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9 septembre 2012 7 09 /09 /septembre /2012 19:39

DES FOIS BONNEFOY TOUTEFOIS

(En feuilletant "Estelle Piolet-Ferrux commente Les planches courbes d'Yves Bonnefoy", la bibliothèque Gallimard n°169)

1.
"Chez Bonnefoy, l'expérience de la création poétique s'est depuis toujours accompagnée d'un doute portant sur la légitimité même du poème."
(Estelle Piolet-Ferrux, op. cit., p.23)

Ah bah ! pourquoi qu'i serait point légitime le poème ? Pourquoi qu'i serait moins légitime que le rubbik's cube, la crème renversée, la musique à faire guincher les ptits cons, le regard bovin du crétin de base, les lourdeurs des politiques, les faux seins, les faux culs, les faux jours, les faux billets, les vrais billets, les peupliers, les dépliés, les repliés, les libres penseurs, les dieux (les vrais et les faux), les moumoutes, les mammouths, les films américains, les pâtés en croûte, la choucroute, la semoule, les frites et leurs moules, les moules à gaufres, les gaufres sèches du nouvel an, l'élan du coeur, le coeur sur la main, la main dans la poche avec mon mouchoir par dessus ?

2.
Le doute sur la légitimité du poème : "Ah ! Ciel ! qu'ai-je fait ? Un sonnet ! Quelle horreur !" ainsi s'exprime le poète, chemise déchirée et poitrine offerte au feu du ciel (çui-là de feu que le démon Califourchon, qui grimpe dans les nuages avec son âne volant, envoie de temps en temps, par épars, et selon son bon plaisir, afin de rôtir comme poulets quelques innocents qui ont le tort d'être humains).
Non, sans blague, ce n'est pas parce qu'assez régulièrement, une partie de l'humanité en massacre une autre, que l'on devrait se priver de poèmes, de tartes aux abricots, et du sourire des jolies filles. Ou alors, autant se flageller, s'obliger à apprendre par coeur La Légende des Siècles (de Victor Hugo qui s'la posait point d'ailleurs, lui, la question de la légitimité des longueurs infligées aux enfants des écoles qui pourtant ne lui ont rien fait - i savait c'qu'il disait, Totor, "ouvrez une école, vous fermerez une prison" qu'on dit qu'il a dit, l'Inspiré, - eh ! c'est que c'est pas tant les clients des zonzons qui vont les acheter, ses chefs d'oeuvre, qu'évidemment les écoles, si elles ont pas deux trois séries du génial secoueur de pieuvres géantes et de tempêtes sous les crânes, sont-ce encore des écoles de la République, des écoles laïques, morales, obligatoires, citoyennes, Instructives, éducatives, animatrices, sociales, culturelles, passeuses (le terme très ridicule de "passeur" est fort apprécié des pédagogistes), abolitionnistes, bienveillantes, condescendantes, administratives, subventionnées, hein , on se le demande.

3.
"Le surgissement du souvenir est pourtant fortement exprimé par les indications temporelles : "Et alors un jour vint."
(Estelle Piolet-Ferrux, op. cit., p.59)  

Et alors un jour vint que j'me souvins. Ah oui, c'est fort ça...

4.
"singulièrement au coeur des deux textes en prose, intitulés "les planches courbes" et "jeter des pierres".
(Estelle Piolet-Ferrux, op. cit., p.73)

J'aime bien ça comme titre : "les planches courbes", sans doute pour faire le tonneau à Diogène. On y dessine aussi des histoires courbes d'univers courbes. Quant à "jeter des pierres", c'est méchant quand même... on appelle ça lapider... ça se pratique chez les barbus... c'est dégueulasse. Sinon, on peut jeter des pierres pour faire des ricochets dans l'eau... ça passe le temps... A force de balancer des pierres dans l'eau, ça doit faire comme des palais bizarres dans le fond de la flotte, là où y a un noyé des fois.

5.
"Demander rivage" : une poétique de l'entre-deux"
(Estelle Piolet-Ferrux, op. cit., p.59)

Je parierais bien un poil de barbe contre un barbecue que c'est le mot "rives" qui vient après "entre-deux". Cela me paraît logique, et puis ça n'a pas plus de sens... je veux dire c'est pas moins absurde que d'écrire "entre-deux pages", "entre-deux livres", "entre-deux pontifications au Collège de France", "entre-deux chers amis", "entre-deux c'est moi que j'suis poète", "entre-deux ah flûte, zut, mallarmuche, j'ai oublié les merguez pour le barbecue" (ceci dit, je vois pas Yves Bonnefoy préparer un barbecue, genre Au sphinx des flammes, j'offre la chair de ce qui fut machine / Et je bois le vin nouveau du cadavre ancien / Rien n'est exquis en ce monde que ce qui ne fut / Je r'prendrais bien un ballon de rouge moi).

6
Y a une section du recueil "Les planches courbes" d'Yves Bonnefoy qui a comme titre "Dans le leurre des mots". Ce qui me titille l'esprit mauvais (çui qui ajoute poil aux nénés) et m'fait penser que c'est dans le leurre des mots des fois qu'on la fait sa motte de beurre.

7.
"Le je est paniqué face au délitement du monde qui se désagrège dans le trouble de la relation sensible."
(Estelle Piolet-Ferrux, op. cit. p.96)

S'arrête point de s'effriter le monde... s'effrite, s'effrite, s'effrite... c'est qu'elle prend plus, la mayonnaise... c'est paniquant... qu'est-ce que j'vas faire?... entrer dans les ordres? entrer sous les ordres? m'tirer en désordre? Ah non alors ! J'vas mitonner une sauce tomate...

8.
"lumière dans l'esprit" , "lampe cachée dans son coeur" : d'après ce que je comprends, ce sont des expressions tirées de poèmes de Yves Bonnefoy (cf Estelle Piolet-Ferrux op. cit. p.39). Style un peu chrétien tout de même... idéaliste en tout cas... illuminé des Lumières... comme il avait une lampe cachée dans son coeur, il s'ouvrit la poitrine et se décrocha la loupiote du palpitant ; c'est que la lumière de son esprit faiblissait quelque peu (il venait de refermer "La Légende des Siècles" de Victor Hugo).

9.
"Ô terre, / Signes désaccordés, chemins épars / Mais beauté, absolue beauté" : c'est encore du Bonnefoy cité par Estelle Piolet-Ferrux (opssit p.38) : là quand même, on peut se la poser, la problématique de la légitimité du poème. Que voulez-vous, moi dès qu'un écrivain se met à s'extasier sur "l'absolue beauté" de la boule à catastrophes, moi, j'me moque. On peut l'aimer beaucoup, Machine, l'adorer, à n'en pas dormir des fois, à se la sentir glacée la palpitance quand elle vous regarde même pas, qu'elle pense à un autre, mais faut jamais oublier qu'c'est jamais qu'une humaine (je vous passe les détails, c'est pas ragoûtant, mais c'est comme ça et en général ça s'arrange pas avec l'âge). Et puis, c'est pas tout ça, mais les grands massacres sous la lune, et les tortures, et la chiennerie d'la maladie, ça fait pas s'extasier, quand même, ou alors faut y mettre de la peste brune.

10.
Dans ces notes sur Yves Bonnefoy, je fus fort de mauvaise foi, car je suis de mauvaise foi. C'est mon médecin qui me l'a dit.

11.
"mettre Lulu en sourdine" : alors que je manifestai mon peu d'enthousiasme à l'idée d'écouter Lulu d'Alban Berg (c'est tellement bien que je le laisse à ceux qui le méritent plus que moi), Elise me dit : " tu veux pas mettre Lulu en sourdine ?" Je trouvai la trouvaille épatante qui vaut sans doute pour beaucoup d'oeuvres formidables que notre peu de curiosité et notre coupable négligence nous entraînent à délaisser cependant que nous admirons les exploits de Benny Hill ou des Avengers en couleur.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 9 septembre 2012

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5 septembre 2012 3 05 /09 /septembre /2012 14:27

TU DOIS DONC AUGMENTER LE FARDEAU DE TA VIE

En feuilletant Humain, trop humain de Nietzsche traduit par Desrousseaux et Albert, traduction revue par Angèle Kremer-Marietti, Le Livre de Poche, "Les Classiques de la Philosophie", n°4634.

1.
"avec un air d'obstination implacable, comme si le cercle ne devait jamais être fermé."
(Nietzsche, Humain, trop humain, Opinions et Sentences mêlées, 125)

L'orgueil ne ferme jamais le cercle. Il en maintient l'ouverture, ne serait-ce que de la largeur d'une lame de couteau.

2.
"mais pour l'homme ce sont des portes d'accès, pour l'enfant des passages."
(Nietzsche, Humain, trop humain, Opinions et Sentences mêlées, 281)

Les portes, des accès qui ne sont jamais que des passages. A force d'accèder, certains ne font plus que ça, accèder. Ils appellent ça faire carrière.

3.
Si l'on mesure la qualité d'un être à la peine qu'il se donne, bien des personnes, évidemment, sont d'une qualité supérieure. On peut même dire que l'occident tout entier est pétri de cette qualité. Cette somme des travaux et des jours passés à travailler et qui constitue l'histoire de l'humanité est proprement inimaginable. Le vrai dieu des humains est le dieu du labeur.

4.
On ne peut deviner l'idéal de l'autre pas plus que l'on ne peut lire l'heure dans les yeux d'un chat.

5.
"Tu dois donc augmenter le fardeau de ta vie."
(Nietzsche, Humain, trop humain, Opinions et Sentences mêlées, 401)

C'est comme cela que l'on en arrive à la haute distinction d'âne bâté.

6.
L'opposant politique critique avec plus ou moins de talent ce sur quoi il s'appuiera lorsqu'à son tour il arrivera aux responsabilités. On appelle cela "débat démocratique".

7.
Le fourreau n'est pas le poignard ; la main n'est pas le gant ; l'acte n'est pas la parole. C'est un des travers de l'administration que de confondre acte et parole, théorie et pratique, note de service et service.

8.
Prendre la philosophie au sérieux revient à vouloir y faire carrière. Ou alors, c'est que l'on est bien naïf.

9.
Entendu dire que Diogène avait beaucoup écrit, mais que tout avait été perdu. Quel cynisme !

10.
Le condescendant est quelqu'un d'assez sot pour croire qu'on lui est redevable. Sa condescendance nous épargne d'ailleurs de le remercier des services inestimables qu'il a pu nous rendre.

11.
Je me demande si François Villon enfant jouait parfois au pendu. On me dira que le jeu sans doute n'existait pas encore. Cela ne m'empêchera pas de me le demander. Surtout si cela ne sert à rien.

12.
L'on ne doit qu'à celui qui ne demande rien.

13.
Au train où ça va, certains élèves vont finir par être diplômés à leur insu, par contumace.

14.
Se prendre d'affection sans avoir les moyens de sa sympathie, c'est s'épouvantailler illico.

15.
On ne tombe jamais amoureux que du superlatif. Pour moi, je n'ai jamais su aimer par défaut. C'est sans doute cela le fond de ma méchanceté.

16.
Il est sûr que certains me lisent pour avoir le loisir de dire : "Quel cynique ! Quel prétentieux ! Quel imbécile !" Ne voient-ils pas alors que c'est d'eux-mêmes qu'ils parlent ?

17.
Le poignard de l'aphorisme peut mettre très longtemps avant de toucher sa cible, mais il finit toujours par l'atteindre, toujours.

18.
La mort parle pour nous. Aussi est-elle si souvent violente, injuste, imprévisible, cruelle.

19.
Il m'arrive de penser que bientôt l'on ne pourra pas mourir sans avoir rempli tous les formulaires nécessaires. Un de ces êtres innombrables et interchangeables qui peuplent les bureaux et archivent votre existence viendra un papier à la main exiger de l'hôpital qu'on le laisse vous voir avant qu'il ne soit trop tard.

20.
Je me demande s'il serait possible de lancer une procédure post-mortem. Le mort poursuit le vif.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 septembre 2012

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1 septembre 2012 6 01 /09 /septembre /2012 09:04

D'UNE AUTRE REALITE

1.
"Et tout cela résonne en moi du fond d'une autre réalité..."
(Fernando Pessoa, traduit par Armand Guibert, Passage des heures)

Tout ce que nous avons vécu, du réel tellement passé que ça en devient comme une autre réalité. Nous traversons une multitude de petits bouts de réel, d'éclats, de pièces d'un puzzle que la conscience organise en un tout logique.

2.
Nous croyons résoudre un puzzle alors que c'est lui qui nous constitue. Être humain, c'est se confronter au puzzle.

3.
"l'impossibilité d'exprimer tous les sentiments"
(Fernando Pessoa, traduit par Armand Guibert, Passage des heures)

Il n'y a de sentiment qu'exprimé. L'humain s'illusionne sans cesse sur les faits et gestes - les siens comme ceux des autres - ; ces petites ombres d'empathie, ces traces d'humeur qu'il perçoit, il les interprète presque toujours de travers et il a même l'impression d'un trésor qu'il ne pourrait exprimer qu'avec peine, et que la littérature est impuissante à l'exprimer, cet infini des impressions qui tisse ses journées. Foutaise ! Le seul infini qu'il y ait, c'est l'infini des faits et gestes, ce qui se passe dans la tête des gens est vérité inaccessible ; vous ne pouvez jamais que supposer ; vous vous trompez fatalement : vous pouvez toujours discourir sur le sphinx, mettre en oeuvre toutes les ressources de votre langue, composer poèmes, tragédies, romans, traités du sphinx, il n'en reste pas moins que ce que ressent le sphinx, que ce qui connecte ses neurones vous reste à jamais inconnu. Le sphinx dont vous parlez est celui que votre langue constitue. Il n'est de vivre ensemble que dans la fiction nécessaire de la langue.

4.
Si nous pouvions déchiffrer les significations exactes des messages induits par les réseaux de neurones qui se bousculent dans une tête, nos cheveux se dresseraient et nous pâlirions fort car nous aurions d'un coup la révélation de la radicale férocité de l'être.

5.
Le plus curieux tout de même, c'est que nous percevons en quelques secondes, immédiatement quasi, la sympathie, l'indifférence ou le rejet que la façon dont nous sommes au monde déclenche chez cet autre dont nous croisons le regard. Est-ce là l'oeuvre du cerveau reptilien ? Ainsi, en dehors des évidentes attitudes liées à la pratique du commerce, je perçois la sympathie de telle vendeuse, que je n'ai pourtant vue que trois ou quatre fois, cependant que telle autre, bien que souriante et polie, est complétement indifférente à ma présence. Si je poursuis l'analyse, je comprends vite que la "sympathique" n'est pas mariée (j'ai bien sûr regardé ses mains), assez jeune encore et si elle a un petit ami (ce qui est probable mais pas certain), elle n'est peut-être pas assez engagée encore pour se dispenser de manifester son intérêt pour un certain type d'homme. En outre, ce n'est probablement pas sa profession (elle ne travaille là que pendant les vacances ; peut-être a-t-elle un lien de famille avec le gérant ? De fait, elle est encore assez jeune pour être étudiante). "L'indifférente", quant à elle, est vendeuse de profession, et mariée, sans doute maman déjà et s'intéresse à des hommes plutôt jeunes et apparemment peu introspectifs (j'ai remarqué son émotion aux quelques mots échangés avec un client que, de toute évidence, elle connaissait par ailleurs, un homme jeune, souriant et plein de cette manière d'être, comme on dit, tourné vers les autres, que je n'ai évidemment pas). Un peu plus tard, dans un café, croisé le regard d'une cliente : rejet immédiat de ma personne dans l'oeil de la belle (fort à parier qu'elle est mariée ou en ménage depuis assez longtemps - elle n'est d'ailleurs plus si jeune quoique mince et vive -, qu'elle mène sans doute une vie assez active, ou aimerait mener une vie assez active - elle est passée en coup de vent acheter un paquet de cigarettes et a rejoint prestement la gare -, et que donc quelqu'un qui a l'air de nonchaler en buvant une bière ne peut pas attirer son regard (bien que nos regards se soient croisés, le clignement des yeux qu'elle a eu cependant qu'elle farfouillait dans son sac pour en tirer son porte-monnaie indique que, littéralement, elle ne m'a pas vu - elle devait se dire "il doit être là, oui, je le tiens"). Vous me direz : Houzeau, c'est donc à ça que vous pensez quand vous sortez, à la façon dont les jeunes femmes vous perçoivent ? - Entre autres, c'est que je n'ai pas eu de soeur, et que donc je ne vois dans les autres hommes que des "frères" concurrents (je suis assez sensible à l'injustice, certes et c'est là toute ma fraternité, mais je ne peux éprouver de sympathie pour un autre homme ; ce que j'éprouve, c'est du respect, de l'admiration, du mépris, de l'indifférence, mais très rarement de la sympathie, cependant que l'absence de soeur a contribué à rendre assez mystérieux, et donc intéressant, cet être autre que l'on appelle "féminin", à condition, bien entendu, que ce féminin ait une certaine tenue, soyons sérieux, on est ici dans le pur spéculatif, et pas dans la drague ; du reste, j'ai probablement tout faux et ce que je raconte ici n'est probablement que pur roman). Enfin, le plus étrange sans doute, c'est que les circonstances pourraient très bien être telles que c'est en fin de compte avec "l'indifférente" ou la "rejetante" que l'on soit amené à sympathiser alors que la "sympathique" finira par ne plus même vous dire bonjour quand vous la croiserez. C'est vous dire que ce qu'il y a dans la tête des gens, c'est quand même bien labyrinthe et compagnie, et peut-être bien surtout dans la mienne.

6.
Ce que nous admirons chez Sherlock Holmes, Hercule Poirot et Maigret (c'est-à-dire chez Conan Doyle, Agatha Christie et Georges Simenon) ce n'est pas une prétendue "connaissance du coeur humain", mais au contraire la science qu'ils ont de lire dans les faits et gestes, de saisir très vite l'ensemble des significations et des connotations attachées à telle manière de parler, de boire, de mentir, de raconter, de se présenter, de partir. Holmes ne s'intéresse qu'aux relations logiques qui expliquent les faits ; Maigret affirme ne rien savoir, ne rien penser, et pourtant il comprend ; Poirot n'a confiance qu'en ses "petites cellules grises" comme Rouletabille affirme la supériorité du "bon bout de la raison". Ces grands détectives auraient-ils en commun de maîtriser parfaitement leur cerveau reptilien de sorte que leurs déductions ne viendraient jamais que conforter cette reconnaissance immédiate du caractère énigmatique de tel fait, de tel geste apparemment anodin ?

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 1er septembre 2012

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30 août 2012 4 30 /08 /août /2012 06:13

IL N'Y A QUE LES HEUREUX POUR ÊTRE HEUREUX

Les citations de cette page sont extraites de La généalogie de la morale, de Nietzsche, traduit par Isabelle Hildenbrand et Jean Gratien, folio essais n°16.

1.
"et toute l'histoire d'une "chose" (Nietzsche, La généalogie de la morale, folio essais n°16, p.85) : c'est ce que l'on appelle "histoire", établir la chronologie des choses, rendre compte des rapports des choses passées entre elles. On ne peut d'ailleurs faire l'histoire d'une chose que si elle a passé outre. Sinon, c'est de la biographie. Ainsi, on ne peut écrire l'histoire de l'humanité ; on ne peut que faire un rappel du passé. L'expression le dit bien : on leur rappelle leur passé aux humains. Le passé répond d'ailleurs : échos sinistres.

2.
Schopenhauer, avait, selon Nietzsche, "besoin d'ennemis pour garder sa bonne humeur" (p.123). Être de bonne humeur quand on l'a mauvaise demande bien du talent. C'est qu'alors l'auteur sait qu'il va pouvoir exercer son esprit aiguisé, acéré, mordant. Qu'il va pouvoir user du couperet de la logique, trancher, hacher, déchirer les pages adverses. Il y a sans doute quelque miévrerie, sinon la plus parfaite hypocrisie, à n'écrire qu'avec de bons sentiments. Ou alors c'est que les humains sont meilleurs que je le pense.

3.
Entendu sur France Culture que le monde de la recherche universitaire n'avait guère de leçons à donner au secteur marchand en matière de férocité dans la concurrence. Je ne sais qu'en penser : je suppose que les places sont chères. Je sais comme tout le monde que l'on n'obtient rien sans se montrer aimable, c'est-à-dire utilement hypocrite. Il est rare que l'on nous accorde quelque chose sur la seule base du talent. Si peu que cela soit, il faut bien se montrer aimable, et l'on peut pardonner sa boulette à celui qui sait sourire cependant que l'on reproche aigrement une vétille à celui qui ne sait pas. Cela dément la réflexion d'un collègue selon laquelle la fonction publique est forcément plus honnête que le secteur privé en ce que, les gens étant garantis de leur emploi, les enjeux y sont donc moindres. Cela serait peut-être vrai si tous étaient fonctionnaires. Mais l'on sait qu'une économie basée sur le fonctionnariat est vouée à l'échec.

4.
La solitude est une école de l'aigreur. Le vivre ensemble aussi. Il n'y a que les heureux pour être heureux.

5.
Les caractères heureux exercent une fascination telle qu'ils ne peuvent être que confortés par l'admiration qu'on leur porte. Le bonheur est une qualité qui se flatte, cependant que l'aigreur s'entretient aisément toute seule.

6.
L'amitié consiste souvent à conforter l'autre dans le choix qu'il a fait de vous prendre pour ami. Cela peut aller jusqu'à la condescendance. Ainsi les gens confondent-ils, ou feignent de confondre, l'affection (laquelle est toujours désintéressée) et l'intérêt que l'on a à fréquenter untel plutôt qu'untel. Cette bêtise que l'on appelle convivialité tend à brouiller les pistes et si vous avez la sottise de prendre pour argent comptant la bise que l'on vous fait le matin, le café que l'on vous offre, le sourire que l'on vous fait, vous vous préparez vous-même à des désillusions parfois assez amères.

7.
"Pour pouvoir ériger un sanctuaire, il faut briser un sanctuaire" (Nietzsche, p.108). Nos certitudes s'opposant aux autres certitudes, il me semble donc salutaire de douter de tous les absolus, en dehors de l'absolument vrai qui ne se trouve que dans le secret des équations. Une chose avérée n'est jamais qu'une chose confortée dans l'efficacité de son mensonge.

8.
L'humain, un absolu tempéré par les circonstances. Ceci dit, un existentialiste dirait que ce sont les circonstances justement qui révèlent l'absolu. En fait, ce sont les circonstances qui constituent l'essentiel de l'absolu. L'humain n'est qu'absolument circonstanciel. Quel horrible égalitarisme ! comme si toutes les circonstances se valaient, étaient en quelque sorte rachetées par l'humain. Ce qui en fin de compte est assez religieux, voire mystique, et tout à fait hypocrite, l'humain considérant si facilement que l'absolu c'est lui et que tout le reste n'est que relatif. Je n'ai rien contre cette croyance d'ailleurs, - puisque c'est comme ça qu'on vit - mais quelle hypocrisie ! quel mensonge ! ça doit être ça qu'ils appellent "socialisme".

9.
"La beauté est une promesse de bonheur" (Stendhal cité par Nietzsche, p.122) : bin oui, une promesse, et rien qu'une promesse, et il faut être d'un très heureux caractère pour se contenter de promesses.

10
Je commence souvent par dire "non", pour dire ensuite "oui, oui" , et regretter enfin qu'il y ait eu un "oui" de trop.

11.
Je regarde le chameau.
Je trouve le chameau intéressant.
Du coup, il s'en va.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 30 août 2012

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23 août 2012 4 23 /08 /août /2012 22:43

ET POURTANT ELLES S'OUVRENT

1.
Si la lune est, comme l'écrit Jim Morrison dans "Une prière américaine", une bête à sang sec, à poussière de sang, "a dry blood beast", c'est qu'alors nous arpentons l'échine d'une bête à sang chaud bouillant.

2.
L'image du "tigre aveugle" qui seul pourrait sauver la Reine de la Grand Route (Queen Of The Highway) dans une chanson de Jim Morrison (No one could save her save the blind tiger), exprime peut-être l'idée d'une puissance aveugle, d'une menace qui dégage les chemins, écarte la foule, éloigne les prédateurs. Mais si ça se trouve, c'est le nom d'une marque de bourbon. Les Américains ont le don des noms. Ainsi, j'ai lu autrefois quelque part que le groupe Blue Öyster Cult ("Le Culte de l'Huître Bleue") tirait son nom d'une marque de bière. Ce qui est amusant, et rassurant. Ceci dit, je vous emmène bien en bateau, cause que le texte de Morrison apporte une réponse :

"No one could save her save the blind tiger ;
he was a monster black dressed in leather
"
"Personne ne pouvait la sauver sauf le tigre aveugle ;
lui était un monstre noir vêtu de cuir"
(traduction : Hervé Muller, "une prière américaine", 10/18 n°1714).

3.
"Les gens sont étranges quand tu es un étranger"
"People are strange when you're a stranger"
(Jim Morrison, People are strange)
Je sais pas si c'est Morrison qui l'a composé tout seul, cet aphorisme, vu que son évidence lui donne une patine familière. En plus, ça sonne aussi juste en français qu'en anglais. Fallait y penser.

4.
Il y a dans The Celebration Of The Lizard, un passage que j'aime tout particulièrement :

"Once I had a little game
I liked to crawl back into my brain
I think you know the game I mean
I mean the game called "go insane"
(Jim Morrison, The Celebration Of The Lizard)

"Autrefois j'avais un petit jeu
J'aimais me retourner en rampant dans mon cerveau
Je pense que vous connaissez le jeu dont je parle
Je parle de ce jeu qu'on appelle "devenir fou"
(traduction : Hervé Muller)

Je me moque souvent des poètes à monde intérieur et autres fariboles introspectives. C'est qu'on est d'l'organe, et pis c'est tout. Y a qu'à penser à la façon dont on va finir. Eh oui, la plus belle, que vous dévorez des yeux, celle dont vous vous dites qu'elle est quand même unique, d'une manière d'être incroyable, d'un charme inédit, et tout ci tout ça, elle va, la plus belle, tout comme vous, d'ici quelques dizaines d'années, pourrir et se décomposer. Alors les infinis intérieurs, hein bon... ce qu'il y a dans ce que dit Morrison, c'est que, justement, on ne peut "ramper dans son cerveau" qu'en "devenant fou". C'est le principe de la répétition, de la fascination, ça tourne sans cesse dans la tête, comme si il y avait comme ça un circuit neuronal sur lequel passerait sans cesse la même idée. On ne peut faire autrement que d'y penser. Le reste du monde devient alors très lointain et ne peut plus prendre sens que dans l'urgence.

5.
Répétitions et variations : c'est ainsi qu'ça évolue. Ce qu'il y a, c'est qu'il faut éviter de se laisser captiver par la synchronie. C'est qu'elle est tentante, la synchronie, l'apparente perfection de ce qui ne varie plus. D'une certaine manière, les créateurs ne font jamais que créer des synchronies : le roman ne bouge pas d'une lettre ; le tableau présentera toujours les mêmes couleurs ; la partition est déjà jouée sur le papier. Mais, bien sûr, l'interprète et le commentateur désynchronisent l'oeuvre, lui font dire ce qu'elle ne dit pas, révèlent des secrets qu'elle ignore elle-même, lui donnent un sens qui lui échappe. L'humain forge ainsi des clés pour des portes qui n'existent pas. Et pourtant, elles s'ouvrent.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 23 août 2012

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22 août 2012 3 22 /08 /août /2012 13:06

FAMILIARITE DU CHIEN

"De vous tous le roi désespère, et il danse pour vous plaire !" Il dit cela, Louis Enfant Roi, dans ce film vu revu admiré encore de Roger Planchon. C'est que, très tôt, Louis XIV comprend qu'il appartient à la représentation, et que s'il est au centre du monde ainsi que nous sommes au centre de notre langue - au moment où son pouvoir vacille sous les assauts de la Fronde, une réplique lui fait dire que lui, Louis, se trouve au coeur de ses armées comme Jésus, ou dit-il Dieu? au coeur de l'eucharistie (peut-être dit-il aussi Notre Seigneur) - il se doit alors, lui, d'incarner cette représentation de l'Etat ; il doit être fascinant, littéralement fascinant, que combien même feraient-ils semblant de se fasciner les courtisans, il est que sa puissance ne puisse être remise en question. De même, c'est la fascination que vise le discours ; la langue & même celle de tous les jours, celle qui est faite des échanges fonctionnels, celle qui, apparemment, n'a pas d'autre visée que de confirmer l'appartenance à une communauté, à une équipe, à un projet, a aussi pour but de révéler ce qui peut être fascinant dans le trivial, ce qui est admirable dans l'assiduité & dans l'attachement des gens à leur travail. Simenon est un des auteurs qui servit le mieux cette langue grise des jours qui se suivent, à tel point que de ses romans se dégage la familiarité de ce qui nous est proche et loin à la fois ; c'est que dans cette prose qui semble si simple, si peu littéraire, prosaïque même, très roman de gare en effet, nous ne nous situons pas avec Simenon dans un territoire étranger. La familiarité que nous éprouvons à leur lecture, aux romans de Simenon, et qui s'accorde si bien aux paysages urbains, aux gares & aux visages que nous croisons dans la rue, dans les bureaux et commerces, est d'autant plus fascinante que c'est au coeur de cette familiarité que, tout à coup, quelque chose survient, qu'il y a un drame. Quelqu'un soudain, qui, jusque là n'avait pas fait parler de lui, une personne sans intérêt particulier, une personne sans relief, parfois c'est un notable, quelqu'un de bien, quelqu'un a tué quelqu'un d'autre, et pourtant les jours continuent à se suivre ; les gens vont à leur travail. Lui aussi, Maigret ne fait pas autre chose qu'un travail, son travail, car ce crime n'est jamais qu'un fait divers de plus, dont ils se font l'écho, les journaux, & qui prouve que les gens recèlent des latences de drames très terribles, des labyrinthes à meurtre. J'entends les cris d'Artaud à la radio. C'est que, régulièrement, ça hante les ondes, ça, les cris d'Antonin. Un spectre à la voix âpre, désagréable, pas charmante, et certains disent même qu'ils la trouvent fascinante, en tout cas émouvante. Pas moi ; c'est le cri du trouble. Tout de même le premier poète punk, Artaud, pas glamour, pas crooner & pas compatissant ; je lui accorde. En ce sens, c'est une claque à l'humanisme, à toute cette foutaise qui tend à faire du poète un ami du genre humain, ou un guignol à rêveries du monde du rêve & de la fantaisie, comme je l'ai entendu dire, mais faites donc attention qu'il sourit, le loup, avant d'attaquer & que derrière le masque des fantaisies, une drôle de langue répand ses poisons, un chien tourne en rond, un chien solaire, toxique & qui n'aime pas être dérangé.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 21 août 2012

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21 août 2012 2 21 /08 /août /2012 12:22

LA RUINE PAR LA SAGESSE

1.
"On ne peut éviter les défauts des hommes sans fuir, par là même, leurs vertus. Ainsi on se ruine par la sagesse."
(Cioran, Les Syllogismes de l'amertume, folio essais n°79, p.88)

Il sonne Grand Siècle, cet aphorisme. Il est de cette langue ample et belle qui fut celle des moralistes aigus, des épistoliers perspicaces, des diaristes sagaces. Il est basé sur la différence d'intensité entre les verbes "éviter" et "fuir" et souligne cette vérité que, évitant des personnes pour leurs défauts, on se prive parfois aussi de la beauté de leurs vertus. Les gens cependant ont l'art et la manière de se fréquenter et de se rendre service mutuellement sans que leurs défauts occasionnent trop de gêne. Il y faut de l'entregent, de la diplomatie, de la psychologie, de la patience, et l'art subtil de la manipulation tempérée par quelques démonstrations d'amitié. On appelle cela le "savoir vivre". Les parents et l'école ont pour charge de transmettre ce savoir vivre, et jusqu'au baccalauréat, il ne fait pas de doute que cette transmission est aussi importante que celle des savoirs proprement dits. Je ne pense cependant pas que ce savoir vivre doive aller jusqu'à la compromission, la promiscuité, la constitution de réseaux, de clans, de groupes, de bandes, de meutes. C'est, hélas, ce à quoi on assiste : des réseaux des grandes écoles - qui ne datent pas d'hier - jusqu'aux bandes des quartiers sensibles, l'individu se retrouve vite prisonnier de manières d'être et de penser qui font de lui un obligé. C'est pourquoi je suis plutôt opposé à cette légitimation du panier de crabes des internats (qu'ils fussent prétendûment d'excellence ou pas, et il y aurait beaucoup à dire sur la manière dont certains établissements ont truqué les résultats de quelques indésirables afin qu'ils aillent ailleurs exercer leur pouvoir de nuisance). Je dis ceci mais il est certes assez difficile d'apprendre aux gens à tenir leurs distances. Moi-même, faute de ne pas l'avoir compris assez tôt, j'en suis maintenant arrivé à devoir théoriser une pratique, et à radicaliser des postures, dont j'avais, peu à peu, désappris les bases, qui me furent pourtant transmises. Où est-il ce temps où je poursuivais ma lecture sans être troublé par les inévitables visiteurs venus je ne sais pour quoi et espérant sans doute m'intéresser ? Croyez-vous réellement être plus important à mes yeux que Racine et Molière ? Et pour la nécessité de fréquenter le vivant, bah, la modernité commerçante y pourvoit assez.

2.
Ce que ma mère m'a appris d'essentiel, c'est que l'individu n'était que par son travail, et que la médiocrité était la pire des choses. Ce que j'ai compris intellectuellement, la lenteur des écoles me l'a désappris à un point tel que je fus fort mauvais élève. Me méfiant de la médiocrité ordinaire, et éprouvant bien du mal à combler mes lacunes, c'est par l'écriture que je trouvai moyen de faire un pied-de-nez à la tiédeur égalitariste aussi bien qu'au pseudo-élitisme des hiérarchies.

3.
Si l'on m'a bien lu, l'on ne s'étonnera pas de la sympathie que j'éprouve pour des films comme Man On The Moon (Milos Forman, 1999), ou encore Albert Est Méchant (Hervé palud, 2004) où les personnages incarnés par Jim Carrey dans le film de Forman, et Michel Serrault dans le film de Palud, sont certes insupportables et imprévisibles, mais d'une si grande irrévérence pour les hypocrisies du vivre ensemble, que je ne peux que les applaudir, quand bien même dans la vie réelle, ce genre de mode d'être ne peut vous conduire qu'à l'exclusion. Aussi, le personnage de l'écrivain misanthrope incarné par Serrault est-il voué à quelque chose qui ressemble fort à une "horreur des banlieues" librement consentie. Monsieur de Sainte-Colombe, interprété par Jean-Pierre Marielle dans Tous Les Matins Du Monde (Alain Corneau, 1991), me semble avoir une attitude plus réaliste en ce qu'elle consiste à mettre le plus de distance acceptable entre ce qu'il y a d'inévitablement médiocre dans les rapports sociaux et la pratique journalière de son art.

4.
En écoutant Michel Onfray sur France Culture, j'apprends que Giraudoux a dans sa vie "politique" écrit quelques basses stupidités. Que l'auteur des si beaux Electre et de La Guerre de Troie n'aura pas lieu ait déliré sur la race et les nécessités de l'ordre nous rappelle que les gens sont en-dessous de leur légende. C'est même pour ça qu'il y a légende : legenda, ce qui doit être lu, n'est donc qu'une admirable fiction.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 21 août 2012

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21 août 2012 2 21 /08 /août /2012 05:14

EVITER SANS FUIR

Ce que c'est tout de même qu'une belle langue ! Par exemple, cette phrase que je trouve chez Cioran :

"On ne peut éviter les défauts des hommes sans fuir, par là même, leurs vertus."

C'est dans ses Syllogismes de l'amertume ; on dirait du La Rochefoucauld & il est vrai que les autres sont à la fois vertus & défauts. Moi qui suis plutôt défiant, il me faut bien faire une raison des qualités des gens. C'est que, tout compte fait, ce qui en eux me déplaît finit par m'éloigner. Ce qui ne serait rien sans grincements de dents et vipérins malentendus. Aussi, connaissant mon peu de compétence pour l'amitié, je tends en vieillissant à ne fréquenter les gens que par pur besoin social, et je leur laisse le plaisir de se retrouver entre eux. Ainsi, jamais je ne retomberai dans cette naïveté de me prendre d'affection pour quelqu'un qui eut bien autre chose, la belle personne, à faire que de se soucier de ma trogne. Adieu donc, Mademoiselle & puisque j'ai tendance à considérer qu'une amitié ne peut exister entre deux hommes - cela me semble de la fiction, de la miévrerie & l'on ne doit considérer que le respect ou le mépris qu'un homme peut éprouver pour un autre (le commerce des services et des biens pourvoit au reste, et cela est très bien) & c'est très grotesque à mes yeux que deux hommes se faisant la bise comme s'ils étaient frères & nous savons qu'il n'est de meilleur traître que celui qui se prétend notre frère - y a-t-il donc de la place pour quelqu'un d'autre que mes parents & la femme qui m'accompagne ? Oui ? Une autre femme ? Voilà qui, à mon avis, n'arrivera pas. Ce qu'il y a dans ce que j'affirme, c'est que le vivre ensemble convivial, et cette trop grande familiarité entre les personnes ne peut amener qu'hypocrisie grotesque vaudeville manipulation aveuglement et déception, en un mot guignolade. J'écris ceci en regardant une fois de plus les belles scènes du film Louis, Enfant Roi de Roger Planchon. Oui-da, les personnes du Grand Siècle furent si violentes et sales et de parti pris - c'est du masque dont je parle, celui qu'on lui colla, au Grand Monde qui était peut-être encore bien pire que ce qu'on en dit - sales et très injustes, cyniques bien sûr & bien sûr d'une terrible morgue des grands, i faut bien le dire - mais quelle jactance fabuleuse! Quel esprit! Quelle puissance d'évocation! Quelle liberté de ton chez certains, loin de la langue de bois que l'on trouve maintenant dans toutes les bouches, dans les cours et discours, les voeux et les désaveux, les rôles et les paroles, les messes et les promesses. Je dis ceci car je le pense, même si c'est un autre langage qui m'anime, que je ne connais pas, une langue étrangère à moi-même : Je dis je, mais qui est donc ce je que je dis et qui n'est que convention du langage ? Je dis je, et si je dis faux, n'est-ce pas ce je qui est accusé ? Mais ce je n'est pas plus moi que le tu que j'emploie est toi. Seigneur, qu'elle est sanglante alors cette langue qui coupe & tranche & ment comme nous respirons.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 21 août 2012

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20 août 2012 1 20 /08 /août /2012 12:22

SCORPION ET FOUDRE

1.
Scorpion et foudre sont les véritables signes de ce monde. Si j'avais à décider d'un logo pour un groupe de hard rock, c'est sur le scorpion et la foudre que je me baserais.

2.
Sablier de l'univers que Chronos renverse selon les principes d'une durée dont nous ignorons les règles.

3.
Entendu hier Luc Ferry sur France Culture évoquer le présent comme étant la seule chose dont nous pouvons être sûrs et, à ce titre, comme constituant l'essentiel de notre rapport à l'autre. Certes, mais le présent est, par définition, insaisissable. Le présent n'est rien s'il n'est pas hanté par la conscience de l'autre. C'est parce que j'ai conscience que l'autre me voit et me prend en compte que j'ai conscience d'une présence ontologique qui constitue ce que j'appelle présent. Le présent, c'est la présence de l'autre, comme le passé en est le regret, et l'avenir son attente.

4.
La répétition mime l'enfer. C'est pourtant par elle que nous passons, puisque la répétition est la condition de la maîtrise. Fort heureusement, nous passons avec le temps. Ainsi, nous ne sommes pas condamnés à refaire ad vitam aeternam le même chemin.

5.
La modernité de la production en série a créé une nouvelle sorte de spectre : les travailleurs à la chaîne. Le principe de la gestion des ressources humaines par la répétition n'a cependant pas été inventé par Taylor et Ford. La guerre est une succession de répétitions meutrières. La Première Guerre Mondiale, avec ses attaques et contre-attaques recommencées jusqu'à ce que mort s'ensuive, fut une application de ce principe de la gestion des humains par la répétition. Ce n'est sans doute pas par sottise et incompétence qu'en ont décidé ainsi les Etats-Majors, c'est par calcul. Il s'agissait d'éliminer.

6.
C'est par amour du calme que nous nous agitons autant.

7.
Le problème qui se pose à nos dirigeants actuels, c'est que l'individu semble vouloir se débarrasser de la tyrannie de la répétition. C'est ce qui fait sa noblesse (il refuse d'être traité comme un simple outil) et c'est aussi ce qui décidera de sa perte (puisque l'individu en soi n'est guère utile : il est même odieusement contre-productif et, disons-le tout franc, asocial).

8.
Que les individus se reproduisent est une catastrophe pour le vivre ensemble. La reproduction du bipède n'est salutaire que si elle offre des bras à la production, des esprits à la gestion et de la matière grise à l'innovation. Les individus sont des consciences vouées à l'affrontement. Les tyrannies noires et rouges du XXème siècle tentèrent de mettre l'individu totalement au service d'un programme d'asservissement de tous par quelques-uns. Elles ont échoué. L'individu l'a emporté sur les appareils d'Etat. La démocratie est infiniment plus subtile que le totalitarisme en ce sens qu'elle consiste à gérer les nécessités du vivre ensemble productif (qui est nécessairement contraignant) avec les impératifs individuels (la conscience comme exercice d'une volonté singulière). Elle s'est dotée pour cela d'une arme redoutable, la culture de masse (cinéma, littérature de genre, musique pop, mode, presse, nouveaux outils de la communication, éducation à la citoyenneté, accès à la culture pour tous, humanisme gentillet, etc...) : il s'agit ainsi de fasciner la conscience individuelle afin qu'elle y perde le plus de temps possible et qu'elle oublie littéralement de se battre pour d'autres causes que celles qui furent soigneusement décidées en amont par le politique. Le paradoxe étant que cette culture de masse ne peut se faire sans le talent de ces consciences aigües, rétives, singulières et terriblement individuelles que sont les artistes. Les Rolling Stones du futur seront des robots japonais. A moins que le rock soit bientôt voué à n'être qu'une sorte de tolérance, une soupape, un sas de décompression avant que l'individu replonge dans la servitude consentie des nécessités citoyennes.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 août 2012

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20 août 2012 1 20 /08 /août /2012 10:39

SUR LA PIECE 49 DU RECUEIL LE GARDEUR DE TROUPEAUX DE PESSOA

Quelqu'un qui rentre à la maison, qui ferme la fenêtre. Dehors, il y a la nuit ; faut fermer la fenêtre, pas laisser les créatures, tenter l'assassin qui passe, le scorpion. Pas laisser les créatures mettre pied ou patte dans la maison, qui va s'endormir maintenant sous le sable des étoiles plein de trous, de signes tracés par les enfants géants des géants de la nuit. Une bonne nuit, chacun se souhaite la bonne nuit. Je pense au beau vers de Pessoa traduit par Guibert et à son rythme ternaire :

"Plût au Ciel que ma vie fût toujours cette chose"

Cette chose du temps & de l'espace où nous sommes, de ce présent insaisissable, qui est la seule réalité tangible puisqu'il n'existe pas, le passé, et pas non plus l'avenir, cette chose qui ne prend sens que parce qu'il passe, justement, sinon nous serions des spectres coincés dans du temps & prisonniers de l'insupportable & à jamais synchroniques, condamnés à répéter sans cesse. L'enfer que cela s'appelle. Notre désir n'est pas là ; notre désir dans le calme l'étale l'été qu'il est le désir du lent passage du temps sur nos êtres. C'est cela qui nous secoue, nous remue, nous pousse à oeuvrer sans cesse, à nous battre & ainsi passe le temps plus vite, si vite que nous regrettons déjà. Jours & pluies passent ; nous, pas le temps, pas le temps de les regarder, car toujours on est pris par l'autre, cette exigence d'être, le soin de l'autre, les travaux, les livres & les pensées, les films de la télé, les soucis, les affaires, la santé, les devoirs des enfants, puis les papiers & les comptes, les rendez-vous, les agendas, les emplois du temps avec lesquels on jongle. On ne peut être seul, car nous avons alors trop de mal à supporter la liberté que nous avons de passer le temps sans nous soucier de la nécessité de nous soucier & nous ne supportons pas de n'avoir que si peu à faire. Nous créons alors des dieux et des arts ; ce qu'il y a c'est nous, l'humain, qui refuse absolument de n'être que sablier.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 août 2012

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