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27 mars 2015 5 27 /03 /mars /2015 01:44

CES DIEUX QUI NOUS HABITENT
En lisant « Malpertuis » de Jean Ray, édition de poche J'ai Lu n°1677.

« Mais dans le rêve il faut admettre les choses les plus étonnantes, n'est-il pas vrai ? »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.150 [Piekenbot au Père Euchère])

1.
Ce qu'il faut se dire : ce que nous supportons, nos pommes, peut sembler à d'autres impossible cependant que nous ne supporterions pas ce que tant de gens supportent tous les jours.

2.
Rien n'est jamais ce qu'il était ; c'est même à ça qu'on le reconnaît.

3.
« sorcier sonique », entendu sur France Inter ; « sorcier sonique », j'aime comme ça sonne, cette alliance du sort et du son ; et si les chansons n'étaient pas autre chose que des sorts jetés dans les oreilles ?

4.
« D'étranges volontés vous imposent tour à tour l'oubli et le souvenir. »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.64 [Lampernisse])

Et ces étranges volontés, ce sont les nôtres.

5.
« Je criai d'effroi quand j'entendis un sifflement de serpent et vis soudain Tchiek s'affaisser et disparaître. »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.96 [le narrateur])

6.
Des fois, je pense qu'ils se dégonfleraient, certains, que leurs faces rentreraient en dedans, en sifflant, en sifflant, comme des serpents.

7.
Le fantastique serait-il une drogue ? Le narrateur de Malpertuis en vient à avouer que « dès [son] retour à la vie, le piment des ténèbres (…) [lui] manquait. » (cf p.116)

8.
« - Oh ! se lamenta-t-elle, on dirait que nous tournons dans une sorte de cercle enchanté. »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.129 [Bets])

L'humain, et l'idée parfois qu'il ne peut pas s'en sortir, que, quoi qu'il fasse, toujours le cercle étouffe sa volonté.

9.
Le philosophe vous décrit le cercle, mais dès qu'il aborde la question d'en sortir, le voilà qui convoque l'éthique, la lutte des classes, l'ontologie, la métaphysique et tout son corpus référentiel, dont vous ne savez que faire.

10.
« Ce fut le silence. » Le silence, ce mode d'être au monde qui suppose la résiliation du son et de tous ses possibles de fureur et de bruit, finit par se faire dans la demeure, la demeure, ce silence entre deux hantises.

11.
Vision de demi-sommeil : les rideaux blancs protégeant l'intérieur, deviennent des plantes aux tiges fines et élégantes, aux petites fleurs subtiles.

12.
« Mais soudain mon être se crispe »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.71 [le narrateur])

L'être crispé, on dirait qu'il s'apprête à faire un bond en arrière, laissant planté là son costume de chair et d'os.

13.
Prenons tous les dieux ; soustrayons-les à eux-mêmes ; cela donne zéro.
Prenons tous les dieux ; divisons-les par leur nombre ; cela donne un.

14.
On ne peut plus parler du monde comme il va ; il vaut mieux maintenant parler du monde comme il court.

15.
« L'appel me surprenait souvent dans une partie éloignée de la maison »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.61 [le narrateur])

Les fantômes, ces porte-voix de l'invisible.

16.
« L'appel me surprenait souvent dans une partie éloignée de la maison »
Alors j'entendais Cornichon, cornichon, pâté, saucisson...

17.
« Malpertuis » commence par la découverte d'un manuscrit et se termine par l'évocation d'une fortune. Du manuscrit à la fortune, il fallait donc en passer par les ténèbres.

18.
« Car l'épouvante vint... »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.90 [le narrateur])

L'épouvante comme cause ; le fantastique comme origine et non comme destination.

19.
Malpertuis : p.90 « une réalité hallucinante » ; p.109 « Maudite... mille fois maudite, la maison » ; p.124 « et tout son être frémissait ».

20.
p.150. « Il y a trois jours, je le vis en rêve ; or, notez que je ne rêve jamais » dit au Père Euchère le savetier Piekenbot, lequel ajouta un peu plus loin qu'il avait senti qu'il lui fallait « obéir aux ordres reçus dans le songe ». Le récit fantastique, songe littéraire, ne donne pourtant pas d'autre ordre au lecteur que celui de le suivre dans le jeu de la description de ce qui ne peut pas exister. Le récit fantastique n'est pas un conte ; il n'est porteur d'aucune morale. Si on veut l'apparenter au conte, il en serait la dérision, l'hyperbole parodique, la caricature grand guignol. L'ordre reçu en songe, on peut pourtant y souscrire : ne sommes-nous pas influencés par nos rêves, plus sans doute qu'on pourrait le croire ? Nos songes ne nous travaillent-ils pas ?

21.
Que des dieux aient été capturés, qu'ils aient été emprisonnés dans des geôles de chair, que des dragons circulent tout au long du roman relève de l'impossible et de l'ontologie. Ces dieux qui nous habitent et dont nous ne sommes que les caricatures, ces dragons que nous devons affronter à différentes étapes de notre vie relèvent non de la morale, mais d'une immanence fantastique, d'un au-delà le bien et le mal qui est notre réelle condition.

22.
Malpertuis, où circulent des « monstruosités minuscules » cependant que le narrateur se meut dans le « vaste espace des paliers », est une maison qui ne cesse de grandir, de tendre vers l'infini. Au contraire de ce que font parfois les auteurs de romans policiers, Jean Ray ne donne aucune topographie exacte des lieux. Malpertuis a l'air d'être partout et nulle part, comme si quelques-uns parmi nous portaient en eux cette maison hantée par des êtres doubles.

23.
Malpertuis est la demeure des transcendances maléfiques ; si l'humain tend à être, à redevenir un dieu, c'est en passant par les ténèbres. Son apparaître est dès lors monstrueux, griffu, ténébreux.

24.
Malpertuis, une œuvre d'érudition. Ainsi, page 40, l'abbé Doucedame disserte sur « la figure du renard » dans « la démonologie ».

25.
p.40, le narrateur évoque l'ordre des Barbusquins, qui selon l'abbé Doucedame, « n'exista jamais », et pourtant, ils vont venir, n'est-ce pas, venir…

26.
p.41, la façade de « Malpertuis » est comparée à un « masque grave », enseigne de la tragédie unique qui va s'y jouer.

27.
p.42, le narrateur évoque la « compagnie » des « ombres ». Les dieux capturés sont leur propre armée, une armée d'ombres, de noms et de masques, une résistance au réel.

28.
p.43, ce qu'on pêche dans l'étang de Malpertuis, ce sont des épithètes, des « carpes miroir », des « perches nacrées », des « anguilles bleutées ».

29.
Le roman est un puits où, si l'on prétend y trouver du réel, l'on ne pêche guère que des reflets. Ce qu'on y trouve est d'une autre étoffe.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 27 mars 2015.

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25 mars 2015 3 25 /03 /mars /2015 14:00

TELLES QU'ELLES NE SONT PAS
En lisant « Malpertuis » de Jean Ray, édition de poche J'ai Lu n°1677.

1.
La lutte que les humains livrent contre les dieux passe par le blasphème, lequel est ignoré de l'Unique et simple amusement pour les autres.

2.
J'imagine assez les dieux de l'Olympe se riant de nos blasphèmes comme nous rions des blagues de carambar.

3.
N'avez-vous pas compris que les dieux se nourrissent de nos blasphèmes ?

4.
Je ne me moque pas de Dieu ; même s'il n'existe pas, je crains sa toute puissance.

5.
La « Capture des dieux » ne peut se faire sans dérision. Dans « Malpertuis », Prométhée devient « marchand de couleurs et d'huiles lampantes ».

6.
En vingt-quatre heures, tant de bouches, tant de langues, tant de phrases, de romans inachevés, de sentences et de sorts.

7.
La raison court les rues ; la folie aussi. Toutes deux ne cessent jamais de négocier le prix de chaque passant.

8.
« un certain « pli dans l'espace » pour expliquer la juxtaposition de deux mondes d'essence différente dont Malpertuis serait un abominable lieu de contact. »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.67)

9.
Juxtaposition. Hypothèse des mondes qui se juxtaposent, et de leurs points de contact. L'infini, une somme infinie d'infinis, lesquels multiplieraient leurs coïncidences.

10.
"Malpertuis" est aussi un roman de la descendance. Ainsi, page 110, le narrateur « croit que l'intercession de Doucedame-le-Jeune aura pu atténuer quelque peu les horreurs de la géhenne à la créature qui fut de son sang. »

11.
« We don't see things as they are, we see things as we are. »
(trouvé sur la Toile, attribué à Anaĩs Nin aussi bien qu'au Talmud)

12.
Si « nous ne voyons pas les choses telles qu'elles sont, mais telles que nous sommes », se pourrait-il qu'il en soit de même pour les dieux ?

13.
Et si l'invention des dieux permettait tous les possibles du voir ?

14.
L'infini serait-il un crédit illimité ouvert à tous les dieux ?

15.
Je ne vois point, en ce qui est de l'humain, quelle est la différence d'être « à tous les vents » et d'être « à tous les dieux ».

16.
Notre réelle administration, c'est la mort ; notre juste comptabilité, c'est la mort.

17.
« Vive la mort » est un slogan abominable ; mais « vive la vie » peut être si souvent obscène.

18.
Je n'associe pas toujours le diable à la chaleur ; je l'associe plus fréquemment à l'inhumanité radicale du froid, dont le présent me semble si souvent contaminé.

19.
Il est un froid que l'on entend dans certaines voix, des voix de terre, des voix pleines de passé et de choses mortes.

20.
«- La déesse pleure… on a volé la lumière à ses yeux et à son cœur ! »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.80 [une voix])

Les dieux pleurent autant des larmes des hommes que de leurs rires.

21.
Entendu Michel Onfray sur France Inter justifier ainsi son abstentionnisme électoral : « Il faut choisir entre la peste et le choléra, et moi je n'ai pas envie d'être malade. »

Je suis d'accord.

22.
18/03/2015. Le feuilleton de France Culture consacré à JIm Morrison : « La beat generation est une bande d'enfants sur le bord de la route et qui parle de l'Apocalypse. »

23.
Malpertuis contracte l'apocalypse dans le secret de sa demeure – la demeure : un des deux noms de l'être, l'autre étant « ailleurs ».

24.
N'est-on jamais que manifestement, y compris à soi-même ?

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 25 mars 2015.

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24 mars 2015 2 24 /03 /mars /2015 09:38

J'IMAGINE QU'ETANT UN PEU
En lisant « Malpertuis » de Jean Ray, édition de poche J'ai Lu n°1677.

1.
Je tousse et je tousse en façon d'un diable qui cracherait des fœtus.

2.
p.47. Philarète fétichiste, collectionneur de morts, de « bêtes » qu'il prétend rendre « plus belles que vivantes ».

3.
Parfois, les yeux laissent passer les points d'interrogation qui tissent nos consciences.

4.
Parfois, qu'on a d'l'imbroglio plein les nerfs ; ça imbrogliote, imbrogliote, imbrogliote tant qu'ça nous paralyse.

5.
Malpertuis ou « La Capture des dieux ». Capturer les dieux, pourquoi faire ? Nous avons déjà les actrices.

6.
« Personne ne doit savoir ce qui se passe dans Malpertuis ! »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.65 [Eisengott])

Et c'est justement ce que le livre révèle.

7.
En ouvrant Malpertuis, quoi qu'on trouv'rait dans c't'alambiquée biscornue baraque ? D'la barbaque sanglante, d'l'assassinance en série, d'la tête tranchée au frigo ?

8.
Le festif ou l'alibi de la surveillance ? Entendu sur France Culture cet élément de langage : « la non-fête qu'on ne contrôle pas. » Celui qui ne participe pas à la fête est suspect, voire coupable, coupable d'incitoyenneté chronique.

9.
La médecine ou « le dialogue avec la singularité ». Idée entendue sur France Culture ce 18/03/2015 dans l'émission « Du grain à moudre ».

10.
Beaucoup de médecins voient en chaque patient une singularité, ce qui ne peut que s'opposer à une vision strictement comptable des êtres.

11.
Les choses ne nous reconnaissent pas, jamais. En outre, elles nous en veulent, objectivement, sourdement, de notre apparente maîtrise sur elles.

12.
Propositions. Celles que le narrateur fait à Euryale, laquelle les dédaigne. Peut-on proposer à la destinée de la rencontrer ?

13.
A placer, peut-être, en exergue d'une étude de « Malpertuis » ?
« Let's reinvent the gods, all the myths of the ages »
(Jim Morrison, « An American Prayer »)

14.
p.85 : des « une fois encore » des projets du narrateur : du « vague » et du « tourmenté », en contraste avec la précision de gravure des apparitions fantastiques.

15.
Un récit fantastique est-il une fête cynique ? Vous pensiez que la mort ne conduisait qu'au néant ? Mais non, la mort est étrangement vivante ; regardez comme elle agite ses créatures parmi nous.

16.
Rester lucide jusqu'à ce que l'on puisse détailler chacun des yeux qui s'ouvrent dans le réel.

17.
Je suppose qu'être hanté par l'écriture pourrait rendre méchant, isolé, exilé, étranger aux autres, lesquels ignorent que la possession n'a pas besoin du diable.

18.
« Cela posé, j'imagine qu'étant un peu astronome, le fils mette l’œil à la lunette. »
(Philippe Bonnefis, « Comme Maupassant », p.110, PUL, 1981)

Supprimons l'astronome. Ce qui donne : Cela posé, j'imagine qu'étant un peu, le fils mette l'oeil à la lunette. Donc, le narrateur de « Malpertuis » met l’œil à la lunette des dieux – elle est partout ! - et n'en revient pas de ce qui lui est révélé.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 24 mars 2015. 

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23 mars 2015 1 23 /03 /mars /2015 10:36

MAISON DES FOUDRES
En lisant « Malpertuis » de Jean Ray, édition de poche J'ai Lu n°1677.

1.
La pensée, un rappel, que nous sommes encore parmi les êtres et les choses.

2.
Et si murmurer, c'était s'adresser au petit dieu de son épaule ?

3.
p.86. Mise en abyme : dans un « livre d'images, une gravure représentant le démon peignant des masques. » Du livre au masque, et derrière le masque, le démon au pinceau.

4.
« d'étranges choses qui s'adressaient à un chat. »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.87)

Les chats, ces interlocuteurs privilégiés des contes fantastiques.

5.
« Malpertuis », p.100. Des fois que les « figurines » peintes se détachent des plats pour, « les bras levés en une rage folle » se mettre à « courir sur la nappe ».

6.
A-t-on déjà adapté « Malpertuis » en bande dessinée » ? J'en ai vu jadis une adaptation cinématographique, un drôle de film.

7.
« Malpertuis », p.105. Des fois que les corps se mettraient à se briser comme statues de pierre, que ça en ferait des éclats de roche partout.

8.
« Malpertuis », la maison des foudres.

9.
Arrive-t-il que les cieux laissent tomber leurs dieux ?
Ne chutent-ils pas alors dans quelque demeure ?
Mais non, on s'en saisit pour soigneusement les ranger dans des livres.

10.
La colère l'ayant quitté, il cessa d'être un dieu pour devenir un homme.

11.
Les dieux sont moins libres que nous ; ils ne peuvent cesser d'être.

12.
Que l'on considère l'inconscience que les dieux mettent dans leurs caprices, et l'on verra que l'humain est capable d'infinie sagesse.

13.
Les dieux sont bien trop turbulents pour rester toute la sainte journée dans nos jambes ; aussi les envoie-t-on jouer ailleurs.

14.
Un jour, le Diable tomba malade. Il se mit à cracher des dieux.

15.
Il est curieux que l'on ait prêté à la Pythie le privilège qu'un dieu parlât par sa bouche, alors que Socrate, en fin de compte, ne fut jamais qu'un humain que l'on a fini par ne plus tolérer.

16.
Sans doute n'est-il pas de dieu dans la raison, sans doute n'y a-t-il que de l'humain.

17.
De l'histoire de ces abbés érudits qui déclarèrent un jour avoir décelé quelque incroyable vérité, et qui le lendemain étaient devenus fous.

18.
Se pourrait-il que des dieux nichent dans certaines phrases ? Se pourrait-il que nos lectures les réveillent ?

19.
Se pourrait-il que les livres saints soient ces demeures où dorment les dieux, et que nos lectures réveillent leur toute puissance ?

20.
« Je sens que la raison est en dehors de moi. »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.70)

Elle court, elle court, et furète.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 23 mars 2015.

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22 mars 2015 7 22 /03 /mars /2015 21:46

MYSTERE A CHAQUE PAS
En lisant « Malpertuis » de Jean Ray, édition de poche J'ai Lu n°1677.

1.
Les sons qui traversent les pages : p.65, des pas qui s'éteignent.
Les images découpées qui hantent les pages : p.64, « les bras nus de ma sœur, levés en un geste final de noyée. »

2.
Réécouté ce matin « Riders On The Storm », des Doors, fluidité de l'énigme, prémonition des orages, l'une des plus belles et l'une des plus étranges chansons que je connaisse.

3.
Discrétion humoristique du narrateur qui, à la fin du chapitre « Le Cantique des Cantiques », préfère ne parler à personne de la minuscule « main tranchée » et de la « tête clouée » qui chante.

4.
Allez un petit contrevers…

« Elle secoua sa splendide tête sombre. »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.93)

Elle secoua la nuit il en tomba des têtes tranchées
Secoua le jour il en tomba des couteaux ensanglantés
Sa splendide elle secoua sa
Splendide chevelure en S et rousse et noire sa
Tête de poupée blonde sa tête
Sombre elle secoua il en tomba des serpents et des flammes.

5.
Détachées de leur contexte, bien des phrases sonnent comme des énigmes, des miniatures de mystères :

« J'erre dans la maison vide où quelques lampes brûlent déjà. »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.71)

6.
« Elle secoua sa splendide tête sombre »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.93)

Elle secoua le soleil il en tomba des épiques
Secoua la lune il en tomba de la brume
Sa tête elle secoua une
Splendide journée de juin brûla sa
Tête chanta et
Sombre était sa voix.

7.
A la manière des objets dans la loge de concierge, telle qu'à la page 71 elle est observée par le narrateur, j'aimerais que mes brefs allongeassent les moindres détails « d'ombres grotesques ».

8.
« Elle secoua sa splendide tête sombre »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.93)

Elle secoua sa
Secoua sa
Sa splendide tête hérissée de corbeaux
Splendide comme une neige couvant un feu une
Tête où palpite un masque antique et la
Sombre clarté qui bruisse dans les feuillages.

9.
p.115. Evocation du « nord près de la mer », d'une « maison perdue sur la dune », de l'utilité du phare : le contraire de Malpertuis, demeure du labyrinthe de la ville et des créatures issues des contes et des forêts.

10.
« Si j'étais invariable, je serais éternelle,
Comme le mot toujours et comme la ritournelle. »
(Elise Antoine)

11.
« Pourtant elle restera mystère à chaque pas »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.42)

On arpente donc le mystère ; on en parcourt la trompeuse géométrie ; on en visite l'architecture truquée.

12.
Postulat : Une œuvre réellement littéraire est un corpus d'exemples grammaticaux et sémantiques d'une langue unique.

13.
A posteriori, les détails et les événements d'une vie semblent composer une sorte de roman bizarre auquel on ne donne foi que parce que notre manie explicative a l'air de lui donner une cohérence.

14.
« le ciel a frémi de crainte et l'enfer s'est soumis en gémissant.»
(Jean Ray, « Malpertuis », p.109)

Le berger et son chien effrayés des « formules formidables ».

15.
« j'assistai à la lente mort des lampes »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.130)

La langue de Jean Ray, une héritière du symbolisme.

16.
p.99. Un « pourtant j'aurais juré ». C'est qu'ça échappe au « j'aurais juré », ça déjure, ça déjoue, ça s'délure et ça vous roule dans le Ding ! et « l'épais pudding aux raisins ».

17.
Un amour défunt est une magie morte.

18.
Pourquoi voulez-vous que nous soyons humbles ? Nous sommes humains, nous avons tué Dieu.

19.
Jadis Dieu ; à présent, le hasard ; demain, la nécessité.

20.
Nous avons cru tuer Dieu, et voilà qu'il s'est multiplié.

21.
Il ne voulait pas mourir.
Il est mort quand même.
On ne fait pas toujours ce que l'on veut.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 mars 2015.

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22 mars 2015 7 22 /03 /mars /2015 02:06

UN PLI DANS L'ESPACE
En lisant « Malpertuis » de Jean Ray, édition de poche J'ai Lu n°1677.

1.
« Une seule distraction : les contes de revenants que Bonaparte excelle à raconter à ses compagnons. »
(André Castelot, « Bonaparte », Librairie Académique Perrin, 1967, réédition, 1979 p.362)

2.
p.69. « quelques propositions de rencontre au jardin ou dans la bibliothèque » : La demeure rêvée telle qu'on la trouve dans les romans de genre, jardin et bibliothèque,
des lieux de culture, et donc de rencontre.

3.
Je ne lis pas « Malpertuis » ; pourtant j'y reviens sans cesse, j'y chute, j'y cherche des vertiges.

4.
La nourriture contre les ombres. La réalité réconfortante de la cuisine contre la décomposition des êtres. Les repas de l'abbé Doucedame, commentés par lui-même à la page 45, les crêpes et les gaufres d'Elodie, les « allures de banquet » que « chaque repas y prenait » (p.49), et plus tard, hors des murs de Malpertuis, page 142, le « bon feu dans la cuisine », le « café tout chaud », le « pain frais » et le « fromage de brebis ».

5.
Le « bon feu dans la cuisine »,
celui des Pères Blancs, s'oppose aux mauvaises flammes, celles de l'Enfer, celles des passions mortifères, derrière lesquelles on aperçoit tout un théâtre de pantins et de têtes coupées.

6.
Et puis l'abri des couvertures e
t le paravent des sons de la radio contre le temps qui passe, et toutes ces mains qui essayent de vous y emporter.

7.
Malpertuis ; des dieux déchus y cherchent leur être.

8.
Dans Malpertuis, les êtres surnaturels ne cherchent pas quelque chose dans le réel (une vengeance, un objet, une tête), mais se cherchent eux-mêmes, perdus qu'ils sont entre humain et déité.

9.
Des fois qu'on se demanderait si on est des dieux, quelque chose dans le genre ombres, et qu'on chercherait not' langue.

10.
p.91. Où l'on voit « des serres monstrueuses griffer l'espace hanté ». La métaphore se griffe elle-même. L'espace, ce rapace lacéré qui se recompose après chaque
crise de griffes.

11.
p.114. Où il est question d'Elodie en « harpe heureuse ». L'harmonie contre les cris et les chuchotements de Malpertuis.

12.
Le roman fantastique, une grammaire de l'invisible ? Jean Ray, grammairien des ombres ? Pourquoi pas ? Les flammes aussi ont des langues.

13.
« une large tache pourpre étoila la blancheur de la toile. »

(Jean Ray, « Malpertuis », p.100)

Derrière les masques, des taches pourpres ; derrière les accessoires, une toile blanche.

14.
Dans l'été impatient de l'écriture... 

15.
La découverte des livres qui vont nous suivre toute notre vie, elle se fait parfois à l'adolescence, pendant les vacances, au moment où il n'y a plus personne que le temps à passer, étale et quasi lisse ; c'est dans cet apparaître de la durée que j'ai découvert le charme des énigmes de Dame Agatha, et qu'il existait dans un curieux roman une demeure pour les dieux.

16.
17/03/2015 : Entendu sur France Culture, dans un feuilleton sur Jim Morrison : « Pour le shaman, toute guerre a un objectif spirituel. » Phrase fantastique, et sentence diabolique, tout dépendant de ce que l'on appelle « guerre ».

17.
p.68 : Loisirs tranquilles des salons bourgeois : le cousin Philarète et le Dr Sambucque jouent aux échecs ; la tante Sylvie brode une tête de princesse égyptienne.

18.
p.67. L'abbé Doucedame évoque un certain « pli dans l'espace », - motif de la géométrie mystérieuse, qui donnerait la clé de l'espace et du temps.

19.
Il y a-t-il une clé de l'espace et du temps ? - Et même, si ça se trouve, un trousseau de clés !

20.
S'il y a plusieurs infinis qui se traversent, se superposent, se nouent et se dénouent, est-il possible qu'il y ait alors plusieurs entrées à cette pluralité ?

21.
Les infinis se concurrencent-ils ? Et où et quand coïncident-ils ?

22.
La pluralité des dieux est-elle une métaphore de la pluralité des infinis ?

23.
« un pli dans l'espace » dit l'abbé Doucedame. Se pourrait-il que les dieux manipulent les tesseracts comme nous manipulons les cocottes en papier ?

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 mars 2015.

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21 mars 2015 6 21 /03 /mars /2015 19:50

LE MASQUE LE COMEDIEN LE REVENANT
En lisant « Malpertuis » de Jean Ray, édition de poche J'ai Lu n°1677.

1.
Le récit fantastique, une contamination de la diachronie par une multiplication de synchronies. Ce sont morts qui frappent.

2.
Les synchronies fantastiques ; elles ont déjà tissé la toile dans laquelle
la diachronie de notre réel se prend à son propre piège.

3.
Le réel, une infinie partie de go où la diachronie heureuse et les synchronies dramatiques composent des territoires de plus en plus intriqués.

4.
p.52. Le f siffle sur les « façades », à « chaque fenêtre », dans les « rafales » du vent et les « mains fantômes ».

5.
Je compose mes commentaires comme on résout un puzzle, comme on tisse des yeux sur une toile ou
le tablier d'un jeu de go.

6.
L'abbé Doucedame s'y entend en aphorismes ; le narrateur, p.45, note même qu'il « pontifie » :

« La vie est atteinte de torticolis sempiternel ; ce qui l'empêche de regarder en arrière. Faisons comme elle, le passé appartient à la mort, qui est jalouse de son bien. »

7.
« Faisons comme elle » : la vie est une imitation de la vie ; et c'est cette imitation qui
seule est vivante.

8.
Le passé n'appartient pas aux morts, mais à la mort, qui ne laisse rien passer.

9.
Parfois, je me félicite de n
'être pas dehors. Dehors, dehors… le périlleux dehors…

10.
p.52. Amusante notation qui fait des « feuilles mortes », dont le vent se joue, les dépositaires d'un « maléfique pouvoir de mains à gifles ».

11.
p.117. Lorsqu'une cloche appelle,
si elle est « perdue dans d'insondables lointains », y a fort à parier qu'elle va vous mystériser l'ambiance.

12.
L'appel de la cloche ! Vous me la b
aillez belle ! Moi, j'ai beau appeler, y a jamais personne qui vient.

13.
« Elle secoua sa splendide tête sombre. »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.93)

Beau, sifflant, nocturne.

14.
p.108. Je savais qu'il y avait une « magie noire » et une « magie blanche » ; j'ignorais qu'il y eût une « magie rouge »,
laquelle, d'après ce que je lis sur la toile, se consacre aux liens affectifs.

15.
p.108. Opposition entre la « sagesse des siècles » et les « arcanes de l'avenir ». Malgré l'accumulation des sagesses humaines, le temps ne se laisse pas déchiffrer.

16.
Selon Doucedame-le-Vieil, le « savoir du seigneur Cassave prend racine dans la sagesse des siècles les plus reculés et tend jusqu'aux arcanes de l'avenir. » (Jean Ray, « Malpertuis », p.108) ; donc, de moins l'infini à plus l'infini.

17.
Le temps est d'autant plus indéchiffrable que son code n'existe pas.

18.
p.47. Des « soucoupes remplies d'yeux de verre ». Il y a toujours dans la mention d'une accumulation d'yeux de verre un zeste de fantastique.
On pense à Hoffmann, à Offenbach. N'est-ce pas que le Diable plagie notre regard ?

19.
p.124. « 
trois coups furent frappés sur les volets. » Trois coups. Voilà qui annonce le masque, le comédien, le revenant.

20.
Existerait-il une croyance selon laquelle si un mort revient, c'est qu'un esprit s'est emparé de sa dépouille ?

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 21 mars 2015.

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21 mars 2015 6 21 /03 /mars /2015 02:10

CE N'EST PAS PARCE QUE CES HISTOIRES SONT FAUSSES
En lisant « Malpertuis » de Jean Ray, édition de poche J'ai Lu n°1677.

1.
p.61. Lier le mot « angoisse » et le mot « être » est un lieu commun romanesque. Les romans pullulent d'êtres angoissés.
Y aurait-il des angoisses qui ne trouvent pas leur roman ?

2.
Je pense à l'être angoissé des romans ; le nom de Kafka me vient d'abord à l'esprit,
puis la figure du Chevalier au Lion, Yvain, égaré.

3.
p.88. Où il est question des « lisières du rêve » et du « soliloque » ? Les lisières du rêve sont-elles le lieu d'être du soliloque ? Ne rêvons-nous que pour être en capacité de nous adresser aux autres sans avoir envie de les tuer ?

4.
Pourquoi écrire ? Parce que je ne puis faire autrement. L'écriture m'a appris que le monde m'échappait ; et, depuis lors, je crains que ne plus écrire achèverait totalement ma défaite dans cette maîtrise de chaque jour où vous semblez presque tous si à l'aise.

5.
En composant ces brefs, j'écoute une version radiophonique des « Dix petits nègres » d'Agatha Christie. Si, devenu vieux, ce qui ne saurait tarder, je perds la vue, au moins il me restera les pièces radiophoniques et cette présence singulière des voix du passé.

6.
p.111. Malpertuis est défini par « un vrai et repoussant mystère ». La maison hantée est donc à l'image du tant d'autres où nous
nous débattons, mystérieux – qui connaît qui ? -, vrais – je ne puis nier leur existence -, et, des fois, combien repoussants – eh oui…

7.
« dis-moi donc que nous faisons un bien mauvais rêve. »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.101 [le narrateur])

me dis-je à moi-même ce matin dans la glace de la salle de bains.

8.
p.29. Sans leurs « flammes vertes », il y a de certains yeux qui ont l'air d'à peine voir. Les créatures,
sans doute voient-elles autre chose que ce que nous voyons, mais c'est pure convention ; elles ne voient jamais que ce que l'auteur nous fait supposer qu'elles voient.

9.
Que voit le « dieu capturé » ? Un monde dont il n'est étrangement pas maître, des êtres dont il ne peut pas prendre possession.

10.
Le récit fantastique relèverait-il d'une phénoménologie de l'apparition
impossible ?

11.
Y a-t-il des cas de dérèglement mental où l'on se met à nier que l'autre existât ? Il me semble que le délire ne nie pas l'existence de l'autre, tout en
chargeant cette existence d'interprétations irrationnelles.

12.
p.
134. Comme en un rêve, le narrateur « balbutie un nom, mais il ne [lui] répondit pas. » Ce que dit ici la langue, c'est que ce sont les noms qui répondent (ou ne répondent pas) ; ce sont les noms qui parlent au nom des êtres.

13.
p.59. Le narrateur
de Malpertuis est celui qui « veut voir ». Le roman, une paire de lunettes à voir l'autre monde.

14.
Et si écrire, c'était explorer une demeure dont nous ne connaissons ni les hôtes, ni la nature exacte des objets qui la meublent.

15.
« Tout ce qui t'entoure et te tient me semble si sombre et si compliqué ! »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.124 [Bets au narrateur])

16.
p.9. Intuition géniale de Hawthorne cité par Jean Ray : « les dieux de l'ancienne Thessalie » réapparaissent grâce aux « chants des poètes » et aux « livres des savants ».
C'est ainsi que les romans fantastiques ouvrent nos portes à l'inconnu.

17.
Ce n'est pas parce que ces histoires sont fausses que leurs créatures
ne pourraient pas jaillir de la nuit et nous supplanter.

18.
Nécessaire prudence du romancier : Ce n'est pas parce
qu'une histoire est fausse qu'elle ne pourrait pas arriver.

19.
« A force d'écrire des choses
horribles, les choses horribles finissent par arriver. »
(L
e personnage d'Irwin Molyneux , dans le film « Drôle de drame », de Marcel Carné, dialogues de Jacques Prévert)

20.
Et puis il y a le générique du feuilleton « Les Maîtres du Mystère », avec ce balancement de la fatale horloge
suivi de son tragique violon...

21.
p.102. « - Des peaux ! Rien que des peaux dans lesquelles on souffle comme dans des conques » dit
Lampernisse. Le réel ne serait-il qu'une baudruche gonflée par quelque dieu de la farce ?

22.
p.110. La pipe, la « fumer longuement », le « silence » et les « yeux perdus dans le vague » : éloge du fumeur placide.
Une pause dans la furie fantastique.

23.
Quels sont ces petits dieux qui m'tapent sur les nerfs ?

24.
p.132. Un appel dans les ténèbres. Faut toujours qu'elles appellent, les ténèbres. Elles prennent des voix bien humaines alors !

25.
Les appels des ténèbres, comme dans ces films d'épouvante où la jeune fille est réveillée par une voix qui, du couloir, de l'escalier, du grenier, l'appelle d'un prénom.

26.
p.
152. Il est de ces rires qui ont ce pouvoir de « déchirer la nuit », de contracter le temps et l'espace en un point dont on ne peut se figurer réellement les contours, un nœud au sein d'une infinité de nœuds, une goule avalant le réel.

27.
« Malpertuis » a été publié en 1943. Page 152, on peut lire ces lignes :

« Un rire démoniaque déchira la nuit et j'entendis le bruit frénétique de griffes essayant de labourer le bois épais de la porte. »

Un an plus tard, lors de la contre-offensive allemande dans les Ardennes, le long de la frontière belge, en repassant par certains villages qui s'étaient crus trop tôt libérés, ma mère m'a raconté qu'on entendait dans les rues des ordres secs et les coups de crosse dans les portes que les soldats, furieusement, donnaient.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 mars 2015.

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20 mars 2015 5 20 /03 /mars /2015 16:44

« PIERRE DANS LES PIERRES »
En lisant "Malpertuis", de Jean Ray, édition de poche J'ai Lu n°1677.

1.
Les langues porteraient-elles les dieux qui agitent les humains ?

2.
Les racines de Malpertuis : une « étendue inhabituelle de souterrains, aujourd'hui inexplorables »
(p.44). Ainsi, l'origine de la demeure est-elle enfouie dans la nuit trouée des sols.

3.
Le passé, cette toile noire pleine de trous par lesquels on croit voir passer des êtres et leurs yeux.

4.
Et
il se dit que, quelque jour, il vomira un sang aussi noir que le café qu'il boit, que la nuit qu'il passe, ou alors une lune noire.

5.
Des fois on se dit que c'est comme si toute chose était porteuse de mort.

6.
p.77. Le narrateur répète qu'il attend. Il répète sa patience ; il « formule sa certitude » :
« - J'attends… j'attends... » dit-il.
Cette formulation
à haute voix a l'effet d'un charme : p. 78, « Alice Cormélon était venue… Je savais à présent que c'était elle que j'attendais, que ce ne pouvait êtrequ'elle... »

7.
Ne sait-on jamais qu'à présent ? Avoir su est une faille.

8.
p.140. « - Viens à moi… Viens à moi… C'est ainsi que leur cloche parle ».
Les choses nous appellent-elles ? Nous rappellent-elles ? Nous invoquent-elles comme nous invoquons les esprits et évoquons les disparus ?

9.
Malpertuis s'ouvre sur le vol d'un manuscrit ; c'est ce forfait qui va permettre de libérer les « charmes noirs » et leurs dieux.

10.
p.111. « le sourire amical des livres ». Que les livres puissent sourire n'est pas douteux ; leur ironie n'est-elle
pas palpable ?

11.
p.110. « Le soir de l'Epiphanie, noir et déchiré de vent et d'averses », se sanctifie au loin de quelques chansons d'enfants. »

12.
Epiphanie au coeur de Malpertuis ; Epiphanie noire ; Epiphanie au-delà du bien et du mal ; Epiphanie de
s dieux capturés, « enfermés dans de grotesques dépouilles » (p.164); Epiphanie des dieux tombés dans la langue.

13.
p.164. Les hôtes de Malpertuis sont-ils atteints d'un trouble de dédoublement de la personnalité, marqué par « d'imprévisibles alternances de déité et d'humanité ».

14.
Sous ses paupières, il s'est vu : tête grise, à la limite entre le triste et le sinistre.

15.
Malpertuis est un roman où il arrive que les portes retombent « avec un bruit définitif de tonnerre. » Les sons font sens.

16.
Le définitif, ce qui clôt une définition,
laquelle, jusqu'au dernier moment, reste ouverte.

17.
Et puis, à la fin, ce qui fut de nous se résume à ceci : lettre morte et porte close,
cependant que si « l'oncle est mort », ce sont de ses dernières volontés que découle la narration.

18.
p.46. « … car on ne sait jamais quelles sont les entités aux écoutes de nos mots et de nos pensées. » [l'abbé Doucedame]

car on ne sait jamais qui exactement est dans notre caboche à l'écoute de nos mots et de nos pensées.

19.
p.34. « - Ainsi je l'ai voulu !
dit l'oncle Cassave d'une voix forte.
- Ainsi il en sera ! répondit gravement le sombre Eisengott. »

Muss es sein ? Es muss sein !
Dit la voix du dieu en l'humain.

20.
p.35. Les derniers paroles de l'oncle Cassave, et
au cœur de pierre de rester dans les pierres. Ce qui, entre nous, est une dernière injure faite au divin.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 mars 2015.

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20 mars 2015 5 20 /03 /mars /2015 00:35

DES OMBRES FANTASTIQUES A LA QUESTION DE L'AUTHENTICITE D'UN PROVERBE
En lisant « Malpertuis » de Jean Ray, édition de poche J'ai Lu n°1677.

1.
Des « ombres fantastiques » s'élèvent dans la page 132 ; elles sont ce que nous réveillons. La langue dote les ombres de possibles surnaturels ; comment, dès lors, ne pas en avoir confusément peur ?

2.
p.45, l'abbé Doucedame remarque que l'on « mangeait mal à la table de Minos ». Manière de dire que si l'on mange mal aux Enfers, la bonne cuisine est donc du côté du bien, du beau, du bon.

3.
Pendant ce temps-là que confusément l'ombre irrigue nos caboches.

4.
p.47 : « charmes noirs » Le fantastique mettrait-il en œuvre les « charmes noirs » qui circulent entre les humains et qui, dieux patients, sont tapis dans les demeures.

5.
Malpertuis est un roman où « aux heures obscures », le narrateur entend passer le fantoche gémissant.

6.
On peut se demander aussi si Malpertuis n'est pas une maison du délire, une hallucination du narrateur.

7.
p.77. « J'attendais je ne sais quoi, mais j'avais quitté Malpertuis dans la certitude de cette attente. »

8.
p.108. Des fois qu'on connaîtrait « le latin, le grec et même les langues jeunes du monde », que connaître les langues anciennes, ce serait s'inscrire dans la diachronie, venir de loin, revenir peut-être…

9.
Les dieux se cachent-ils dans les langues et attendent-ils que l'on prononce certaines phrases, certains mots, pour se manifester ?

10.
La musique n'est pas une langue universelle, c'est la langue des dieux de l'ironie et de la beauté.

11.
Chacun d'entre nous a-t-il une « mission fantastique » à remplir ? Une mission qu'il ignore et dont seuls ses petits dieux portatifs ont la clé et le secret.

12.
L'humain réalise-t-il ce qu'aucun dieu ne peut accomplir ?

13.
C'est dans le détail du jadis, dans l'entrevu qui revient, que se trouve un diable plus puissant que le dieu des petites choses auquel nous sacrifions chaque jour.

14.
Une vie réussie est-elle la somme de tous ces jours où l'on n'a pas perdu son temps ?

15.
Un roman, le récit de tous nos insus ; et ils continuent à se moquer de nous, car nous ne comprenons pas tout de ce qu'ils signifient.

16.
Rimbaldien parfois le style de Jean Ray. Ainsi, page 29, ce délire de Lampernisse :
« - (…) Oho, il est là et je ne puis le voir. Lumière et couleurs, il a tout pris. Il me jette dans la nuit. »
Du reste, Malpertuis n'est-ce pas aussi pour le narrateur le récit d'une « saison en enfer » ?

17.
Page 33 : « Je suis venu, dit une voix qui vibrait comme une cloche. »
Ce n'est pas seulement un personnage qui parle, c'est une voix. Une sonorité singulière.

18.
Le monde est un immense tournoi de voix, un infini concile des syllabes, une infinie recension de tout ce qui est.

19.
Pour en revenir à ce proverbe « flamand » qu'en ouverture du chapitre « La nuit de la chandeleur » cite Jean Ray (« A la chandeleur, le démon, ennemi de la lumière, dresse ses plus terribles pièges »), ce qui me fait douter de son authenticité, c'est son caractère par trop littéraire et explicatif. J'admettrais très volontiers un « A la chandeleur, le démon dresse ses pièges », et même « La nuit de la chandeleur, le démon dresse ses pièges », mais l'explicatif « ennemi de la lumière » et le superlatif « ses plus terribles » nuisent au style énigme et devinette qu'en traversant le temps bien des proverbes finissent par acquérir.

A titre d'exemples :
« À la Chandeleur, le froid fait douleur. »
« À la Chandeleur, Rose n'en sentira que l'odeur. »
« A la Chandeleur, la chandelle pleure »
« Celui qui la rapporte [la chandelle, le cierge de la Chandeleur] chez lui allumée,
C'est sûr ne mourra pas dans l'année. »
J'aime beaucoup ce « Si la loutre voit son ombre le jour de la Chandeleur, pendant quarante jours elle rentre dans son trou », qui rappelle le « Jour de la marmotte » du  beau film « Un jour sans fin » (Harold Ramis, 1993).
Et celui-ci encore :
« S'il pleut sur Notre-Dame des chandelles, beaucoup de miel pour la demoiselle », n'est-il pas magnifique de poésie pure ?

Jean Ray aurait été sans doute plus inspiré de couper dans sa phrase ; il savait pourtant y faire, mais l'on sait que le Maître de Gand aimait à être précis dans cette œuvre magique qui, par son goût du détail, s'apparente au travail de la gravure, ou encore à la beauté gothique des poèmes en prose du « Gaspard de la nuit », sous-titrées « Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot » et chef d'œuvre  d'Aloysius Bertrand (1842).

Post-Scriptum.
Il reste bien entendu que si quelque lecteur peut éclairer ma lanterne sur l'origine de ce fameux proverbe, voire me prouver qu'il n'est pas une pure invention de Jean Ray, je ferai, en dépit de l'arrogance que l'on prête si volontiers aux auteurs français, amende honorable.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 19 mars 2015.

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