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3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 21:59

CELA M'EST NECESSAIRE
De quelques bribes de La nuit remue, de Henri Michaux.

 

"Quant aux livres, ils me harassent par-dessus tout. Je ne laisse pas un mot dans son sens ni même dans sa forme.
  Je l'attrape et, après quelques efforts, je le déracine et le détourne définitivement du troupeau de l'auteur.
  Dans un chapitre vous avez tout de suite des milliers de phrases et il faut que je les sabote toutes. Cela m'est nécessaire."
(Henri Michaux, Une vie de chien).

 

1.
"des créations mentales" : Les créations mentales doivent être étroitement surveillées en raison de leur forte propension à aller tenter le réel et, disons-le tout net, à vous mettre dans l'embarras car, n'est-ce pas, quel scandale !

 

2.
"Sa beauté déjà disparaissant" : il faut être d'une grande jalousie pour ne pas regretter le déjà déclin de sa beauté, ou d'un grand orgueil.

 

3.
"Le loup a peur du violon." : il est vrai que la musique de chambre surtout a de quoi en effrayer plus d'un, surtout si vous avez du goût pour les grands extérieurs où nul orchestre ne s'aventure.

 

4.
"car c'est le plus souvent une tête" : Oui, le plus souvent, mais quelquefois, c'est juste un bec qui tombe du ciel et vous cloue. Ou alors un oeil qui tombe du ciel et vous damne. Ou alors une pluie de dents qui tombe du ciel et vous dévore vivant, puis de moins en moins vivant, et de moins en moins entier, jusqu'au définitif moins de vous.

 

5.
"une mer sans eau" : Cette formule tirée du poème Vers la sérénité exprime assez cette sensation de houle, de rythme décalé que l'on ressent parfois, au creux de l'après-midi, quand on pense que la terre est encore loin.

 

6.
"Tout en moi prend son poste de combat" : Autre formule intéressante, tirée du poème Colère, qui fait du corps littéralement un "corps d'armée", une militance.

 

7.
On ne peut pas siffler son oeil comme on siffle son chien. Rien à faire, dès qu'il est ouvert, il chasse ce qui dans le réel ne cadre pas tout à fait, ne peut pas rester ignoré, doit être absolument présenté à la conscience, afin de subir un examen rapide, un coup d'oeil, et dans certains cas, une garde à vue.

 

8.
La musique dans les rêves n'est pas neutre. Elle prend parti. Elle est d'une ironie mordante. Il y a la chanson des disparus. Il y a le piano des inquiétudes. Il y a la chanson qui vous fait rire et dont vous ne comprenez pourtant pas les paroles, mais qui vous plait tant que vous voulez la retrouver, que vous courez dans les rues, dans les maisons, dans les journées lointaines, dans les heures ouvertes comme des fruits et d'où sortent des sons, toutes sortes de sons, des drôles de sons vraiment.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 février 2013

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3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 10:33

D'UN OEIL MEFIANT
De quelques bribes de "La nuit remue", de Henri Michaux.

 

"Voici déjà un certain temps que je m'observe sans rien dire, d'un oeil méfiant."
(Henri Michaux, Le Honteux interne)

 

1.
"Roue, ne m'écrase pas."
- je vais me gêner, tiens !

 

2. "C'étaient des loups." : d'où ce goût de poil que j'ai encore dans la bouche.

 

3.
"Et ils prirent encore mes éclairs." : Je passe mon temps à refaire des éclairs que les hommes me piquent ; prométhée, j'vous jure, c'est pas un métier !

 

4.
"Carcasse, où est ta place ici" : L'écho de l'assonance console de la désespérance. Quand je dis désespérance, c'est parce que ça rime avec beurre rance. N'allez pas chercher minuit à ma porte.

5.
"une espèce d'évidence écumante" : sans doute, pseudo-phénoménologiquement parlant, s'agit-il ici de la mer, celle aux paupières salées et aux bestioles à nageoires qui s'entredévorent ; mais certains humains ont ce don aussi d'être des espèces d'évidences écumantes ; et pourtant, ils ne disent rien, vous regardent avec des yeux tranquilles, ont cet air calme des gens qui surmontent humblement, mais vous, avec vos yeux en dedans, vous le voyez bien, qu'ils sont habités.

 

6.
"J'ai déjà dit que dans la rue je me battais avec tout le monde" : C'est que, depuis que je suis vent, j'ai les parapluies en horreur ; je les combats tant que je peux ; je me mets debout et je les boxe, les gifle, les retourne, les déchire.

 

7.
"des pensées en écho déferlent en lui" : ça s'appelle une tempête d'échos, une eschoade. Je dis eschoade, parce que ça rime avec marmelade, évidemment.

 

8.
J'aime les philosophes. Ils disent ce que je voudrais dire, et que je ne comprends pas.

 

9.
Il faut être réaliste, on ne peut caresser la pluie dans le sens du poil - sauf celui de son chien mouillé - et encore moins à rebrousse-poil - on risque de se faire mordre.

 

10.
A force de regarder le réel "d'un oeil méfiant", il finit par prendre ombrage, par se renfrogner, par vous jeter des regards à la dérobée, des regards qui en disent long sur les sorts, et sur le hareng aussi avec lequel il compte vous hypnotiser, en le balançant au bout d'une corde longue longue longue fxée au mur nu nu nu par un clou sans fin sans fin sans fin.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 février 2013

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3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 09:20

COMME AUTANT DE DRAGONS TERRASSES
De quelques bribes de La nuit remue, de Henri Michaux.

 

1.
"labyrinthe" : le mot est employé plusieurs fois dans les écrits d'Henri Michaux. Bien sûr. Comment pourrait-il en être autrement à partir du moment où il emploie le mot gong ? Je me demande quel genre d'histoires on peut écrire dans un labyrinthe ? Des histoires tordues, des histoires qui se perdent, qui paument leurs personnages en cours de route, qui en changent donc, comme on change de cheval et de chemise, des histoires éventrées.

 

2.
"quand je reviens, il n'y a plus rien" : dès qu'on prend cinq minutes pour soi, ça ne loupe pas, le réel en profite pour se faire la malle.

 

3.
"barbrissant et ramoisant" : j'y vois une tête de vieux chevalier à barbriche (je dis bien barbriche, sinon j'aurais dit barbiche, mais le mot barbiche ne peut ici rendre compte du caractère barbrichant de la pilosité chevaleresque) et rossinante aussi, et qu'est au bord d'un étang, et qui se souvient avec mélancolie de tout ce temps passé, de tout ce temps guerrier, de tout ce temps qui va ramoisant en lui des branches qui vont de plus en plus loin.

 

4.
"On entendait en gong bas" : évidemment, le son gong bas donne l'idée du son gong bas, que l'on peut supposer entendre dans le fond du poème, et que le poète a voulu signifier en écrivant qu'on entendait en gong bas.

 

5.
"D'abord rien a changé" : ensuite ce fut the Big Bordel. C'est ce que je disais, le réel n'en fait qu'à notre tête.

 

6.
"il garde son air habituel" : et cependant comme il avait changé. Mais comme il était incomparable, il était difficile de se faire une idée.

 

7.
"je le déracine et le détourne" : je me demande ce que l'on peut déraciner et détourner, - un roman d'Annie Degroote ? un oiseau migrateur ? un potager oratoire ? un prince en exil ? un planté là à les regarder passer ?

 

8.
"non seulement j'étais les fourmis, mais aussi j'étais leur chemin" : du coup, ça me grattait, gratouillait, picotait, fourmillait partout. J'ai fait ce qu'il faut faire dans ces cas-là : j'ai acheté un tamanoir.

 

9.
"le même appel à l'être" : le même sois et tu sauras. Par ailleurs, vous appelez l'être et c'est un autre qui vient, même que parfois, c'est personne.

 

10.
une "défaite continue" : le narrateur comme quoi il connaîtrait une "défaite continue". Outre que l'existence est une longue construction qui finit par tourner en défaite continue, si ce n'est en la vieillesse est un naufrage, que l'on songe aussi que l'on ne peut faire sans défaire. Ainsi se font et se défont les visages, et les marionnettes, et tous les géants qui sortent made in caboche pour aller s'écraser dans le réel comme autant de dragons terrassés.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 février 2013

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12 janvier 2013 6 12 /01 /janvier /2013 00:11

JE NE ME DEMANDE PAS
Fantaisie autour de quelques mots d'Henri Michaux tirés de "La Nuit remue". Citations entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
"En fait, on ne sait rien du ciel du crabe" écrit Henri Michaux dans "Le Ciel du spermatozoïde". Comment le pourrait-on ? Nous croisons des crânes chaque jour ; dans chacun de ces crânes, un crabe ; au-dessus de ces crabes, un ciel. Dont nous ignorons tout. Dont nous ne pouvons saisir l'étoffe.

 

2.
Dans "Le Lac", l'eau "continue à traiter les hommes en hommes et les poissons en poissons". Manière de dire que le réel est ce qu'il est. Ce qui n'empêche pas que nous pêchions des poissons. Que nous mangions des poissons. Ou que des poissons nous mangent.

 

3.
Entre le mot "angle" et le mot "os", il y a quelque rapport pas si évident que cela à expliciter. Et pourtant, on voit bien, on sait bien que nous sommes pleins d'angles jusqu'à l'os. Nous traversons des forêts d'angles invisibles ; nous traversons des forêts cubistes, des villages cubistes, des êtres cubistes, et nous débouchons sur des places de la gare surréalistes.

 

4.
"Le vent" et sa "lame de couteau" le long de laquelle passe un être équilibriste que la lame du couteau peut à tout instant plonger dans un précipice. Par ailleurs, pour moi, j'aime autant conserver ce couteau dans l'oeil que certains, parfois, devinent.

 

5.
"Dans une fourmilière jamais il n'est question d'aigles" est un des aphorismes de Michaux que j'aime le plus. C'est qu'il y a des êtres sans légende, des êtres sans ombre, des êtres qui ne sont que passages, des êtres si parfaits qu'ils semblent là pour illustrer une leçon de sociologie. Ils fourmillent ; ils se reproduisent ; ils ne voient pas le grotesque de la situation. Je dis ça et je dis des sottises. En fait, il y a bien longtemps que les fourmilières se sont répandues parmi les aigles, qu'elles grignotent consciencieusement, s'emparant de leurs légendes, de leur royaume des ombres, de leurs exceptions, de leurs regards perçants avec lesquels elles convoitent le monde.

 

6.
Le plus curieux est que cette fourmilière est pleine de crabes.

 

7.
"Tel est mon dessin, tel il se poursuit." Voilà devise fort juste qui illustre à merveille le travail du dessinateur. On la doit à Henri Michaux et à ses "dessins commentés".

 

8.
Ce que Michaux voit dans ses dessins, ce sont des "yeux braqués" qui "brûlent du désir de connaître". Le réel est tissé de ces foyers. Les yeux tendent des fils invisibles que l'on appelle "regards", lesquels constituent un réseau assez dense, assez serré pour emprisonner le réel, l'empêcher de s'échapper, de s'évader dans le néant. Les humains tendent à toujours resserrer ce filet des regards en multipliant leurs points de vue. Plus il y a d'yeux, plus on voit. Le réel est ainsi exhibé, de plus en plus exhibé, de plus en plus mis à nu, obscène, radicalement obscène, fondamentalement obscène, jusqu'à la nausée.

 

9.
La plupart du temps, je ne me demande pas. Je me laisse tranquille. Je me laisse vaquer à mes affaires, à mes occupations. Je ne me dérange pas pour moi-même. Pas pour si peu en tout cas. Remarquez que je ne me dérange pas pour les autres non plus. Du reste, la plupart du temps, ils ne me demandent pas. Ils ont raison.

 

10.
A force de ne jamais se demander, on finit par s'ignorer.

 

11.
Si jamais je me demande, je me fais savoir que je suis dans l'escalier. Et je souris de me voir là en bas, devant la loge, à attendre, à regarder dehors, à me dire "Et en plus, il pleut !".

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 janvier 2013

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9 janvier 2013 3 09 /01 /janvier /2013 09:24

GLAUQUE GLAUQUE GLAUQUE
Notes sur quelques poèmes de La Nuit remue, de Henri Michaux. Les citations sont entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
Dans "Un point c'est tout", Henri Michaux explique que "l'être essentiel" de "l'homme", eh bien, c'est un point. Il doit donc veiller à ne pas être encerclé. Il ne joue pas au go, l'humain, il est dans la partie. Il est aux intersections, et avance, point par point, sur l'immense grille des intersections que d'autres points tentent de contrôler.

 

2.
Là où tu n'es pas, je n'y suis pas.

 

3.
"le monde se soulève avec ma poitrine" écrit le narrateur dans le poème "En respirant". C'est qu'il est l'océan alors. Où dieu souffleur de mondes. Ou l'orgueil du conquérant.

 

4.
Du poème "Nuit de noces", je ne dirai rien. Il faut savoir être discret sur certaines pratiques.

 

5.
"Et puis, c'est un homme blessé, il est donc encore plus rapide à être lui-même." (Brigitte Fossey à propos de Gérard Depardieu, ce matin, mercredi 9 janvier 2013, sur France Musique, dans l'émission de Christophe Bourseiller). Belle formule qui dit que l'être est dans son mouvement à être.
Par ailleurs, il faut faire attention avec le mot "minable". Quand des politiques se mettent à l'employer, ils ne se rendent pas toujours compte qu'ils ne sont souvent appréciés que par leur façon d'accepter le rôle qu'on leur donne à jouer. Ce sont eux aussi des comédiens, et souvent sonne-faux.

 

6.
J'espère que, le moment venu, j'aurai encore assez de complicité avec le réel, pour dire au revoir à ma dernière frite.

 

7.
Vivre, c'est se faire le complice de soi-même.

 

8.
Dans "Conseil au sujet des pins", Henri Michaux signale que "le bruit du vent soufflant sur une forêt de pins" (...) "n'a rien de glauque". C'est probable. Le son "glauque" lui même "n'a rien de glauque". On dirait une bulle qui éclate. Glauque, glauque, glauque. C'est un son qui fait pops. Qui sautille. C'est un son batracien. Ou alors il signale que sur le chemin un lutin à ressort, un zébulon, passe glauque, glauque, glauque, dans le soleil et les ombres qui vont avec.

 

9.
"et le sol même, suivant la démarche de votre esprit, semble se dérober sous vos pieds" est la remarque du promeneur de falaises qui donne son avis dans "Conseil au sujet de la mer". C'est que ce lutin, ce zébulon qui sur le chemin passe glauque, glauque, glauque, dans le soleil et les ombres qui vont avec, c'est surtout dans votre tête qu'il sautille, et du petit glauque au grand plouf, il n'y a qu'un mauvais pas.

 

10.
C'est toujours la même auto qui passe avenue de l'Opéra, comme c'est toujours le même point aux intersection du jeu de go, comme c'est toujours nous qui nous multiplions et nous combattons d'ici à ailleurs, jusqu'à ce que nous ayons raison de nous-même, jusqu'à ce que nous nous encerclions nous-même, jusqu'à ce que nous nous accidentions nous-même. C'est la drôle de leçon du poème "L'auto de l'avenue de l'Opéra". En tout cas, c'est celle que je lis.

 

11.
Souvent, j'avoue, j'hésite à plonger dans un texte. J'ai l'impression que je vais me noyer dans le sens. Ou que les grands paradoxes à arêtes vont m'avaler. Aussi je me poste sur la berge et, de ma grande perche à décrocher les figures, je me repêche aussitôt qu'il y a gouffre sous les eaux ou gueule ouverte.

 

12.
Elle est au centre et regarde ailleurs comme s'il y avait quelqu'un qui n'était pas où elle n'est pas.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 9 janvier 2013

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5 janvier 2013 6 05 /01 /janvier /2013 15:17

COMME DE JE NE SAIS QUOI
Fantaisie autour du poème "Le sportif au lit", de Henri Michaux, in le recueil La nuit remue. Les citations sont entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
Il est d'utilité publique de rappeler que nous sommes dans le "comme de je ne sais quoi". Louons Michaux. Le "comme de je ne sais quoi", c'est ce que nous échignons à préciser et à définir comment persister dans le "comme de je ne sais quoi", comment passer dans le "comme de je ne sais quoi", et naviguer, et glisser comme on glisse sur une patinoire, avec les patins que nous bricolons "comme de je ne sais quoi".

 

2.
Dans le "comme de je ne sais quoi", on fait presque tout avec presque rien. Ce qui donne à penser beaucoup.

 

3.
"Je plonge comme le sang dans mes veines." C'est que nous sommes mouvement. Nous sommes comme le sang dans nos veines. Nous plongeons comme le sang. Nous sommes les veines du monde.

 

4.
Je dis ça comme ça : la cambriole, c'était une petite pièce, une petite chambre. Du coup, le cambrioleur, c'est celui qui allait dérober quelque chose dans cette petite chambre.

 

5.
"...étant donnée la faible lumière, et le grand nombre d'hommes et de femmes qui tous craignent la solitude..." : on voit pas clair, et en plus on fait foule. Une foule aveugle qui s'entrechoque, s'entremêle, s'entrevoit, s'entretrompe. Quant à la solitude, c'est pourtant la seule qui pardonne.

 

6.
Solitude est maîtresse muette.

 

7.
"... et l'esprit de la tribu, notre seul dieu..." : la république est un monothéisme.

 

8.
Le narrateur du poème "Le sportif au lit" quand il se réveille, cette fois-là dans ce poème-là, il trouve juché et misérablement aplati au haut de son armoire à glace, un homme-serpent. Sans doute est-il sorti de sa besace ramenée de sa dernière virée dans l'ailleurs. Il faut faire attention avec ses bagages. Parfois, il y en a qui ramènent une femme avec des enfants. D'autres des champignons. D'autres des procédures. D'autres des souvenirs et des photographies avec lesquels ils comptent bien saouler leur prochain. D'autres encore ne se ramènent pas eux-mêmes et deviennent ceux qui n'habitent pas à l'adresse indiquée.

 

9.
"Cette nuit, ç'a été la nuit des horizons" : ah ça, on n'y pense pas toujours à cette élision possible du "a" devant un autre "a", et qui évite le hiatus. Et puis c'est joli, ce "ç'a" avec sa pause dans le "ça", le tout-puissant ça, le grand ça, le tout ça qui nous commande, nous ordonne, nous administre. Ce qui est curieux là-dedans, c'est que malgré ce "ç'a été la nuit", il y eut tout de même des horizons. Moi, ma pomme, c'est vrai que le ver du songe me ronge, et que les pieds dans la, je me rêve des jours formidables, d'épatants impossibles, Pierrette et son pot au lait, et pierre qui roule amassant de l'oseille.

 

10.
"car le chat aime méditer" signale le narrateur. Comme les humains alors. Et, à mon avis, la tête pas plus pleine.

 

11.
Je médite souvent sur l'oreiller. C'est d'ailleurs très profitable. J'ai bientôt des visions et, en vérité, je vous le dis, j'eus cette révélation : l'être ronfle.

 

12.
"filain chat" : c'est par ce bref et insignifiant sifflement que "la mère faute de pouvoir crier" espère arrêter le chat, le filain chat, l'énorme chat, le maousse matou, le fieffé greffier, qui "toutefois ne se jeta pas sur elle" vu que "ensuite, je ne sais ce qu'il fit". Louons Michaux pour sa délicatesse, car nous, nous savons bien que le chat s'est jeté sur elle, l'a maintenue sous sa griffe, puis la laissa filer pour la rattraper aussitôt, la laissa filer pour la rattraper derechef, la laissa filer pour la rattraper one more time. C'est qu'il joua longtemps avec la souris.

 

13.
Le poème se termine par la tombée de la nuit et ce constat : "nous fûmes entourés d'une infinité de petites juments." Eh oui, ce sont les petites juments de la nuit, toutes confondues et toutes dissemblables, les juments de l'illusion, les juments fourmillantes, les juments du songe, qui finissent par vous emporter dans le tuyau ronflant d'un sommeil à sabots.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 janvier 2013

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4 janvier 2013 5 04 /01 /janvier /2013 12:55

LE ROI VOILA UN BON SUJET
Fantaisie sur le poème "Mon Roi" de Henri Michaux, in le recueil La nuit remue. Les citations sont entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
Les rois, des fois, ils mettaient les Lumières à l'ombre.

 

2.
Dans le poème "Mon Roi", le sujet narrateur Michaux, qui est lui et qui n'est pas lui, je veux dire qui obéit mal au principe d'identité, explique que chaque nuit la tête étranglée de son roi se relève. C'est qu'il n'est pas facile d'étrangler son roi. Autant étrangler un rêve.

 

3.
Ce n'est pas la peine d'agiter une canne à pêche devant votre miroir, il se ne transformera pas en lac.

 

4.
Le problème de son Roi, c'est qu'il "doit absolument m'imposer sa maudite présence royale dans ma chambre déjà si petite" dit le narrateur. C'est qu'il ne peut en être autrement. Le Roi, évidemment, ne peut que suivre son bouffon, le seul qui, depuis que Dieu a mangé la grenouille, puisse attester de sa royale présence.

 

5.
L'auteur écrit ; le narrateur dit.

 

6.
Nous nous mettons souvent en situation d'être sujet d'un roi que nous ne supportons que parce qu'il le faut bien.

 

7.
Le roi est un "impénétrable." Nul ne connaît le but qu'il poursuit. On ne peut l'expliquer aussi aisément que l'on explique la physique quantique. On ne peut que constater que, parfois, le roi survit à son sujet. C'est tout de même assez rare. En général, il n'en reste que quelques traces que l'on flanque au grenier, ou au placard. Du reste, ainsi placardé, Il arrive qu'il se mette à remuer étrangement, comme si son bouffon lui manquait.

 

8.
Lorsque l'on substitue à sa Chimère un Roi, on fait une assez terrible profession de foi. La Chimère ne pardonne pas ; la Chimère ne pardonne jamais, et rôde autour du palais, prête à dégainer le couteau de ses énigmes.

 

9.
L'auteur écrit ; le narrateur dit. Il arrive que l'un des deux mente.

 

10.
Si le narrateur, au lieu de "mon Roi" avait écrit "ma Reine", le poème aurait pris une concubine dimension. Mais il est que l'on peut avoir une Reine dans la peau et un Roi dans la tête. Et même, parfois, un bouffon dans les nerfs et une araignée au plafond.

 

11.
Le narrateur constate aussi que "dans sa petite chambre viennent et passent les animaux." Je parierais bien que sa chambre, c'est sa caboche, et que ces animaux qui viennent et passent, ce sont ses idées. Il a la cogitation zèbre, le spéculatif rhinocéros, l'opossum pensée, voire ornithorynque, il a même l'automobile laminée, nous confie-t-il. Et je pense, moi, que cette automobile, c'est son âme.

 

12.
Il est d'ailleurs assez nécessaire de se munir d'un casse-tapinois. C'est que certaines de ces jaillissantes créatures sont très indésirables, déviantes, sournoises, porteuses de noirs jugements et de noirs cafards.

 

13.
Il existe dans l'ailleurs une île en forme de couteau qui sépare les eaux du ciel, et l'espace en quatre quarts. Le roi de cette île, on l'appelle Lichtenberg. Personne ne sait plus pourquoi.

 

14.
Entendu ceci dans l'étrange lucarne à bouffons, je cite de mémoire (la phrase était peut-être au pluriel) : "Celle qui y arrivera ne sera pas forcément la meilleure, mais assurément la plus tenace." C'est tellement vrai que j'ai l'impression que beaucoup de ceux qui y arrivent sont surtout tenaces, férocement tenaces.

 

15.
Dans le film d'animation L'île de Black Mor, de Jean-François Laguionie (France, 2004), une épitaphe de pirate : "Now/tête de mort/Here". Fantasy is nowhere and now, here.

 

16.
Enfin, il est question de "petits ébats de feuilles mortes". C'est que l'automne est venu souffler dans la petite chambre et que la matière obscure avance, grand cheval noir avec des guerriers dedans qui, pendant que votre Roi et vous dormirez dans le même songe, vont jaillir du ventre de l'animal et mettre le feu au palais.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 janvier 2013

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2 janvier 2013 3 02 /01 /janvier /2013 12:33

JUS D'OS ET SAC A SYLLABES
En lisant le poème La nuit remue de Henri Michaux. Les citations sont entre guillemets ou en italiques (sauf pour les fragments 5 et 10 où y a pas de citation).

 

1.
Ombres... se glissent et se jettent partout où elles peuvent... ce sont les grandes complices. On tente de les prendre en flagrant délit d'ombrage, mais c'est difficile, elles passent à travers vous et vous font penser à autre chose, aux étincelles par exemple, qui volent et font des petites brûlures dans le lointain, des petites lisières rouges qui grignotent le paysage puis s'allongent, jettent quelques flammes qui, en quelques instants, dévorent la photographie, et vous disparaissez.

 

2.
"On était donc si nombreux !" note Henri Michaux dans la première partie du poème "La nuit remue". On se croit seul à penser ce qu'on pense, à vivre ce qu'on vit, à rêver ce qu'on rêve, puis un événement arrive (la crucifixion d'une belette sur un piano par exemple) et l'on se rend compte que nous étions nombreux, si nombreux que cela ne nous étonne plus de tous porter le même nom.

 

3.
Dans la deuxième partie, le narrateur est sous le plafond bas d'une petite chambre qu'il a le front de prétendre sienne. Alors qu'elle est habitée depuis longtemps par l'esprit d'un hautbois. Aussi assimile-t-il sa nuit à un "gouffre profond". La nuit nous creuse, nous fore et perfore, elle nous troue jusqu'à ce que nous ne soyons plus qu'une béance dans le réel, un être de la nuit, un expert dans l'art de ne plus exister.

 

4.
Je saute la troisième partie car je suis plutôt grand (et puis, franchement, cette histoire de perdrix accrochée à un pantalon !) pour arriver à la quatrième partie où "longues étaient ses jambes, longues. Elle eût fait une danseuse." Très fluide, très souple, ondulante, glissante flamme à la surface de la fenêtre, d'où je regarde se consumer lentement le paysage.

 

5
Untel me dit : "Si je ne m'étais pas laissé enfermer dans mon boulot de PLP (Professeur de Lycée Professionnel), je pense que ça m'aurait plu d'enseigner à la fac." Eh, il se croit plus ignorant qu'il l'est.

 

6.
Le narrateur de la partie 5, un galérien, rêve de pouvoir abandonner ses rames. Il y a sans doute polysémie entre les rames qui servent à promener Elvire au lac où se moquent les coin-coins, et les rames de papier, qui servent à ramer aussi, dans un océan d'écriture. Et le narrateur de soupirer : "Qu'il est dur le pain quotidien, dur à gagner et dur à se faire payer!"

 

7.
La dernière partie du poème La nuit remue contient cette énigme, qui, comme dit le crapaud à l'orthophoniste, me laisse coi; je cite : "Tel partit pour un baiser qui rapporta une tête." Une histoire de palais sans doute... une danseuse amoureuse favorite réclame la tête d'un Jean-du-désert quelconque, pour qui elle béguine. En échange, elle donne un baiser à un roi, et plus sans doute, mais ça ne nous regarde pas. Bref, on coupe le cou au Jean, on danse, on fait la fête, pendant ce temps-là, les sept nains rentrent du boulot et engueulent Blanche-Neige parce qu'elle n'a rien fichu de sa journée, la feignasse.

 

8.
J'ai parfois l'impression que le ciel va s'effriter. C'est-à-dire qu'il va tomber en frites dans l'océan. On pourra donc pêcher des fish and chips tout prêts à être dévorés. Faudra juste les réchauffer.

 

9.
Evidemment, c'est une solution de penser qu'il n'y a pas de solution.

 

10.
" - Ah ce Judas, je vais en faire du jus d'os !" dit le chrétien en colère en apprenant la crucifixion du Christ. A placer, bien entendu, dans un peplum humoristique.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 2 janvier 2013

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21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 01:12

AUTREFOIS N'EST PAS DEUX FOIS
(cf Henri Michaux, La nuit remue, La blibliothèque Gallimard n°90)

1.
"Dans notre vie, rien n'a jamais été droit."
(Henri Michaux, Nous autres)
Voilà ce que disent les bouches rondes, les yeux ronds dans les visages ronds en contemplant, entre les angles, les trajets sinueux que l'on fait pour aller là-bas, d'où on ne revient pas, d'où on ne revient jamais, d'où on n'est plus.

2.
"... et quand c'est bien plat, je sors ma cavalerie."
(Henri Michaux, Au lit)

Mais faut qu'ça soit bien plat. Si c'est tout troué, les chevaux se prennent les pattes dans les trous, hennissent en chutant et envoient leurs cavaliers rouler dans les trous. Alors, on perd la partie. Si c'est tout spongieux, les chevaux glissent dans les abîmes, leurs hennissements sont engloutis, leurs cavaliers étouffés. Alors, on perd la partie. Par contre, si c'est bien plat, la cavalerie peut s'élancer sabre au clair et marteler le sol sec, marteler le sol sec, marteler le sol sec jusqu'à disparaître dans la gloire certaine d'une victoire lointaine. Et si c'est pas une victoire, vous irez acheter, dès que vous pourrez, une autre cavalerie chez le marchand de cavaleries (c'est un homme rare et avisé). De toute façon, faudra bien remplacer les chevaux brisés et les hommes sans tête.

3.
"A tant de choses, à presque l'infini..."
(Henri Michaux, Ma vie)

On remarquera qu'à force de tant, on en finit par l'infini presque, avec trois points de suspension, pour faire bonne mesure.

4.
"Un cultivateur cherchait son cheval parmi les oeufs."
(Henri Michaux, Le Village de fous)

Qui cherche son cheval parmi les oeufs récolte des omelettes.

5.
"Autrefois si gai, maintenant un village désert."
(Henri Michaux, Le Village de fous)

Autrefois n'est pas deux fois.
C'est d'ailleurs pour ça qu'on dit "il était une fois..."
Le village donc fut gai : on suppose des jeux et des ris, des filles et du vin, ou alors pas de coquineries galipettes, mais de la comédie, du théâtre, ou alors des contes amusants, ou alors des fêtes et banquets, de l'abondance bien sûr, et de la fécondité.
Maintenant non plus n'est pas deux fois.
La fée du présent en fait du passé.
Remarquez que donner des cours d'histoire n'est pas autre chose que débiter du passé en tranches, avec des cornichons parfois qui écoutent.
Un village est une communauté d'âmes (on appelle cela paroisse). Certaines sont croyantes, d'autres impatientes. Toutes logent en des corps voués à disparaître. Certaines disparaissent avant l'heure. D'autres ne reviennent jamais. Les âmes, celles qui reviennent, hantent les contes. Les syllabes les retiennent en captivité. Quand les contes sont oubliés, il se peut que ces âmes, soudain déliées de la langue, resurgissent et viennent frapper dans les murs, cogner aux carreaux, murmurer et gémir dans les couloirs et les escaliers.
Cela est d'autant plus évident que autrefois si gai, maintenant désert, le village est livré au vent, à la poussière et au vent, qui vient frapper dans les murs, cogner aux carreaux, s'engouffrer sous les portes, et murmurer, et gémir.

6.
Autrefois si gai, maintenant désert. C'est le lot de bien des humains, quand ils sont ces petits vieux devenus qui n'ont plus besoin de tant parler.

7.
"à cause de ce bizarre et superbe mouvement là-haut"
(Henri Michaux, Conseil au sujet des pins)

C'est à cause des à cause de que tant on cause.
Parmi tous ces à cause de certains sont vraiment bizarres.
D'autres certainement sont superbes.
D'autres logiques comme les règles d'un jeu.
D'autres absurdes comme paroles de chanson.
D'autres étranges comme s'ils avaient réellement quelque chose à nous dire, et qu'ils ne cessaient de répéter dans leur langue de cause.
D'autres tombant en pluie, incessante, obstinée, entêtante, à faire dire à quelque perroquet, ou mainate, ou Zazie : "Tu causes, tu causes, c'est tout c'que tu sais faire."

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 21 novembre 2012

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15 août 2012 3 15 /08 /août /2012 11:34

UNE NOTE SUR JOY DIVISION

Pessoa : "et le soleil est toujours ponctuel chaque matin." Outre qu'il serait étrange qu'il fût ponctuel à l'heure de minuit, il est notable en effet que les drames, l'infini de la souffrance à l'oeuvre dans le monde à chaque instant n'influence jamais la course du soleil car indifférent qu'il est le soleil, comme un dieu à jamais indifférent à nos sorts, nous qui sommes si peu que déjà nous n'y sommes plus. Mon Dieu, c'est vraiment pas marrant ce que je dis là, mais à vrai dire, j'ai du mal à y trouver à se gondoler à ce monde... Je viens sur Arte de voir un film sur Ian Curtis, le chanteur de Joy Division ; m'avait l'air plutôt d'un type bien, déchiré entre deux sentiments amoureux, puis tanné par l'épilepsie & dépassé par son succés grandissant; faut dire, il n'avait que 23 piges au moment où i s'a pendu, Ian, un môme quoi, qui, tout à coup, s'est retrouvé avec beaucoup à gérer que ses griffes & ses dents pas encore assez longues ni dures ; i faut du temps, faut dire, pour savoir comment être malgré ses défauts, pis faire en sorte que les qualités que l'on a quand même servent mais, bien sûr, c'est pas facile et c'est qu'en plus les autres ne l'ont pas facile non plus la vie, et eux non plus, ils savent pas toujours comment faire & être quelqu'un de bien. Maladroits i sont parfois, et puis hypocrites, car on peut pas faire autrement, sinon i faut être franc, la plupart des gens on n'a pas envie de leur parler ; moi je sais bien ça, j'l'ai pas aisée la sympathie ; je souris et je serre les mains en pensant j'peux pas vous le dire ce que je pense vous auriez un choc, du ressentiment même, non moi, à part les jolies filles et encore, la communauté des autres m'intéresse à peine et même de moins en moins. Ses paroles, à Ian Curtis, les paroles de ses chansons, elles ont le charme de la poésie pop, naïves et précises ; de sa vie qu'elles causent ; on comprend assez aisément en même temps ; un peu décousues, détachées, pas ancrées, ses paroles frôlent le pas temporel, ses paroles frisent l'ailleurs du temps, ses paroles, l'étrangeté du temps et que, pourtant, on est dedans amarré, à avancer oh la drôle de danse sur la scène qu'il avait l'air de mimer un gosse qui, alternativement, jette ses bras, les poings fermés, l'air décidé d'un bonhomme en marche en marche & encore en marche toujours en marche car faut bien qu'il marche & marche le bonhomme en chemin pis courageux & volontaire... Oh ce rock mimimaliste qu'ils jouaient, les Joy Division, un rock sans effet, pas virtuose, plutôt répétitives même, les figures, plutôt tribal, pas d'envolées lancinantes & gesticulatoires ; plutôt du fascinant par le répétitif rythme des riffs & des battements d'la batterie ; j'aime plutôt bien ; c'est que c'était toute fin des années 70 après que tout un tas de punks avaient fait un max de bruit sur trois accords ; terminée la pompe planante, on retournait au vif, au bref, aux trois minutes. Encore un truc qui m'a frappé dans ce film là que je sais pas s'il dit vrai, c'est qu'ils avaient pas l'air très aisés financièrement, petites maisons dans des rues de banlieue, une vie plutôt grise malgré la célébrité naissante, pas du tout la grosse baraque & pas le cirque qu'on nous montre souvent : Drugs sex & rock n' roll... Non, la vie quotidienne pas si facile, fatigante plutôt avec les tournées, et puis la routine, le quotidien trivial, et les affects, les inévitables affects, les humains, si humains, trop humains.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 août 2012

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