux activités nocturnes et que le temps partagé du social organise afin qu'elles n'échappent pas à la nuit. Y a même une chanson de Patti Smith le disant ça, que c'est parce que la nuit appartient aux amants - Because The Night Belongs To Lovers. A vrai dire, c'est pas si net ; il est vrai cependant qu'il y a des filles qui répugnent à le faire le jour, qu'elles préfèrent le faire le soir ; d'après moi, c'est parce que ça les aide à s'endormir car radada amène dodo cependant que s'endormir quand il y a tant de choses à faire dans la maison, une pas très bonne chose que c'est, mais j'ai tort de parler de ça, c'est pas si intéressant, c'est tout juste bon à faire d'la mauvaise radio. Ronsard, en voilà du vraiment intéressant, de la musique, c'te poésie, comme Racine

"Méchantes nuits d'hiver, nuits filles de Cocyte"
(un fleuve des enfers lis-je dans une note)

"Que la terre engendra, d'Encelade les soeurs"

Mis à part qu'Encelade me fait penser à rémoulade, à salade, à panade, à pédalo, et à panier garni, c'est un géant aux cent bras. Quoi qu'il fit avec ses cent bras ? - La guerre aux Dieux,
Pardi ! C'est que quand on a cent bras, on sait pas toujours quoi en faire, qu'avec, agressif alors on est tenté de devenir, cause que cent bras, ça peut vite vous compliquer la vie et, à moins de tomber sur une géante elle aussi à cent bras, condamné à rester célibataire tout seul sur la terre est-on alors, alors je continue :

"Serpentes d'Alecton, et fureur des fureurs,"

c'est beau, ça fait penser à du hard rock, à des riffs furieux de guitare très furieuse tenue par un guitariste chevelu & qui a l'air furieux aussi, car c'est son métier :

"N'approchez de mon lit, ou bien tournez plus vite"

dit le narrateur aux méchantes nuits d'hiver, gueuses qui font rien qu'à l'empêcher de dormir, avec des Ouh ouh et des Uh uh plein la rue, déjà qu'il y a les voisins qui toute la nuit i regardent images effrayantes à la télé, que ça hurle et grince pis A SUIVRE bin oui j'sais plus quoi dire moi là...

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 juillet 2012

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29 juin 2012 5 29 /06 /juin /2012 23:10

MAIS BIEN JE VEUX QU'UN ARBRE

"Mais bien je veux qu'un arbre
M'ombrage en lieu d'un marbre,
Arbre qui soit couvert
Toujours de vert."
(Ronsard, Ode de l'élection de son sépulcre)

L'an se rajeunissoit en sa verde jouvence,
Quand je m'espris de vous, ma Sinope cruelle :
Seize ans estoyent la fleur de vostre age nouvelle,
Et vos beaux yeux sentoyent encore leur enfance.
(Ronsard, Sonnets à Sinope, I)

Dans son Ode de l'élection de son sépulcre, le narrateur dit qu'il préfère un arbre au marbre pour ce qui est de son tombeau, puis qu'il reste vert, cet arbre, toujours, car en hiver, ce serait trop triste que la tombe à Ronsard soit gardée par un grand noueux où freux & corbeaux viendraient le tenir, leur tribunal. Où ai-je entendu que les corbeaux avaient leur propre loi, et le tribunal qui va avec. Un grand noueux noir donc, non ! Mais la jeunesse éternelle d'une verte fontaine. Mais avant d'aller manger pissenlit par la racine, il y a le corps à nourrir, contenter, le corps, et le coeur qui s'en va battre un tambour amoureux pour une Sinope - nom tombé du grec qui signifie que la belle a l'oeil qui blesse, l'oeil assassin, l'oeil qui vous reste en mémoire toute la journée, & qui, la nuit, s'ouvre pour encore vous fasciner que vous en avez, vous, du mal à dormir, que vous y pensez sans cesse, à cruelle Sinope & ses mirettes mirobolantes, et ses jambettes, ses couettes, ses tétinettes, crépinettes, clés à molette, je raconte n'importe quoi, et c'est comme ça na-na-na, na-na, na-na-na, na-na.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 29 juin 2012

 

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29 juin 2012 5 29 /06 /juin /2012 14:18

ONC ONC ONC

RONSARD : "LES DERNIERS VERS"
(Il faut laisser maisons et vergers et jardins...)

"Il faut laisser maisons et vergers et jardins,
Et vaisselles et vaisseaux que l'artisan burine,
Et chanter son obsèque en la façon du cygne
Qui chante son trépas sur les bords Méandrins.

C'est fait ! j'ai dévidé le cours de mes destins,
J'ai vécu, j'ai rendu mon nom assez insigne ;
Ma plume vole au ciel, pour être quelque signe,
Loin des appas mondains qui trompent les plus fins.

Heureux qui ne fut onc, plus heureux qui retourne
En rien comme il était, plus heureux qui séjourne,
D'homme fait nouvel ange, auprès de Jésus-Christ,

Laissant pourrir çà-bas sa dépouille de boue,
Dont le Sort, la Fortune et le Destin se joue,
Franc des liens du corps, pour n'être qu'un esprit."

(Ronsard)

1.
Ce que laisse le poète : les sons des vergers et jardins, des vaisselles et vaisseaux, et l'art des sons : il est lui aussi cet artisan qui burine, qui trace, grave, travaille la matière.

2.
Ce que laisse le poète : la pluralité des demeures, la variété des objets. Il laisse aussi les cycles des saisons, l'être des étants, et leurs noms et leur genre, le féminin vaisselles et le masculin vaisseaux.

3.
L'art est ce que nous laissons. Une fois l'humain disparu de ce que les naïfs appellent "évolution", un musée pour personne, la terre alors. Les chiens boufferont la Joconde.

4.
Si les deux premiers vers du sonnet évoquent ce que nous laissons sur terre alors que la Mort vient nous chercher, c'est que le poète a encore cette possibilité de "chanter" avant de mourir, et ainsi d'ajouter un legs à la liste. L'humain est un être testamentaire. Non seulement il laisse d'autres humains derrière lui (en cela, il n'a pas toujours raison), mais il laisse aussi de quoi occuper les esprits de ses descendants et apparentés.

8.
Le Méandre, lis-je dans une note, fut fleuve "célèbre par ses cygnes". J'imagine assez bien un fleuve qui fait tours et détours, méandres et entrelacs et dont les bords sont plantés de cygnes dont certains chantent, et d'autres pas.

9.
Totem, le cygne, - c'est le trouvère qui va trépasser et qui "chante son obsèque en la façon du cygne" lequel, disait-on, avant de partir pour son paradis, chantait ses adieux à la vie. Totem donc le "cygne" : au passage, quel beau mot à blason, à calligraphie, avec son "y" que porte un léger sifflement et qui atténue la bizarrerie de la palatale "gne". Ronsard en tire un bel effet de glissement ("en la façon du cygne") que j'y vois s'y profiler sur l'eau sombre la splendeur habituelle que l'on attribue à cet animal qu'en plus on dit méchant, c'est formidable.

10.
L'expression "méchant / méchante comme un cygne" est fort rarement employée (je me demande même si) en raison sans doute de ce que la majesté du "cygne" pourrait en estomper la "méchanceté".

11.
Pour moi, je me blasonnerais bien "cygne noir", majestueux et l'oeil froid sur un lac bien loin de vous (au loin un château en Espagne quand même, sur un bout de couleur verte) et l'arcade d'une devise en grec pour faire plus mystérieux, ou alors l'hémistiche "Heureux qui ne fut onc", vu que "onc", ça fait bien comme cri de cygne noir (et c'est moins prétentieux que nevermore).

12.
J'aime bien la simplicité du vers 5, ce "C'est fait !" qui résume tout, puisque, en effet, nos existences vont de "c'est fait" en "c'est fait", de "ce qui est fait est fait" en "n'est plus à faire" jusqu'à l'ultime "c'est fait" et le fait que nous avons épuisé la pelote, que nous ne sommes plus que ce fait : nous fûmes.

13.
Fantaisie que cette plume volante au ciel du vers 7. Je devine Ronsard trop acharné pour ne pas avoir mis dans cette image un peu d'ironie. Aussi bien, il en profite pour rappeler que le monde est essentiellement illusion, celle des "appas mondains", celle de ce après quoi nous courons et qui fait de nous de splendides médiocres.

14.
"Heureux qui ne fut onc", ça sonne déjà comme "De l'inconvénient d'être né" de Cioran. C'est amusant. Un peu puéril, surtout chez Cioran - ou apparemment puéril. Cette réplique entendue dans un film de Pascal Thomas ( je cite de mémoire : "bon euh, les vrais problèmes sont à Beyrouth") rappelle que nos petits problèmes affectifs, existentialo-relationnels, et comment ça se fait qu'il a le droit et pas moi ne sont rien d'autre que de l'occupationnel, que du je trouve pas mieux à faire que d'me lamenter. La solution est pourtant simple : évitez les gens, et vous n'aurez pas l'occasion de vous en plaindre. Qui ne sait supporter sa solitude est une proie facile pour celui qui a l'art de tirer profit des autres.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 29 juin 2012

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1 février 2009 7 01 /02 /février /2009 01:26

DES « DERNIERS VERS » DE PIERRE DE RONSARD

L’un des plus célèbres sonnets de Ronsard qui a pour sujet quelques unes des pensées à l’esprit de celui qui va mourir. Il est souvent présenté dans les manuels scolaires sous ce titre :

LES DERNIERS VERS


Je n’ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépoulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé,
Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.
Apollon et son fils deux grands maîtres ensemble,
Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé,
Adieu plaisant soleil, mon œil est estoupé,
Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble.
Quel ami me voyant en ce point dépouillé
Ne remporte au logis un œil triste et mouillé,
Me consolant au lit et me baisant la face,
En essuyant mes yeux par la mort endormis ?
Adieu chers compagnons, adieu mes chers amis,
Je m’en vais le premier vous préparer la place.

Pierre de Ronsard, Les Derniers Vers, 1586.

« Os »
(vers1): Ce dont il n’est plus que (cf vers 1 « Je n’ai plus que les os, un squelette je semble). Le mot « os » est mis en évidence à la césure.

« Squelette »
(vers 1): Ce qu’il semble être, c’est-à-dire ce qu’il est déjà, - un squelette garni d’un peu de chair -, ce qu’il est déjà et qu’il n’est pas encore : son apparaître, cette synchronie de la déliquescence. Les mots fixent des états ; la langue tend à synchroniser cette jungle des connotations, cette suite ininterrompue d’associations de pensées qui font nos jours, nos endormissements et qui filent, à toute allure, à travers les multitudes diachroniques.

« Je n’ai » / « je semble » (vers 1)
: Placés au début et à la fin du vers, ces deux groupes verbaux traduisent le passage de la restriction de l’avoir (« je n’ai plus que les os ») à la misère de l’être (« un squelette je semble »). Ce passage du n’avoir plus que à l’être est exprimé par l’image, le visuel, qui rappelle que nous ne sommes jamais que poussière vouée à la poussière. Il entre aussi dans la construction du chiasme « je n’ai » / « os » / « squelette » / « je semble » qui semble enfermer le mourant dans sa propre représentation.

Rythme ternaire (vers 1-3)
: Récurrent dans les 3 premiers vers du sonnet, avec cette particularité de l’accent mis sur la restriction « plus » (vers 1), qui n’est pas un mot de sens plein mais dont la charge expressive est ici très grande. Ce rythme ternaire est d’autant plus appuyé qu’il se double au vers 2 d’une ponctuation régulière et d’une insistante assonance :
« Décharné, dénervé, démusclé, dépoulpé. »

« trait » (vers 3)
: Ce qui « a frappé ». La mort a donc déjà accompli son œuvre, s’est donc déjà présentée à l’être. Le narrateur se considère peut-être comme déjà mort, un mort qui parle, un cadavre versificateur.
Le « trait de la mort » est supposé être rapide. L’expression réfute donc l’idée d’une mort lente, d’un corps pourrissant. Ce n’est d’ailleurs pas la douleur causée par la maladie, la lente dégradation des organes qui est évoquée dans le sonnet, mais l’apparaître de la mort, la maigreur, la perte des sens, l’endormissement. Il semble que c’est une mort imminente qui aurait pu inspirer ces vers et qu’ils ont donc été composés à l’heure de l’ultime foudre.

« corps »
(vers 8) : « Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble ».
Cette descente au royaume des ombres est soulignée par la répétition de groupes sonores voisins : « descendre » / « désassemble », l’emploi de sonorités closes (« corps » , « tout »), un rythme régulier (« Mon corps / s’en va descendre / où tout / se désassemble »). Elle est placée, cette descente, au milieu du sonnet (en conclusion du second quatrain) et en clôt la première partie (le regard du mourant sur lui-même) cependant que la seconde partie sera constituée d’une adresse aux vivants restants.

« la mort »
(vers 3) : C’est ce qui est « sans pardon », ce qui « frappe » mortellement. Comme un ennemi donc qu’elle est, la mort. D’ailleurs, elle ne révèle pas, elle « endort » le regard (cf vers 12 : « mes yeux par la mort endormis »). Cette expression des « yeux par la mort endormis » est particulièrement expressive car qu’est-ce qu’un regard endormi sinon l’expression d’une conscience aveugle au monde, de telle sorte qu’en effet, ils semblent assez endormis, ceux qui refusent de regarder le monde tel qu’il est.
Il est ainsi que ceux qui possèdent un petit quelque chose s’en prennent aux analystes et aux cassandres, les tenant pour des alarmistes, des défaitistes qui, au lieu de rassurer les populations, ne feraient que les inquiéter au contraire, entretenant ainsi ce sentiment d’urgence critique qui caractérise les démocraties industrielles de ce début de XXIème siècle.

De la prétention des universitaires
: Ecrivant ces lignes, je finis par me demander si certains professeurs de nos augustes universités ne prennent pas les auteurs comme les supports d’une langue que eux seuls, les professeurs, seraient à même de déchiffrer, d’en révéler le sens profond, mieux que les auteurs eux-mêmes sans doute qui, n’est-ce pas, n’écrivent jamais que des textes de circonstance, des divertissements, et qui, au fond, ne savent pas ce qu’ils font. De cela vient probablement cette arrogance de certains, cet utilitarisme affiché qui sacrifie sans vergogne la noblesse de la littérature à la rentabilité du plus grand nombre de reçus.

Le préfixe « dé »
: Au vers 2 du poème, le préfixe « dé » apparaît à quatre reprises : « Décharné, dénervé, démusclé, dépoulpé ». Le préfixe « dé » est ici privatif, il exprime la perte de la chair, des nerfs, des muscles, de la pulpe, et donc de la force vitale toute entière. Cette répétition souligne la décrépitude du vieillard qui sent la mort approcher.

Dieux trompeurs
(vers 5) : Apollon et son fils (Asklepios pour les Grecs, Esculape pour les Romains), représentent la médecine mais aussi l’espoir illusoire que les hommes ont dans les dieux :
« Apollon et son fils deux grands maîtres ensemble,
   Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé » (vers 5 et 6)
C’est ainsi qu’il ne peut plus être question de « soleil », de vérité révélée, qu’il est certes « plaisant » d’y croire tant que l’on est bien vivant, mais qu’il est que l’approche de la mort, l’endormissement des sens, l’adieu que l’on fait au monde, apprend aux humains que leur condition est d’être voués à la nuit et à la terre « où tout se désassemble ».

Composition / Décomposition
: Face à la décomposition annoncée, force reste cependant à la composition poétique. Si l’on se souvient que le latin « humilis » désigne le sol, on ne saurait être ici plus humble que le grand Ronsard.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 janvier 2009

 

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25 janvier 2009 7 25 /01 /janvier /2009 11:40

DERNIÈRE MUSIQUE
NOTES SUR PIERRE DE RONSARD (1524-1585) :
"Il faut laisser maisons, vergers et jardins,..." (in Derniers vers, 1587, posth.)

Un jour, arrivé au bout de mon p'tit bout de route, mourant d'une saloperie nicotine ou d'insuffisance fiscale, le coeur calanchant, la rime patraque et l'illusion lyrique bien déplumée, je me dirai, si j'ai encore quelque mémoire, je me dirai ces vers de Pierre de Ronsard :

Il faut laisser maisons et vergers et jardins,
Vaisselles et vaisseaux que l'artisan burine,
Et chanter son obsèque en la façon du Cygne,
Qui chante son trépas sur les bords Méandrins.

Ce sera ma dernière musique, cette allitération qui mêle les travaux et les jours, les saisons et leurs
jardins, toutes mes demeures et les objets qui y passèrent qui ne seront plus que dépouilles alors que je serai déjà sur les rives du fleuve à  guetter le passeur.
Peut-être bien alors que je pourrais dire, comme Pierre de Ronsard :

C'est fait j'ai dévidé le cours de mes destins,
J'ai vécu j'ai rendu mon nom assez insigne,
Ma plume vole au ciel pour être quelque signe
Loin des appas mondains qui trompent les plus fins.

C'est peu dire que les écrivains ne sont que de vieux enfants égoïstes qui, à l'heure où la camarde vient les tirer de leur bibliothèque pour aller vérifier si Pascal a gagné son pari ou pas, ne pensent qu'à leur postérité comme si les quelques collections de signes qu'ils ont composées durant leur vie pouvaient se résumer en un "signe" unique, une nouvelle étoile que suivraient de moins aveugles.
C'est peu dire que les écrivains ne sont que de grand méprisants, de grands hautains qui nomment "appas mondains qui trompent les plus fins" les quelques divertissements que les gens se donnent en attendant la mort.
La mort, c'est bien de cela qu'il s'agit ; la mort, la voici :

Heureux qui ne fut onc, plus heureux qui retourne
En rien comme il était, plus heureux qui séjourne
D'homme fait nouvel ange auprès de Jésus-Christ,

Laissant pourrir ça bas sa dépouille de boue
Dont le sort, la fortune et le destin se joue,
Franc des liens du corps pour n'être qu'un esprit.

Il ne faudrait n'avoir jamais été ( "onc" est un adverbe signifiant "jamais") mais puisque nous fûmes, mais puisque nous sommes, réjouissons-nous de cette bonne nouvelle des bulletins paroissiaux auxquels les prêtres eux-mêmes ne croient pas tous et répétons dès lors, comme Pierre de Ronsard, l'adjectif "heureux" puisque la mort, après tout - et après tout, il n'est que mort -, puisque la mort donc n'est jamais qu'une anaphore qui nous fait dégringoler l'un après l'autre l'escalier des vers et des rythmes, de rejets en rejets, vers l'ombre "où tout se désassemble", où nous laisserons nos "dépouilles de boue" à l'appréciation des insectes qui sont les véritables maîtres de cette terre.
Ainsi, vivants, nous ne sommes que coups du sort, bonnes et mauvaises fortunes, réalisations d'un destin que nous ne maîtrisons que par ce que cela fait plaisir aux professeurs de philosophie pour devenir, libérés de notre charge de chair, des esprits solubles dans l'air.
Entre nous, cela ne nous fera pas une belle jambe...
Heureusement que sur terre, il y a Ronsard, les maisons, les vergers, les jardins et tout le reste surtout s'il a de beaux yeux et s'il est aimable.

         Patrice Houzeau
         Hondeghem, le 8 octobre 2005

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24 janvier 2009 6 24 /01 /janvier /2009 08:04

DE L'INVISIBILITE AMOUREUSE

Notes sur un sonnet de Ronsard


Parfois l'amoureux rêve d'être invisible afin d'être l'invisible voyeur des heures de la bien aimée :

J'ay cent fois désiré & cent encores d'estre
Un invisible esprit, afin de me cacher
Au fond de vôtre coeur, pour l'humeur rechercher
Qui vous fait contre moi si cruelle aparoistre.
                  (Ronsard, Continuation des Amours, XLV)
(1)

Ici, il s'agit plutôt de pénétrer dans le coeur de l'autre, de s'y "cacher", "au fond du coeur", dans ce qui est le plus inaccessible à la conscience, et là d'y être un esprit enquêteur afin de comprendre les causes de la cruauté apparente de l'amante.
Mieux, cette invisibilité permettrait à l'interrogatif d'accéder à la maîtrise des humeurs de la personne aimée :

Si j'estois dedans vous, aumoins je serois maistre,
Maugré vous, de l'humeur qui ne fait qu'empescher
Amour, & si n'auriez nerf, ne poux sous la chair
Que je ne recherchasse afin de vous cognoistre.
(2)

Mais cette annexion du corps d'autrui, cette aliénation, est "pour la bonne cause" : il s'agit de contrôler "l'humeur qui ne fait qu'empescher Amour". Une thérapie amoureuse en quelque sorte doublée d'une chirurgie invisible puisque le possesseur pourrait ainsi recenser et les nerfs et les pulsations, les pulsions à l'oeuvre "sous la chair" du corps désiré, pénétré, possédé.
La fille aimée et cruelle en son apparaître ne serait donc que machinerie nerveuse et impulsive, capricieuse et lunatique comme un appareil mal réglé, et pourtant c'est cet objet critique que l'amant jaloux des jardins et des secrets rêve de posséder corps et âme.

Pour l'heure, il s'agit d'opposer la froideur de l'aimée à la chaleur des sentiments amoureux.
Pas de doute, si l'apparence est froide, c'est que les humeurs constitutives du tempérament sont froides.
Et, comme chacun sait, la femme étant compliquée, il  faut donc bien la connaître, la posséder comme on possède une langue étrangère :

Je sçaurois une à une & voz complexions,
Toutes voz voluntés, & voz conditions,
Et chasserois si bien la froideur de voz venes,

Que les flammes d'Amour vous y allumeriez :
Puis quand je les voirrois de son feu toutes plenes,
Je redeviendrois homme, & lors vous m'aimeriez.

Cependant cette inquisition est inhumaine; elle est le fait d'un "esprit" et non d'un homme de chair et de sang. Aussi Ronsard précise que ce n'est qu'en "redevenant homme", par le retour à l'incarnation humaine, que l'amant peut être aimé de l'autre, ce mystère muet de cruelle apparence.
Bien entendu, le texte est au conditionnel et exprime ainsi un fantasme, une fantaisie de l'auteur.

Reste l'indicatif présent et son interrogation : qu'est-ce donc

Qui vous fait contre moi si cruelle aparoistre [?]

puisque l'autre, cette autre énigme de moi-même, est, par définition, énigmatique.

Notes
: (1) Source : Ronsard, Les Amours, GF-Flammarion, 1981, p.175.
             (2) ne poux = ni pouls 

                   Patrice Houzeau
                   Hondeghem, le 25 août 2005

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