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21 février 2009 6 21 /02 /février /2009 00:54

LA POÉSIE N'EST PAS AUX CIEUX
Notes sur Ni gagnants, ni perdants de Lut de Block

La poésie n'est pas aux cieux, avec les anges joufflus ou les anges gardiens ; elle est irrémédiablement sur terre, avec les hommes de plus ou moins bonne volonté ; elle est dans l'ordre des choses humaines :

Ik heb je niet begraven, vader,
ik sleep je jaren op mijn rug.

Je ne t'ai pas enterré, père,
je t'ai traîné sur le dos pendant des années.

Ainsi commence le recueil Ni gagnants, ni perdants que Lut de Block publia dans la collection de poésie européenne de la Maison de la Poésie Nord/Pas-de-Calais (édition bilingue flamand/français dans une traduction de Liliane Wouters, novembre 2000).

Et, ayant affaire avec les choses humaines, la poésie se souvient des scènes de l'enfance. Evoquant la mère, la maman dans la lumière de l'aube, l'auteur écrit :

Ze baadde zich in tegenlicht,
ik lag haar stiekem te begluren.

Ze kleedde zich in koelen kleren van de dag. (1)

Elle se présentait à contre-jour,
et je restais à l'épier sournoisement

Enfilant les vêtement froids de l'aube.

Oui, décidément, la poésie est une terrienne et puisque les mots ne sont jamais que les outils que nous fabriquons pour pouvoir continuer à remuer les lèvres et à produire ce que nous pensons être du sens, -et qui n'est peut-être pas plus intelligible que le bruissement des feuillages dans la tempête -, nous constatons avec une amère ironie :

Vaders vallen altijd ruggelings
in zwarte gaten. Hoe kan je die
hiaten vullen ? (2)

Les pères tombent toujours sur le dos
dans des trous noirs. Comment pouvoir
combler cette lacune ?

Mais de cette ironie, cet humour froid comme la brume, le brouillard où s'enlisent les rues de nos villes du Nord, mais de cette lame bien aiguisée surgissent des phrases claires et tranchantes comme les lames des outils agricoles :

Aarde, goed dat je bij me ligt.
Soms hou ik hout vast, dan weer steen
waarin een hart klopt. De dood is een reëel gemis. (3)

Terre, il est bon de te sentir tout contre moi.
Tantôt je tiens du bois et tantôt de la pierre
dans laquelle un coeur bat. La mort est un manque réel
. (4)

Et ce qui sur la terre vient à manquer, n'est pas au ciel mais dans le ventre des mots.

Notes : (1)
: Lut de Block, Vader ("Père") in Ni gagnants, ni perdants, Maison de la Poésie Nord/Pas-de-Calais, novembre 2000, p.12-13.
(2) Lut de Block, Landziek ("Mal de terre"), op. cit., p.24-25.
(3) Lut de Block, Tumulus Newgrange, op. cit., p.36-37.
(4) Les passages en italiques sont extraits de la traduction de Lilane Wouters.

                      Patrice Houzeau
                      Hondeghem, le 27 septembre 2005.

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20 février 2009 5 20 /02 /février /2009 23:49

Les poèmes d'Anneke Brassinga s'apparentent à des miniatures : collections des signes du quotidien.
Ainsi de l'éclair :

De bliksem heeft mij niet geraakt
vandaag, hij was een weiland verder
dat is niet ver.

L'éclair ne m'a pas atteinte
aujourd'hui, il est tombé dans le pré d'à côté.
Ce n'est pas loin
.

L'éclair, cette mort foudroyante toujours possible, ne tombe jamais très loin.
L'actualité de 2005 est pleine de ces éclairs, de ces bombes de Bagdad, qui dit-on, aujourd'hui, mercredi 13 juillet, ont tué 24 enfants qui, parmi d'autres, étaient réunis à l'occasion d'une distribution de friandises organisée par l'armée américaine (!), de ces bombes de Londres, de ces bombes que nous prévoyons et qui cependant nous frapperont par surprise.
Entre les éclairs, les morts subites, les morts violentes, le lieu d'être :

                Mijn huis nog onder
de hemel met de laatste muggen,
eerste ganzen die vluchten.

                Ma maison encore sous
le ciel et les derniers moustiques,
les premières oies s'en vont
.

Le poème situe ainsi le lieu d'être, entre la fin de l'été et le début de l'automne, au moment des derniers orages, au moment où l'on se plaît à contempler les franges de lumière
et les rapides tombées du soir.

Mais les notations du quotidien ne sont pas sans leçon. Le poème est une analyse stylisée. Il relève autant de l'observation minutieuse que de la rêverie.
Par exemple, il apparaît que les mûres les plus sucrées / sont de l'autre côté du fossé, invisibles et que semble plus verte l'herbe des ailleurs.
C'est dans cet invisible que prennent source les rêves qui nous animent : étoiles inaccessibles, fortunes improbables, saisons et châteaux, exemption du temps et de la lourdeur de se sentir être mortel, de plus en plus proche de l'éclair.

Zolang ik opblijf zal ik dromen
van gemis, vliegkunst, eeuwigheid.

Tant que j'aurai les yeux ouverts je rêverai
de manque, d'ailes, d'éternité.

Ironie. La concrétisation des désirs annihile le désir.
L'annihilation de tout désir s'appelle la mort.
Le monde ouvert des désirs se trouve alors brutalement clos, à jamais.
En ce sens, dans la mort tout est trop proche :

In dood is alles te nabij.

Il arrive que nous soyons étrangement encombrés de ce monde.

Les vers d'Anneke Brassinga qui figurent en caractères gras dans ce texte sont tirés du poème Buiten, herfst (Extérieur, automne) publié dans le recueil descendance (Maison de la Poésie Nord/Pas-de-Calais, 1993, édition bilingue dans une traduction du néerlandais par Patrick Burgaud, p.40-41).

                        Patrice Houzeau
                        Hondeghem, le 13 juillet 2005

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18 février 2009 3 18 /02 /février /2009 11:05

LA MALFAMILIERE
Notes sur "Kust" d'Anneke Brassinga

Article précédemment publié dans la livraison n°3 (année 2003) de la revue Estracelle publiée par La Maison de la Poésie Nord/Pas-de-Calais.

Les Pays-Bas sont en affaire avec la mer.
Composer un texte dont le titre est kust (Côte) n'est donc pas surprenant de la part d'une Néerlandaise mais nous verrons tantôt que cette côte est bien étrange, une Mer du Nord dans un tableau surréaliste.

Le premier mot des deux strophes de cinq vers qui constituent le poème est d'ailleurs le mot
zee : la mer.
Après tout, on va souvent sur la côte "pour voir la mer". Ici nul enchantement ; une périphrase au rythme de houle :

        De zee, de grijs bewegende
        La mer, la mouvante grise

Mouvement gris. La mer comme la morne plaine du Waterloo de Victor Hugo.
Le rejet de la forme ligt judicieusement traduite par gît plombe le rythme.
Mer morne, quasi morte, d'autant plus morne qu'elle est pleine de pluie, ce qui la rend étrange (vreemd) :

        De zee, de grijs bewegende
        ligt vreemd verregend.
        La mer, la mouvante grise
        gît, étrangement souillée de pluie.

En néerlandais, le terme vreemd, adjectif et adverbe, signifie "étrange" autant qu' "étranger".
C'est donc une étrangère qui est ici évoquée : la matière révélée par une simple constatation. Il pleuvait sur la mer ce jour-là. Rien de plus simple et pourtant, par sa trivialité même, cela suffit à provoquer cet accident de la conscience qu'est la découverte de la matière en soi. Malaise pressenti. Les choses sont plus étranges que ce qu'elles ont l'air d'être. Les choses ne sont pas ce qu'elles sont.

Second thème de cette strophe : la terre (het land).

        Onvast het land, gebogen
        naar het verdjwinpunt.
        La terre est indécise, courbée
        vers l'horizon.

Mer dépouillée, terre "indécise" (onvast), instable. Terre sur laquelle il est donc difficile d'être. Terre "courbée" (gebogen) vers sa disparition. Le verbe "verdwijnen" signifie disparaître. L'horizon (verdwijnpunt) est donc un point de fuite où le réel s'abolit.

Le cinquième vers de cette strophe, une notation :

        De wind slaat vuisten op het zand
        Le vent frappe le sable du poing.

La perception des éléments de cette "marine" est comme troublée.
Deux verbes seulement sont utilisés ("liggen" : être étendu ; "slaan" : frapper) et éloignent la description de la contemplation béate, de l'investissement affectif tel qu'on peut le reconnaître chez Baudelaire par exemple :

        Homme libre, toujours tu chériras la mer !

Par son antilyrisme, la description rend plus étrange et dans le même mouvement plus concrète cette eau étonnament longue que l'on appelle "la mer".
Cette mer, en effet, semble avoir la gueule de bois et le vent agit comme un homme ivre.

        Geef je hand.
        Donne-moi la main.

Un impératif au début de la seconde strophe.
Un besoin de se rassurer, de reprendre contact avec l'humain et de rompre ainsi avec le vertige de la matière en soi qui, nous le savons depuis Sartre, nous flanque la nausée.
Ce retour à l'autre, à la solidarité des vivants, est suivi d'une double interrogation :

        Laten reuzen sich nooit zien
        of zijn wij blind ?
        Les géants ne se montrent-ils jamais
        Ou bien sommes-nous aveugles ?

De l'horizontalité de la "mouvante grise" on passe à la verticalité des "géants" dont l'absence est regrettée.
Elle donnerait une autre dimension à la morne marine.
Les géants sont des figures du mythe, un outil de domestication du réel, un moyen d'éviter la matière en soi.
L'action, la puissance de Neptune peut-être, des divinités de la mer qui, comme toutes les figures de légende, sont vouées à l'invisible, créatures de syllabes propres à hanter palais et récits, "hors d'atteinte comme canaux de Mars" (onaanraakbaar als kanalen op Mars, écrit Anneke Brassinga à propos d'Ophélie dans Landgoed, in descendance, Maison de la Poésie Nord/Pas-de-Calais, 1993).
Mais, peut-être, notre nature humainement limitée nous empêche d'accéder aux visions que nous pressentons :

        zijn wij blind ?
        sommes-nous aveugles ?

Si cela est, si je ne puis voir ce qui est pourtant là, je ne suis donc jamais qu' "un panier vide, avec des trous " :

                    ...Een lege
        mand, met gaten.

La métaphore est âpre et peut renvoyer le lecteur à l'acte d'accusation de L'Oeuvre au Noir :

       "On ne rit pas (...), ni encore moins des sacs percés aux deux bouts et juchés sur des échasses, répandant sur le monde un sale vent de paroles et dans leur gésier digérant la terre". (Marguerite Yourcenar, L'Oeuvre au Noir, p.291, folio, 2001).

La dernière proposition du texte prend pour thème l'autre, celui (ou celle) qui est présent :

                     ...Je ogen
        gaan als duiven, bang.
                     ...Tes yeux
        fuient comme deux pigeons, effrayés.

Mais lui aussi se dérobe comprenant sans doute ce qui se trame dans cette consternation du réel.
L'ironie de la comparaison "tes yeux comme deux pigeons" indique que la narratrice n'est pas dupe de la tentation contemplative des "belles âmes" que nous sommes si souvent et si sottement.
Mais je m'en voudrais de finir sur une note amère. Malgré cette désolation du paysage marin et cette solitude pressentie par la narratrice, ce "vague écoeurement" qu'évoque Marguerite Yourcenar à propos des juges de Zénon (opus cité, p.391), il se dégage une ironie douce-amère de ce texte, un humour qui confine au surréalisme.
Cet humour est souvent à l'oeuvre dans les textes de cet auteur et j'en veux pour exemple ces deux vers qui peuvent, à mon sens, rappeler Apollinaire :

        Twee koeien in de andere wereld
        herkauwen hun voortbestaan
        Deux vaches dans l'autre monde
        ruminent leur vie éternelle
                   (Landgoed, opus cité, p.33)

Le texte d' Anneke Brassinga figure dans le recueil Descendance publié par la Maison de la Poésie Nord Pas-de-Calais en 1993 dans une traduction de Patrick Burgaud. Les citations du texte original ainsi que celles de sa traduction apparaissent en caractères gras.
Enfin je rappelle l'adresse de l'excellente Maison de la Poésie Nord Pas-de-Calais :

MAISON DE LA POESIE NORD/PAS-DE-CALAIS
DOMAINE DE BELLENVILLE
37, rue François Galvaire
62660 BEUVRY

tel : 03 21 65 50 28
fax : 03 21 61 10 14


Patrice Houzeau
Hondeghem contre l'A24
le 14 janvier 2006

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15 février 2009 7 15 /02 /février /2009 14:29
Soleil masque

De zon speelt aan mijn voeten als een ernstig kind.
Le soleil joue à mes pieds comme un enfant sérieux.
Ik draag het donzen masker van
Je porte le masque duveteux
de eerste lentewind.
de la première brise printanière.
                           (Paul Rodenko, Februarizon, cité dans Contact-Noord 4, p.84)

Le jeu donc est sérieux, surtout s'il est solaire.
Chroniqueur de février, le narrateur brouille les pistes en portant "le masque duveteux" (het donzen masker) du soleil troublé de brumes et "de la première brise printanière" (de eeste lentewind).
Double jeu du masque.
Pour ce soleil de février, il n'est donc pas étonnant qu'
une fois encore, le monde s'entr'ouvre comme une chambrette de gamine
Weer gaat de wereld als een meisjeskamer open ( Paul Rodenko, op. cité).

                    
Patrice Houzeau
                     Hondeghem, le 22 mai 2005
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