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23 janvier 2009 5 23 /01 /janvier /2009 12:18

LES LARMES D'AGAMEMNON

Notes sur Iphigénie de Racine (1674)


Non, tu ne mourras point, je n'y puis consentir.
    (Acte I, scène 1, vers 40)


L'assonance "i" semble exprimer la plainte, la rage peut-être.

Ce vers est le sixième prononcé par Agamemnon depuis le lever de rideau. Le roi est donc quasi muet. Plongé dans ses pensées. En plein désarroi. Il a d'abord réveillé son conseiller Arcas, comme si, souffrant d'insomnie, il avait éprouvé le besoin de parler, de se confier à quelqu'un :


Oui, c'est Agamemnon, c'est ton roi qui t'éveille.
Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille.
    (vers 1-2)


Puis, en réponse aux interrogations d'Arcas, Agamemnon a reproché aux dieux de l'avoir aliéné, "attaché" au "joug superbe" de "roi des rois" :


Heureux qui satisfait de son humble fortune,
Libre du joug superbe où je suis attaché,
Vit dans l'état obscur où les dieux l'ont caché !
    (vers 10-12)


Ce dépit affiché provoque chez Arcas le besoin d'une tirade de 27 vers (du vers 13 au vers 39) qui rappelle au spectateur à quel point Agamemnon est un homme puissant :

Et depuis quand, Seigneur, tenez-vous ce langage ?
Comblé de tant d'honneurs, par quel secret outrage
Les dieux, à vos désirs toujours si complaisants,
Vous font-ils méconnaître et haïr leurs présents ?
Roi, père, époux heureux, fils du puissant Atrée,
Vous possédez des Grecs la plus riche contrée.
Du sang de Jupiter issu de tous côtés,
L'hymen vous lie encore aux dieux dont vous sortez.
Le jeune Achille enfin, vanté par tant d'oracles,
Achille à qui le ciel promet tant de miracles,
Recherche votre fille, et d'un hymen si beau
Veut dans Troie embrasée allumer le flambeau.
Quelle gloire, Seigneur, quels triomphes égalent
Le spectacle pompeux que ces bords vous étalent,
Tous ces mille vaisseaux, qui chargés de vingt rois,
N'attendent que les vents pour partir sous vos lois ?
Ce long calme, il est vrai, retarde vos conquêtes ;
Ces vent depuis trois mois enchaînés sur nos têtes,
D'Ilion trop longtemps vous ferment le chemin.
    (Vers 13-31)


"Roi des rois", oui, vraiment, il l'est, Agamemnon.
Mais le plus puissant des rois n'est jamais qu'un homme tributaire, comme tous les hommes, des coups du sort.
C'est ce que Arcas rappelle au grand Seigneur.
C'est ce que le dramaturge rappelle au Prince :


Mais, parmi tant d'honneurs, vous êtes homme enfin :
Tandis que vous vivrez, le sort, qui toujours change,
Ne vous a point promis un bonheur sans mélange.
Bientôt...
    (Vers 32-35)


L'adverbe est plein de promesses que la réalité dément : Agamemnon pleure.


                   Mais quels malheurs dans ce billet tracés
Vous arrachent, Seigneur, les pleurs que vous versez ?
    (vers 35-37)


Arcas, à cette vue, est aussitôt alarmé. En effet, l'absence de vent, l'immobilité forcée de la flotte grecque, ne sont jamais que contretemps et ne sauraient peiner à ce point le chef de guerre qu'est Agamemnon.

On remarquera que, des vers 25 à 35, qui sont consacrés à la puissance de la flotte grecque, au pouvoir sans partage du "roi des rois", à l'absence momentanée de tout vent favorable et à la nécessaire patience devant l'adversité que l'on se doit de montrer, - un roi se doit d'être stoïque, de garder son sang-froid -, les dieux sont étrangement absents comme si le dramaturge Racine voulait rappeler au Prince, à son Roi (Louis XIV, celui fut nommé le "Roi-Soleil", périphrase, somme toute, aussi laudative que celle de "Roi des rois") que le temps jouait en sa faveur.

Considérations politiques donc, ces vers 25 à 35, interrompues par les larmes d'Agamemnon qui, visiblement, est en plein désarroi :


Votre Oreste au berceau va-t-il finir sa vie ?
Pleurez-vous Clytemnestre, ou bien Iphigénie ?
Qu'est-ce qu'on vous écrit ? Daignez m'en avertir.
    (vers 37-39)


A la rapide succession de ces interrogations, Agamemnon répond par un seul vers qui résume la gravité de ses pensées :


Non, tu ne mourras point, je n'y puis consentir.
    (vers 40
)


Agamemnon, visiblement, n'a guère écouté le discours d'Arcas.
Il est vrai qu'il ne s'agit plus de tactique militaire, mais de la mort annoncée d'un proche, comme le soulignent l'emploi du pronom "tu" et l'affirmation du caractère inenvisageable de cette mort.


Patrice Houzeau
Hondeghem, le 7 janvier 2007

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23 janvier 2009 5 23 /01 /janvier /2009 12:15

"MAIS TOUT DORT"

Notes sur Iphigénie de Racine (1674)


Mais tout dort, et l'armée, et les vents, et Neptune.
    (Acte I, scène 1, vers 9)


"Mais tout dort" dit Arcas, le "domestique" d'Agamemnon, c'est-à-dire celui qui est attaché à la maison (domus en latin) d'un personnage important, et qui, dans les poèmes dramatiques, tout au moins, joue le rôle de confident, de conseiller.
"Mais tout dort" dit-il, puisque la pièce commence un peu avant l'aurore, dans le camp des Grecs, en Aulide, dans l'attente des vents favorables qui vont permettre aux Grecs de cingler vers Troie où, on le sait, ils doivent récupérer Hélène, la femme à Ménélas, qui fut séduite par Pâris, le rejeton à Priam :


A peine un faible jour vous éclaire et me guide.
    (vers 5)


"Mais tout dort" dit Arcas, réveillé par Agamemnon. Et comme rien ne bouge, que tout est calme et respire régulièrement comme le souligne le rythme ternaire du vers 9 ("Mais tout dort / et l'armée / et les vents / et Neptune"), pourquoi Agamemnon s'est-il si tôt éveillé ?


C'est vous-même, Seigneur ! Quel important besoin
Vous a fait devancer l'aurore de si loin ?
    (vers 3-4)


A cette question, c'est une réponse pleine de dépit qui vient aux lèvres d'Agamemnon :


Heureux qui satisfait de son humble fortune,
Libre du joug superbe où je suis attaché,
Vit dans l'état obscur où les dieux l'ont caché !
    (vers 10-12)


Ainsi regrette-t-il, le grand chef de guerre, de n'être pas anonyme parmi les anonymes, de ne pouvoir se "satisfaire" d'une "humble fortune", d'une modeste condition d'homme ordinaire, de ne pouvoir rester "obscur", ignoré, sans qualité, et, figure tragique dès les premiers vers, reproche aux dieux de l'avoir "attaché" à l'oxymore d'un "joug superbe" : celui de la condition de roi qui, parce qu'elle lui fait occuper la place la plus haute, - elle est en ce sens "superbe" -, fait aussi de lui un homme qui doit endosser les plus lourdes responsabilités et, au besoin, trancher en faveur de l'intérêt général quand celui-ci contrarie ses propres intérêts.

Le vers 12 nous semble particulièrement intéressant en ce sens qu'il évoque "l'état obscur" des gens sans qualité. On sait à quel point Louis XIV, qui fut aussi le mécène de Racine jusqu'à en faire en 1677, - la même charge incomba à Boileau -, son historiographe officiel, on sait à quel point Louis XIV accordait de l'importance au théâtre et à la danse, comptant sur ces deux arts pour illustrer la magnificence de la Cour. Cette magnificence fut si grande que Louis XIV ne pouvait être représenté que comme un être solaire, et donc le contraire d'un "obscur". D'ailleurs, qu'arrive-t-il aux gens obscurs ? Les "dieux" les "cachent". Puisque la puissance de Louis ne cesse d'être évidente aux yeux de tous, c'est bien que les dieux favorisent le monarque.


Patrice Houzeau
Hondeghem, le 7 janvier 2007

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23 janvier 2009 5 23 /01 /janvier /2009 12:13

"Pourquoi moi-même enfin"


"Pourquoi moi-même enfin me déchirant le flanc,
Payer sa folle amour du plus pur de mon sang ?"
(Racine, Iphigénie, Acte IV, Scène 4, vers 1271-1272)


Iphigénie, la fille de Clytemnestre, va être sacrifiée afin que les vents puissent porter la flotte d'Agamemnon jusqu'au rivage de Troie où il s'agit de récupérer Hélène. Ce que dit Clytemnestre, c'est que sacrifier sa fille revient à lui "déchirer le flanc", à elle, sa mère.
Ainsi, le mot "sang" désigne à la fois le sang voulu par le sacrifice et la pureté d'Iphigénie, sang de sa mère, métonymie de l'amour maternel opposé à la "folle amour" d'Hélène pour Pâris.
D'ailleurs, en fin de compte, c'est souvent pour cause de folie amoureuse que finit par couler le sang.


Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 novembre 2006

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23 janvier 2009 5 23 /01 /janvier /2009 12:09

L'acteur et le guerrier


"Je perds trop de moments en des discours frivoles :
Il faut des actions et non pas des paroles."
    (Racine, Iphigénie, Acte III, Scène 7, vers 1072-1073)


C'est ce que dit Achille, le bouillant, rappelant que le discours est le support du récit, de l'action. Il semble ainsi dénoncer la vanité de la représentation mais, justement, il faut bien qu'il y ait théâtre pour affirmer cette vanité.
Ainsi, l'acteur se prostitue-t-il en jouant cet autre qui ne peut être lui. Le guerrier, lui, ne joue pas. Il n'est jamais que lui-même cependant que l'acteur transmet un texte de siècle en siècle tandis que le guerrier va pourrir sous la terre.


Patrice Houzeau
Hondeghem, le 9 janvier 2006

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