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30 mars 2015 1 30 /03 /mars /2015 19:40

QUE NOS SONGES NOUS ANIMENT

1.
« Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d'une métropole crue moderne parce que tout goût connu a été éludé dans les ameublements et l'extérieur des maisons aussi bien que dans le plan de la ville. »
(Rimbaud, « Ville »)

Le tout c'est qu'étant « éphémère », vaut mieux n'être « point trop mécontent ». Je note que notre chère modernité prétend garantir ce « point trop » par l'excellence technologique de la « métropole ».

2.
« Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares... »
(Rimbaud, « Larme »)

« Le vent de Dieu jetait des glaçons aux mares »
(Rimbaud, « Une saison en enfer »)

Du vent, du ciel, du dieu, et puis les mares pour rappeler ce qu'il y a de froid dans l'être.

3.
« Loin des senteurs de viande et d'étoffes moisies »
(Rimbaud, « Les pauvres à l'église »)

Qu'on en avait plein les narines, d'la barbaque, et du moisi des étoffes, d'la caduque baraque, du désolement…

4.
« Ô la face cendrée, l'écusson de crin, les bras de cristal ! »
(Rimbaud, in « Illuminations »)

Et puis un univers à égorger les passants, un univers à vertiges et tournoyants pantins aux « bras de cristal ».

5.
Ô la face cendrée, l'écusson de crin, les bras de cristal ! Le canon sur lequel je dois m'abattre à travers la mêlée des arbres et de l'air léger ! »
(Rimbaud, in « Illuminations »)

Scène de guerre avec « face » camouflée, « écusson » du régiment, « canon » et « mêlée des arbres ».

6.
Le merveilleux, ah bah ! Il n'y a ni « mage », ni « ange » ; il n'y a que du dommage et de l'étrange.

7.
Comme quoi, des fois, on parcourt des « séances de rythmes », qu'on s'en mange du saltimbanque survitaminé, du pantin trépidant, du gougnafier histrion, qu'on applaudit tout d'même, vu qu'on est poli.

8.
Des fois, on entend « un joli rire de cristal », le genre de rire qui vous pille.

9.
« Elle avait rêvé rouge. Elle saigna du nez »
(Rimbaud, « Les premières communions »)

Un de mes vers préférés de Rimbaud, qui dit si vif que nos songes nous animent.

10.
Le temps, mon dieu, le temps, des fois, il me détricote le tempérament.

11.
« J'ai avalé une fameuse gorgée de poison. »
(Rimbaud, « Nuit de l'enfer »)

J'aurais pas dû avaler tant d'aiguilles, de couleuvres, d'arêtes, de vipères et d'anguilles ; ça me fait pelote dans les nerfs et marée basse.

12.
« l'horrible quantité de force et de science que le sort a toujours éloignée de moi.»
(Rimbaud, « Ouvriers »)

Oui-da, nous sommes ensorcelés, et cet ensorcellement s'appelle le passé.

13.
« Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu »
(Rimbaud, « Le mal »)

Ça « crache rouge », drache d'la mitraille, y a d'l'infini qui s'effrite, le présent tueur qui bouffe tout.

14.
Les figures et leurs accessoires… sourires peints, camelote d'être, d'la nausée à plein nez.

15.
C'est la phrase qui nous tisse, ce piège à synchronie, cette boîte à chat.

16.
J'aime bien cette suite de rimes du « Chant de guerre parisien », de Rimbaud : « prélassent; accroupissements ; cassent ; froissements ». Ça coasse, ça croasse, c'est bien.

17.
Je ne me souviens pas à quoi correspond ce rimbaldien « boire des cieux barbares ». Je pense à ces mômes partis pour un autre dieu, un dieu de violence et de sang, un dieu à la langue étrangère, un dieu qui décapite, un dieu qui égorge.

18.
« Les jours vont m'être légers » qu'il ose le narrateur rimbaldien ; des fois qu'il pleuvrait du miracle.

19.
Des fois qu'du ciel neigeraient des langues de feu, qu'on pourrait s'en saisir et en faire nos langues, nos épées, nos foudres.

20.
« Car Je est un autre. »
(Rimbaud, « Lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871 »)

Déjà qu'Je est un bouffon, si en plus, c'est un autre…

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 30 mars 2015

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30 mars 2015 1 30 /03 /mars /2015 16:13

RIMBAUD CRITIQUE DE NOTRE TEMPS
Notes sur le poème « Ville » des Illuminations.

« Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d'une métropole crue moderne parce que tout goût connu a été éludé dans les ameublements et l'extérieur des maisons aussi bien que dans le plan de la ville. »
(Rimbaud, "Ville")

Rimbaud, critique en architecture… A mon avis, ce qu'il visait là, c'était déjà ces villes fonctionnelles que l'industrialisation a fait pousser comme des champignons vénéneux.
La suite de son poème ne manque d'ailleurs pas d'actualité :

« Ici vous ne signaleriez les traces d'aucun monument de superstition. La morale et la langue sont réduites à leur plus simple expression, enfin ! »

Le cynisme apparent souligne la critique de cette vie moderne, sur laquelle, plus d'un siècle plus tard, avec force statistiques et quelques inquiétudes, se penchent sociologues et politiques. Nos villes modernes sont des odes à la sacralisation de l'industrie et à la si nécessaire consommation qui fait tourner la machine. Nul besoin de trop de cultes, de trop de morale, de trop de mots, puisqu'il faut d'abord produire. Et la critique rimbaldienne de se poursuivre :

« Ces millions de gens qui n'ont pas besoin de se connaître »

- villes-dortoirs et anonymat des villes, bien sûr, et bien vu, Arthur ! -

« amènent si pareillement l'éducation »

- ce que nous appelons massification de l'enseignement, qui, sous couvert de démocratisation, prétend uniformiser les modes de pensée et d'agir, de telle sorte qu'il est de moins en moins bien vu de préférer rester entre soi, d'affirmer la relativité de sa tolérance, voire de sa bienveillance, et que l'on nous pompe l'air à longueur de chroniques et d'éditoriaux avec les sottises du vivre-ensemble, de l'ouverture aux autres et du multiculturalisme (mot qui a toutes les apparences du barbarisme) -

« amènent si pareillement l'éducation, le métier et la vieillesse, que ce cours de vie doit être plusieurs fois moins long que ce qu'une statistique folle trouve pour les peuples du continent. »

- A mon avis, vu qu'il y a vécu (divers séjours entre 1872 et 1874), il évoque l'Angleterre. Bon, l'espérance de vie, grâce à la science et aux progrès de l'hygiène, a augmenté. Les Trente Glorieuses et la législation ont relativisé le paupérisme du prolétariat, mais, puisque l'Histoire est une continuelle adaptation de la conscience aux nécessités du social, nous connaissons maintenant la désindustrialisation et le chômage de masse.

« Aussi comme, de ma fenêtre, je vois des spectres nouveaux roulant à travers l'épaisse et éternelle fumée de charbon, - notre ombre des bois, notre nuit d'été ! - »

Incorrigible Rimbaud, indécrottable rêveur, qui, dans la brouillasse et le smog, arrive tout de même à discerner des « spectres nouveaux » - les silhouettes des ouvriers peut-être ? Indécrottable rêveur oui, qui, les yeux dans l'épais, évoque « ombre des bois » et « « nuit d'été »…

« des Erinnyes nouvelles, devant mon cottage qui est ma patrie et tout mon cœur puisque tout ici ressemble à ceci, - la Mort sans pleurs, notre active fille et servante, un Amour désespéré, et un joli Crime piaulant dans la boue de la rue. »

Les Erinyes, cette menace – certains enfants de nos si modernes cités n'ont-ils pas pris les armes contre l'Occident, n'ont-ils pas fui leur pays pour trouver ailleurs ce qui leur manquait de « superstition », de « morale » et de « langue » ? - et puis « la Mort » gérée, administrée, « sans pleurs » inutiles, réduite à l'état de « servante » des statistiques et d'alibi des laboratoires. Quant au joli « Crime », il ne s'affiche plus seulement à la une des journaux, on le trouve maintenant en vidéo, sur internet, en léger différé.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 30 mars 2015

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10 mars 2015 2 10 /03 /mars /2015 00:19

Ô BONHEUR Ô RAISON

1.
« Enfin, ô bonheur, ô raison, j'écartai du ciel d'azur, qui est du noir, et je vécus étincelle d'or de la lumière nature. »
(Rimbaud, « Une saison en enfer »)

2.
L'enfin marque un achèvement ; une séquence se clôt ; peut-on dire qu'aux séquences rythmiques se superposent des séquences narratives ?

3.
« ô bonheur, ô raison » : le narrateur rimbaldien a-t-il recouvré la raison et manifeste-t-il ainsi sa joie exclamative ?

4.
« ô bonheur, ô raison » : une profession de foi peut-être ? Le bonheur serait-il dans la raison ?

5.
Le narrateur rimbaldien emploie le passé simple pour dire qu'il écarta « du ciel d'azur », comme s'il écartait une quantité.

6.
Cette quantité de « ciel d'azur » qu'il écarta, il en dit que c'est « du noir ». Rimbaud visionnaire ? Rimbaud pressentirait-il la matière noire qui partout travaille à l'infini ?

7.
Ce « ciel d'azur qui est du noir », on n'en peut rien voir alors ; il n'y a rien à y voir ; l'azur est vide.

8.
« Les Aubes sont navrantes » disait-il déjà dans « Le bateau ivre ». Alors il avait « trop pleuré » ; maintenant, il écarte l'azur, ce bête importun.

9.
Par ces « Aubes navrantes » et cet « azur noir », le narrateur évoque-t-il la désillusion ? C'est vrai qu'il a dû rêver, le désargenté.

10.
Le narrateur rimbaldien dit qu'il vécut « étincelle d'or ». Le fait d'être plongé dans la rédaction de son « Une saison en enfer » favorise-t-il ici l'emploi du passé simple ?

11.
Il écrit « je vécus étincelle d'or » et non « en étincelle d'or ». Ce n'est pas un simple changement, mais une métamorphose, une autre vie.

12.
Donc, il fut « étincelle d'or » avec pour origine la « lumière nature » ; non pas « lumière » de la « nature », mais une lumière qui ne serait pas artificielle, ni même une lumière attendue, la tartine jaune qui inonde les chambres et les champs, mais une foule d'étincelles d'or, feu primitif, feu originel, feu cosmique.

13.
« De joie, je prenais une expression bouffonne et égarée au possible ».
(Rimbaud, « Une saison en enfer »)

14.
D'où vient cette « joie », ce « de joie » euphorique ? D'une épiphanie peut-être. Il ne ressemble pas du tout à un saint alors, mais à un idiot à l'allure « bouffonne et égarée ».

15.
Cette « expression bouffonne et égarée » est l'antithèse des figures des saints en extase que l'on voit sur les images pieuses. Ne fait-elle pas penser à ces statuettes d'idoles grotesques des paganismes ?

16.
Qui peut entendre par antéchrist non la période d'avant le retour du messie, mais la période d'avant sa naissance ? - Un pessimiste.

17.
La joie inspire le transfiguré. Voilà l'étincelle qui met masque de bouffon, de clown perdu. C'est qu'il décide d'en prendre l'expression.

18.
Prendre l'expression, c'est ce que fait le poète ; et s'il a du talent, il peut la sacraliser autant qu'il peut la bouffonner.

19.
Cette minuscule parcelle d'un Génie ignoré, voilà qu'elle prend l'expression, qu'elle fait tout son « possible » pour bouffonner, et s'égarer.

20.
Est-ce ainsi, en prenant des expressions bouffonnes et égarées, que l'on célèbre la raison ? Oui, si l'on est lanceur de paradoxes.

21.
La raison serait-elle la démonstration subtile des paradoxes qui nouent le réel ?

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 9 mars 2015.

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8 mars 2015 7 08 /03 /mars /2015 00:25

RAGTIME DE LA RIVIERE DE CASSIS III

« Que le piéton regarde à ces clairevoies :
              Il ira plus courageux.
Soldats des forêts que le Seigneur envoie,
              Chers corbeaux délicieux !
Faites fuir d'ici le paysan matois
              Qui trinque d'un moignon vieux. »
(Rimbaud, "La Rivière de Cassis", v.13-18)

1.
« piéton » : l'Arthur lui-même, marche, marche, marche avec ton tambour invisible, marche, marche, marche du roulis dans ta caboche.

2.
Roulement du tambour roulis de l'ivre navire de l'ivresse du rire terrible du vent plongeant roulement roulis bord sur bord du grand cercle.

3.
Regarder : l’œil encourage le futur, « il ira plus courageux », plus loin que ces « clairevoies », que ces « paysans matois » et « moignons vieux ». L’œil est déjà dans son avenir ; il a pour lui les corbeaux.

4.
Songeur épique, se voit-il en corbeau, en dépeceur perspicace, en « soldat des forêts », en messager du paradoxe ?

5.
Les corbeaux de Rimbaud, cet émiettement en cruautés ailées, griffues, becquetantes, littéralement des envoyés du Seigneur.

6.
Non, je ne veux pas réduire le commentaire à ce composé, à la pesanteur des dissertations, à ce professeur qui se croit plus malin que le singe, à ce tableau noir, ce référentiel, à cette armée condescendante et inculte des pédagogues.

7.
« clairevoies » : éclairs, les yeux cachés, on voit passer la file indienne des silhouettes.

8.
L'horizon, ce fil tendu pour les indiennes des spectres qui silhouettes vous saluent avec une belle et longue ironie.

9.
Comme si un vers pouvait rivaliser avec une équation ! Quelle dérision ! Le poète est pauvre et l'ingénieur, ce déjoueur de catastrophes, bien payé.

10.
Cependant que l'on peut tomber dans un vers comme on tombe dans un trou, un œil de corbeau, un blanc dans l'espace, toute chose.

11.
C'est par les « clairevoies » que le « piéton » - c'est littéral – y verra clair, d'autant que l'accompagne une armée de regards.

12.
« La Rivière de Cassis » : flèche rouge, cette fantaisie rimbaldienne est de mai 1872. Faisait-il bon, beau, clair temps ? Pour l'heure, les vents « plongent », les corbeaux s'escadrillent, le passé révolte et l'invisible chante ses « passions mortes ».

13.
La forêt, profonde comme la gorge d'un géant feuillu.

14.
Forêts : profondes, soldats, combat de retardement, dévotion dans les feuilles, bras, jambes, têtes, troncs soufflés dans les branches.

15.
« Seigneur » : majuscule envoyeur, envoleur, convoleur, sorteur des corbeaux du bois, en compagnie, en renfort du « chevalier errant ».

16.
Arthur en Arthur de l'arthurienne alors, matière d'une Bretagne flottante, d'Irlande en Finistère, jusqu'à cette caboche têtue, taiseuse, là-bas, à l'Est froid.

17.
- « dé-li-ci-eux » ; il en détache les syllabes comme on détache la viande de l'os.

18.
« Faites fuir » : le f siffle comme un ordre qu'il donne, l'Arthur, en roi des corbeaux.

19.
Fût-il « délicieux » comme une fantaisie rimbaldienne, peut-on aimer un corbeau ? Peut-on aimer ce il ne fut pas tant corbeau, cet homme que le vent déploya ?

20.
Le nomade s'en prend des fois au sédentaire, au « paysan matois », au défiant des corbeaux, au « vieux ».

21.
Ce bras cassé, ce « moignon vieux », cet héritier des « mystères révoltants », cet amputé des travaux et des combats, ce « matois » pour survivre.

22.
Nous sommes entre deux forces : celle des raisons et celle de la raison ; nous cédons à la première tout en louant la seconde.

23.
L'auraient-ils voulu lyrique qu'il siffla en cynique.

24.
Résiliation : le vent chasse le « vieux »; les corbeaux font fuir l'ivrogne. A la convivialité des trinquants, ce roi en songe préfère la compagnie des becs ; solitude, royale solitude.

25.
Ceci dit, « trinquer d'un moignon vieux », ça doit pas être facile. Celui qui trinque, c'est celui qui souffre, qui hérite d'une souffrance ; ou alors, ce « paysan matois » ce boit sans boire, ce boit quand même, ce « moignon vieux », ce serait un double à venir du narrateur rimbaldien, une anticipation de ce qu'il deviendrait s'il ne fuit pas, s'il ne donne pas l'ordre aux corbeaux du Seigneur de le faire fuir d'ici.

26.
« vieux » : dernier mot du poème, puisque tout est vieux comme le déjà, comme le présent.

27.
présent : ce semeur de poussière, ce jeteur de vieux sorts, ce fabricant de vieilleries, ce refourgueur de vieux cœurs, de rossignols.

28.
Le dépositaire de l'ignoré, de la rivière au val étrange, quand il aura fini de parler, bien après, bien après, on se demandera ce qu'il a voulu dire. Quant au paysan, au trinquant, au matois, hé bé, il haussera les épaules.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 7 mars 2015.

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7 mars 2015 6 07 /03 /mars /2015 12:47

RAGTIME DE LA RIVIERE DE CASSIS II

« Tout roule avec des mystères révoltants
          De campagnes d'anciens temps ;
De donjons visités, de parcs importants :
          C'est en ces bords qu'on entend
Les passions mortes des chevaliers errants :
          Mais que salubre est le vent ! »
(Rimbaud, « La Rivière de Cassis », v.7 à 12)

1.
D
es « donjons visités » : quand je vous parlais de fantômes, et que vous preniez la tangente.

2.
« donjons » : échos à « plongent », « anges »,
et « étranges » ; l'a pas encore, l'Arthur, pour le désert renoncé au bizarre.

3.
« 
donjons visités », « parcs importants », y a donc du château dans cette campagne, du castel invisible, du manoir traversé.

4.
Faudrait-il chercher un château dans les vieilles Ardennes ? Ou dans l'ailleurs. Archivistes, géomètres du passé, chronologues, l'avez-vous trouvé ?

5.
« bords » : d'un bord à l'autre, Rimbaud, courant la terre, l'herbe et le grain, tambour, tambour, vent.

6.
« C'est en ces bords »: Je me demande pourquoi Rimbaud a écrit « en » et non pas « sur ces bords » ; serait-ce que ces bords débordent et englobent le songeur ?

7.
Des fois, le passé assèche, comme un vent vidé de pluie.

8.
« C'est en ces bords qu'on entend
Les passions mortes des chevaliers errants »
(Rimbaud, « La Rivière de Cassis »)
Serait-on dans l'entre-deux des vivants et des morts ?

9.
Que porte le vent ? Des « passions mortes »
D'invisibles « chevaliers errants » Des échos de l'au-delà du fleuve Des musiques incertaines?

10.
« C'est en ces bords » c'est-y qu'on dort qu'on rêve d'or qu'on songe ses sorts c'est-y qu'on sèche en hareng saur ?

11.
D'un bord à l'autre, le Rimbaud, au tambour des vents, puis le « passant considérable » passa dans le passé.

12.
Je me demande quel pouvait être le grain de la peau de Rimbaud en Abyssinie ? Était-il desséché façon hareng saur ?

13.
Tambour de guerre au vent, crépité par la pluie, puis le gaulois « l’œil bleu blanc » se fit lointain désert.

14.
« coq gaulois », passion morte de la guerre, et les « chevaliers » de l'Arthur errent errent errent, errent dans l'air.

15.
Rimbaud en chevalier errant, sans fief, ni seigneur, ni dame, ni château. Était-il au moins batailleur ?

16.
Et puis le temps, de « mystères révoltants » en « passions mortes », le temps a passé traversant le vent « salubre ».

17.
Est-ce le lieu qui passe le temps, ou le temps qui traverse le lieu ?

18.
En soi un bout de Dieu, mais des fois rien en poche.

19.
Dans « La Rivière de Cassis », le réseau lexical des contes et légendes : « mystères », « chevaliers », « anges » et « donjons », « campagnes d'anciens temps », « soldats des forêts ».

20.
« Je est un autre » écrit Rimbaud ; du reste, dans les poèmes de Rimbaud, le narrateur a tout l'air d'un roman.

21.
J'écoute la radio Le vent porte des guitares Les échos sonores au « Guernica » de Picasso strient et fusent dans la guitare de Jimi Hendrix.

22.
« coq gaulois » ; « Ô saisons, ô châteaux » ; pensait-il des fois à Jeanne d'Arc, à Bayard, Bonaparte, Vercingétorix, s'en moquait-il, le franc-tireur ?

23.
Roman Rimbaud : épique, il se rêva alchimiste, puis chevalier errant, tête à songes, va !

24.
« salubre » : exclamation ; salut puisque tout ce que nous faisons revient à saluer le vent de nos mains mortes.

25.
On dit « mon grand-père » et on dit « ma petite-fille » : le futur rapetisse.

26.
Le futur réduit l'immense passé à la sottise du présent.

27.
Le vent clôt la strophe, dissipant toute féerie du temps, mystères et donjons, et puis les chevaliers, tout ça émietté au long des campagnes.

28.
Tout ça émietté entre les deux rives de la Rivière de Cassis.

29.
Peut-être sommes-nous de retour, infiniment de retour? Peut-être à l'infini revivrons-nous nos vies ? Avec un petit décalage à chaque nouvelle fois peut-être ? Un rien, un détail, un infime retard dans le battement de l'aile du papillon.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 7 mars 2015.

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6 mars 2015 5 06 /03 /mars /2015 22:59

RAG-TIME DE LA RIVIERE DE CASSIS I

« La Rivière de Cassis roule ignorée
            En des vaux étranges :
La voix de cent corbeaux l'accompagne, vraie
            Et bonne voix d'anges :
Avec les grands mouvements des sapinaies
            Quand plusieurs vents plongent.

Tout roule avec des mystères révoltants
            De campagnes d'anciens temps »
(Rimbaud, « La Rivière de Cassis », v. 1 à 8)

1.
« 
La Rivière de Cassis » de Rimbaud, ce qui « roule », gosier, rouge, noir, sang séché, coagulation de soleil.

2.
Et si c'était,
d'entre les vivants et les morts, la russe « Smorodina reka »(littéralement « rivière de cassis »)? D' où les corbeaux.

3.
Rouler : c'est plein de « r », « Rivière », « roule ignorée » ; l'inconnu aussi roule sa bosse dans le réel; et l'irréel donc, il la roule aussi, sa bosse, sa bosse occulte.

4.
« vaux étranges »: l'irréel se multiplie, pond du pluriel, dadas étranges
sur lesquels nous parcourons des paysages desséchés.

5.
« vaux étranges » :
Rosses singulières à travers des paysages lunaires, des vals de mort, des mormals, de l'attrape-spectre.

6.
« 
vaux étranges » : carrousel du cassis, gosier, manège, carnaval sans masques.

7.
Voix : gorge, songe, le narrateur rimbaldien entend-il des voix ? Suscite-t-il des voix ? Se perd-il dan
s la voix ? Cherche-t-il d'autres sons, d'autres gorges, et peaux, d'autres langues pour y entendre d'autres voix ?

8.
« 
cent corbeaux » : précision façon conte de fée, c'est une armée, une grande compagnie, d'la centurie du perspicace, du vivace, indifférence du vif, seuls anges qui vaillent.

9.
« 
étranges » : « anges », « plongent », cela assone et donne le mouvement, le rythme, la corbine chorégraphie.

10.
Voix :
Elles annoncent les vents, toujours ; « plusieurs vents », façon de traiter avec l'espace, de composer avec la sorcellerie des syllabes, des « sapinaies ».

11.
« sapinaies » dit-il oui je suppose oui avec Verlaine lacanisme insolence de la raison qui fait sa raisonneuse.

12.
Littérature : rien qu'un infini jeu de mots, une bibliothèque de calembours ontologiques, de coq-à-l'âne métaphysiques.

13.
Une œuvre littéraire, si géniale soit-elle, n'est jamais qu'un point de vue synchronique sur la diachronie infinie du langage.

14.
« 
mouvements » : le mot même, « homme à semelle de vent », homme qui s'use au sable, au temps, au vent, au soleil, à la mauvaise foi.

15.
Mouvements : général d'une dévotion se jetant dans la bataille pour s'y épuiser s'y dissoudre puisque décidément tout est si amèrement buté.

16.
« Tout roule » : Ouh ! Ouh ! Tout roule fait le hibou.

17.
« Tout roule » mais rien ne bouge Ça roule ça roule escalator prends ton temps avant que le temps te prenne te fourre dans sa centrifugeuse.

18.
Tout roule, tout roule dans le remue-méninges dont tu n'es qu'une idée une connection de quelques neurones.

19.
« roule » : répétition.
On est chez Rimbaud, sur les bords de la « Rivière de Cassis »
v.1 : « La Rivière de Cassis roule ignorée »
v.7 : « Tout roule avec des mystères révoltants »
On est dans l'roulis alors, - la roulure si ça se trouve – n'est-ce point sexuel, ces « mystères révoltants / De campagnes d'anciens temps. »

20.
Dentale : Aux deux bouts des onze syllabes
de ce vers de Rimbaud :
« Tout roule avec des mystères révoltants ».
Echo, percussion.

21.
Percussion, campagne, échos, champ frappé de Blanche, été scandé, stupeur.

22.
« mystères révoltants » : révoltes dans le temps, tréteaux du passé, Christ en Flandre, « Ardennes ardentes » (qu'est devenu Georges et sa chanson?)

23.
« mystères révoltants » : et puis toutes ces rimes en -an : « révoltants » ; « temps » ; « importants » ; entend » ; « errants » ; « vent » ; d'la dentale, d'la dentale et du temps.

24.
Je plongerai mes dentales dans tes dentelles rêvai-je comme si j'avais encore des dents.

25.
Entendu dire que le mot « ragtime » signifiait « temps déchiré ».

26.
Il y a dans les pianos tant de temps déchiré, qu'on y croirait des spectres remplis de vertiges et de virtuoses apparitions.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 6 mars 2015.

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22 octobre 2014 3 22 /10 /octobre /2014 16:22

AVEC MES QUATRE YEUX ETONNES

1.
Expressions rimbaldiennes: "avoir quatre yeux étonnés"; "envoyer l'Amour par la fenêtre"; "la bruine des canaux par les champs".

2.
Lorsque l'on a "quatre yeux étonnés", c'est qu'on voit double, non ?

3.
Il est inutile "d'envoyer l'Amour par la fenêtre". L'expérience a déjà été tentée cent fois. Il ne s'envole pas, il se scrashe, réduit en bouillie, kaputt qu'il est, l'Amour.

4.
Y a aussi dans Rimbaud le "gentilhomme d'une campagne aigre", qu'alors je courrai "la bruine des canaux par les champs". J'aurai un habit noir. On me prendra pour le fantôme d'un assassin.

5.
Un éléphant fantôme dans un magasin de porcelaine spectrale, la casse qu'ça doit faire, bris, bris, brisures, que les anges passants y laissent des plumes.

6.
Minuit ! L'heure de l'assassinat du réel par le songe au couteau de soie et de foudre au loin.

7.
La nuit dernière, j'ai rêvé d'un certain Mrol, que je ne connais ni d'eau ni des dents, mais avec lequel j'ai eu fort à faire. Je me demande psychanalytiquement de bazar, si je l'ai bien joué, Mrol, par ailleurs plutôt grondant comme bonhomme.

8.
Relevé chez Rimbaud cette susurration qui scie :"scepticisme atroce". De quoi faire grincer plus d'une porte d'église.

9.
Je vous en prie, hommes de foi, veuillez à ne plus laisser grincer les portes de vos églises; ça rappelle tant, tous ces grincements, l'ironie satanique.

10.
Expressions rimbaldiennes: "se dévouer à un trouble nouveau"; "être gentilhomme d'une campagne aigre"; "avoir le scepticisme atroce".

11.
Notre vie durant, nous ne cessons de nous "dévouer à des troubles nouveaux"; c'est le trouble, et non la paix, qui nous met en oeuvre.

12.
"Gentilhomme d'une campagne aigre", j'arpenterai mes sombres terres sous une pâleur de ciel. J'aurai un habit sombre. On me prendra pour le diable à la rencontre de l'abbé en chemin.

13.
Expressions rimbaldiennes : "avoir raison dans tous ses dédains"; "avoir tant de temps déjà"; "se retrouver deux sous de raison".

14.
L'essentiel, c'est de se débrouiller pour toujours "avoir raison dans tous ses dédains", avoir la mauvaise foi pour demeure et vademecum.

15.
Il est plaisant de se dire qu'on a "tant de temps déjà" parce que, justement, ça ne dure pas.

16.
Je me demande d'ailleurs si le temps est fait pour durer...

17.
Des fois, j'me gratte les fonds d'la caboche, en me disant qu'y a pas d'raison pour que je ne finisse pas par me "retrouver deux sous de raison", non ?

18.
J'aime bien l'expression "s'ennuyer à cent sous l'heure", ce qui nous fait tout de même, voyons, la minute d'ennui à 1 sou 66, non ?

19.
En écrivant cette suite de brefs, j'écoute le "Lil' Beethoven" des Sparks, épatant album avec des choeurs partout, de la vraie bonne musique contemporaine.

20.
"Avoir tant de temps" pour que "déjà" tout soit fini, rideau, dodo éternel, adieu, musique, adieu machin, machine et tout l'toutim.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 octobre 2014.

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31 octobre 2013 4 31 /10 /octobre /2013 17:36

D'ABORD IL S'EXCLAMA
(Fantaisie sur le poème O Saisons, ô Châteaux, d'Arthur Rimbaud)

 

D'abord il s'exclama
O saisons, ô châteaux !
Il en est de plus triviales comme
"Ciel Mon mari" ! Ou "Encore !"

 

C'est aussi qu'il n'y a pas d'âme sans
Défauts
et pas de poisson qui à l'hameçon

Ne finisse par mordre Après, les hameçons
On peut toujours tenter de les conjurer

 

On peut toujours tenter de les conjurer
Par quelque magique étude
Mais le Bonheur favorise l'heureux
Ou l'élit le sanctifie le sacrifie

 

Le ciel fume des Celtiques
On n'en trouve plus de ce poison-là
Que Léo Ferré laissait sur la table
Avant d'aller machiner en Enfer

 

Il n'y a pas de fumée sans ciel
Pour monter dedans pas de
Celtiques sans bouche et
Pas de bouche pour les tout ça pour dire

 

Tout ça pour dire qu'un coq chante
Vous ne voyez pas le rapport moi non plus
Même qu'il est gaulois ce coq
Eh ! C'est qu'on ne se prend plus pour des aigles

 

Les aigles nos regards les ont foudroyés
Ils sont tombés dans la mer on les a repêchés
On les a mis dans des musées
On leur a fait dire n'importe quoi

 

C'est que la légende c'est bien vendeur
Napoléon Bonaparte c'est d'la tête de gondole
De la camelote en or ça Napoléon le débit
Qu'ça a les belles batailles reconstituées

 

Et les Amours recomposées
Et les soldats de plomb et les sabres au clair
Et "La Garde meurt mais ne se rend pas"
Et la force de caractère et comment qu'il mourut

 

Après on peut toujours crier "Vive L'Empereur !"
Il y en a de plus triviales
Nos institutions en sont pleines
Comme je ne vous aime pas, ô candidats !

 

Comme je ne vous aime pas, ô candidats !
Mais, bien sûr, vous êtes bien utiles
Comme la machine à coudre, la table de
Dissection et le parapluie

 

C'est à vous dégoûter, tous ces candidats-là
Qui se pressent au portillon des fonctions
A en dire Pouah ! Mais ! je n'aurai plus d'envie
Le dégoût s'est chargé de ma vie

 

Le dégoût ou Dieu ce qui est une manière
Aussi de se dégoûter des humains
Et d'aller chercher ailleurs
Ce que l'on n'aura pas non plus

 

C'est qu'on en voudrait bien de Ce charme !
Ce charme ! qu'il a, bien sûr ! Qui donc ?
Je n'en ai pas la moindre idée
Mais n'est-ce pas quand on a fait la magique étude

 

C'est pour en bénéficier de Ce charme !
Pour l'incarner et ainsi disperser tous efforts
Mômerie ! Mômerie ! C'est pas si sorcier

De comprendre qu'il n'y a rien de sorcier

 

Il n'y a que la parole qui va où elle veut,
Qui fuit, qui vole et qui chante un autre air
Vous dites ceci nous comprenons cela
Et nous tombons tout de même d'accord

 

Ou pas sur un point que nous croyons
Acquis tandis qu'elle dit la chanson
Que passent les saisons
Que s'effritent les châteaux

 

Et si nous sommes entraînés au malheur
C'est que nous sommes voués à la disgrâce
Nous n'avons inventé Dieu que pour le nier

C'est une manière de conjurer la disgrâce

 

C'est une manière de conjurer la disgrâce
Qui est aussi certaine que personne, personne
Dans le désert je crois bien qu'au bout du
Chemin dans ses écoles buissonnières

 

Il a dû voir s'agiter une ombre sans personne
Et qu'il la poursuivit longtemps qui lui
Tournait son dos invisible et lui faisait
La tête sans nuance du masque sans visage

 

Fatalisons  ! Fatalisons ! C'est le dédain, las !
Forcez le réel à vous regarder il vous crève les yeux
Vous livre au plus prompt trépas
Cependant que la chanson s'obstine

 

Toute seule dans l'air à chanter sa ritournelle
- O Saisons, ô Châteaux !
Quelle âme est sans défauts ?

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 31 octobre 2013

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13 mars 2013 3 13 /03 /mars /2013 10:05

BOUTS D'ZAN SANS SENTIMENTS

 

1.
"Mes faims, c'est les bouts d'air noir"
(Rimbaud, Fêtes de la faim)

 

Des bouts d'zan... de réglisse... jus noir craché d'la chique... petits mollusques cadavres jonchant les trottoirs...

 

2.
"et grands dans la tourmente"
(Rimbaud, "Morts de Quatre-vingt-douze...")

 

Lançant leurs immenses ossatures à l'assaut, et se faisant trouer la peau.

 

3.
"la clameur des Maudits"
(Rimbaud, l'Orgie parisienne)

 

Je me demande à quoi ça ressemble vraiment, ça, "la clameur des Maudits" : poussent-ils des cris de démons, d'apaches, d'hommes libres, d'hommes debout, de vrais cris de désespoir, ou des coassements, des glauqueries, des moqueries façon clowns hallucinés ?

 

4.
"S'il n'arrive pas un feu follet blême"
(Rimbaud, Jeune ménage)

 

Un feu follet blême, de quoi affoler l'imaginatif, au-dessus d'une tombe, voyez - ne dit-on pas que jamais tout à fait les tombeaux ne se referment ?- au-dessus d'une tombe, la petite flamme blafarde - une âme peut-être - qui court sur la pierre, sur quelque croix celtique et qui vous tire la langue, parce que vous avez le sens de l'humour tout de même.

 

5.
"Gardons notre silence."
(Rimbaud, Bruxelles)

 

Puisqu'il est d'or... gardons-le donc ! mettons nos paroles assassines en souffrance ; notre ironique jactance, balançons-la à la poubelle ; ravalons notre arrogance, et sourions, sourions, sourions comme si nous avions bouffé de l'ange.

 

6.
"Il m'est bien évident que j'ai toujours été de race inférieure."
(Rimbaud, Mauvais sang)

 

J'ai la jactance auto-tueuse. J'm'assassine comme un chef. Je m'étrangle la pipe comme un quenalcien spéculatif. De race inférieure, j'ai du pas gentil plein l'intérieur, du moqueur, du sec coeur, du déblatéreur, du lanceur de sorts, du jeteur de bébés avec l'eau du bain, du "tout à l'heure j'm'en vas t'chanter alouette sans fausses notes" (je pique ça au caustique The Frog Song de Robert Charlebois, parce que j'aime bien).

 

7.
"je ne me retrouve qu'aujourd'hui"
(Rimbaud, Mauvais sang)

 

Ce qui va de soi, puisqu'hier, je n'y suis plus et que demain, n'est-ce pas, demain, c'est demain.

 

8.
"Je ne finirais pas de me revoir dans ce passé."
(Rimbaud, Mauvais sang)

 

Il suffit de jeter l'huître à l'écume des jours. On se rezieute, spectre ridicule fréquentant les hiers comme autant de vieux murs hantés d'ombres. Des fois, on en est fier de ses hiers, des fois pas trop, voire pas du tout. Moi, c'est tout faux, bien médiocre, mises à part quelques éclaircies où je brillai un peu, mais mon féerique s'est frité avec Chronos qu'est rien moins qu'un infini bouffe-tout féroce. Miroir, t'es pas beau, fous-moi l'camp, j'ai autre chose à rêver.

 

9.
"quand tu reçus tant de coups de couteau"
(Rimbaud, L'Orgie parisienne)

 

Qu'tu fus tout perforé d'occlusives, qu'c'en a tant fait des plaies ouvertes, qu'te voilà tout macchabée.

 

10.
J'écoute So What de Miles Davis. Il neige ; le jazz, ça va aussi avec la neige, surtout si je me le jacte, qu'le jazz, ça colle aussi avec la neige, ça tient au coeur, comme l'image de la cymbale, ou de la tête d'or, tient au soleil. J'écoute So What de Miles Davis : ils neigent aussi, les sphinx noirs.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 13 mars 2013

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13 mars 2013 3 13 /03 /mars /2013 08:18

TOHUS-BOHUS ET ELECTRIQUES LUNULES

 

1.
"Aux vingt gueules gueulant les cantiques pieux"
(Rimbaud, Les Pauvres à l'église)

 

Oui qu'ça gueule, oh qu'ça heurte, qu'ça palatalise "gueu", "que", qu'ça nasalise "un", "an". Un supplice, à en faire sortir le Démon lui-même, effrayé des dissonances.

 

2.
"Happent le jambon aux fourchettes / Tant, tant et plus"
(Rimbaud, Les Réparties de Nina)

 

Bon, moi j'aime bien ces vers, à cause du jambon (que ça me fait penser aux pâtes au gratin, avec du jambon dedans et du fromage rapé) et puis, le monosyllabique "tant, tant et plus" qui suggère le mouvement de la fourchette de l'assiette à la bouche, moi ça me convient.

 

3.
"Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...
- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines..."
(Rimbaud, Roman)

 

La dentale "t" fait trotter les "petits bottines" de la "demoiselle aux petits airs charmants" - le genre de demoiselle que ma mère appelait "une petite jeune fille" - du coup (l'oeillade qu'elle vous lance), ça fait contraste avec le long "immensément" (quatre syllabes, deux nasales). Les vers sifflotent aussi du "f" et du "v", des airs qui "meurent", des "cavatines", lesquelles, nous dit le docte, sont de doux airs brefs pour solistes d'opéra.

 

4.
"Je suis le saint, en prière sur la terrasse, - comme les bêtes pacifiques paissent jusqu'à la mer de Palestine."
(Rimbaud, Enfance, IV)

 

Je suppose que le "s" psamoldie. Il ouvre aussi les espaces sur l'ailleurs, ce "s" du "saint" et des "bêtes pacifiques". Il poursuit sa route.

 

5.
"Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants."
(Rimbaud, Le Bateau ivre)

 

L'assonance "u" contamine la strophe. Exaltation, cri du sauvage, souffle du coureur, sirène du navire, qui culmine dans le quatrième vers.

 

6.
Les tohus-bohus triomphants, voilà qui m'évoque les rythmes du jazz.

 

7.
"Les parfums ne font pas frissonner sa narine"
(Rimbaud, Le Dormeur du val)

 

Négation : le "f" et le "s" suggèrent un frisson fantôme, le passage de l'air sur le cadavre du jeune soldat.
Le mot "parfums" est mélioratif : la nature évoquée dans ce poème du val est lumineuse, chantante, elle est même personnifiée, protectrice (cf "Nature, berce-le chaudement : il a froid"). Le soldat mort est donc chassé d'une sorte de paradis.

 

8.
"et notre patois étouffe le tambour."
(Rimbaud, Démocratie)

 

L'étouffement ralentit le rythme du tambour, semble le rompre aux huitième et neuvième syllabes, le désorganise en tout cas par l'emploi des constrictives "f" et "l" qui suspendent la percussion des occlusives "p", "t", et "b".

 

9.
"Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs"
(Rimbaud, Le Bateau ivre)

 

C'est le "bateau perdu sous les cheveux des anses" qui jacte ainsi, qui produit ce drôle de son, "lunules", qui, à mes oreilles pleines encore des sons continus que Jimi Hendrix tira de sa guitare, sonne comme une note tenue jusqu'à la liaison avec la modulation "élec" et la pause de la virgule après la note brève ("triques").
Guitare dis-je, c'est que les sons se répondent étrangement : ainsi le "e" à la césure : drôle de rythme qui souligne aussi le "e" final de "lunules" :

 

Qui courais / taché de / lunules / électriques

 

Ainsi, le "i" au début et à la fin du vers (cf "qui", "électriques") que l'on retrouve au vers suivant sur la syllabe initiale du mot "hippocampes", lequel, en nombre de syllabes, répond à l'épithète "électriques", et ce "e" muet encore que la métrique met en évidence ("hippocampes noirs").
Ainsi, la modulation "rais / ché / el / ec / es / é / des" qui concurrence le "e" muet et triomphe dans le rythme binaire du troisième vers :

 

"Quand les juillets / faisaient / crouler / à coups / de triques".

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 mars 2013

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