NON MAIS L'ORAGE LES FAIT PARLER
1.
Ayant compris que le mythe de « l'honnête homme » est aussi illusoire que celui du « bon sauvage », la civilisation se lance à la poursuite de « l'homme moral », qu'elle confond avec le « politiquement correct ».
2.
Parfois, j'entends un imbécile parler d'autres imbéciles et ils appellent cela l'Histoire.
3.
Il a remis sa langue dans la poche, la tête sur ses épaules et le plomb dans sa cervelle, puis il est parti travailler.
4.
Je me demande si les mots « que foudre me poudroie » signifient que la foudre peut me réduire en cendres.
5.
Cogitants donc nous sommes et allons sans aucune autre raison que celle qui nous agite le bocal.
6.
« Non, mais l'orage les fait parler ; ils radotent toujours les mêmes choses. »
(Agatha Christie, « L'auberge du fou aux clochettes » [« Une belle fille grande et brune »])
7.
« Car de ce que Dieu n'est point trompeur, il suit nécessairement que je ne suis point en cela trompé. »
(Descartes, « Méditation sixième »)
8.
« De ce que Dieu n'est point
trompeur » il est qu'ça ment
pas le réel la comprenette i
nous la promène la salade la
balade d'un infini l'autre i
nous confond i nous berlue i
chagrine & nous fait prendre
vessies pour des lanternes i
les remet les points sur les
i et cadavres dans les trous
mais sans mentir mythonner i
connaît pas le réel qu'c'est
nos pommes qui racontons des
menteries que le réel certes
ne ment point ce qui ne veut
absolument pas dire qu'c'est
la vérité tout ce qu'on voit
mesure délibère & équationne
non ce n'est jamais que mode
d'être modus vivendi afin de
nous accommoder avec tout ça
qui nous échappe comme ombre
dans la nuit et d'infiniment
nous domestiquer l'absurde &
nous légitimer dans l'être &
y persister et durer et nous
arranger avec ça de pas plus
vrai que faux ça de pas plus
dieu que diable ça où ils se
circulent le squelette ceux-
là que nous appelons nous ça
sans aucune autre raison que
celle que la langue agite.
9.
Quand elle dit que « l'orage
les fait parler » est-ce des
spectres qu'elle parle & qui
s'agiteraient dans l'être du
coup (de tonnerre) est-ce du
fantôme qui soliloquerait là
au milieu de nous qui allons
à travers lui comme on passe
à travers la lumière et quoi
donc qu'ils racontent & quoi
donc qu'ils évoquent ceusses
qui sont sans exister & quoi
que ça murmure flot d'ombres
qui envahit les murs noircit
les miroirs et les hante les
esprits comme si nos citrons
étaient leurs maisons est-ce
de nos solitudes qu'ça cause
tout ce horla ou est-ce leur
mémoire qu'ils remuent leurs
vieux coups d'foudre & coups
d'éclat & coups de théâtre &
coups d'couteaux dans l'dos.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 8 janvier 2016.
DE BELLES LÀ-DEDANS !
« Il doit s'en passer de belles là-dedans ! Une nuit, une de ces malheureuses s'échappa en chemise... »
(Agatha Christie traduit par Louis Postif, « Pourquoi pas Evans ? » [« la servante qui apporta des pots de bière et donna son propre point de vue »])
« la fille à lèvre d'orange, les genoux croisés dans le clair déluge qui sourd des prés »
(Arthur Rimbaud, « Enfance »)
1.
Maintenant m'sieurs-dames je crois
avoir dit tout c'que j'n'avais pas
à vous dire mais qu'j'ai dit cause
que j'suis un fieffé bavard dit-il
sans ouvrir la bouche car il était
aussi très très très très prudent.
2.
Pucemelle : se dit d'une petite
jeune fille qui se mêle de tout
« Ah, celle-là, c'est une vraie
pucemelle ! Toujours à se mêler
des affaires des autres, dis !»
3.
Saxophonie : Pays du King Sax, où
le jazz coule en rivières d'notes
bleues où entre les voix jaillies
de fontaines batteries les pianos
quoi qu'ils font quoi qu'ils font
les pianos quoi qu'ils font donc.
4.
oui malheureusement pourquoi est-ce
si malheureux si si si si j'aime le
si j'aime la répétition du si et la
servante apporta des demis de bière
elle aurait pu apporter des moitiés
d'poulets c'est pour ça que je vous
l'dis ça demis de bière que je vous
le précise et donna son avis j'vous
l'dis la servante donna son opinion
que c'est bien ce qu'elle pensait &
qu'il devait s'en passer des belles
des vertes et des pas mûres et même
qu'une nuit une de ces malheureuses
s'échappa en chemise non non non et
non j'aime le non j'aime le si puis
le non et aussi le sinon ce dont je
veux vous parler c'est d'ce château
dont je me demande est-ce que c'est
la seule grande résidence du pays &
est-il hanté ce château car quant à
causer château autant causer de ces
revenants-là de ces transparents-là
qui vous passent en travers remuent
des têtes coupées dans vos miroirs.
Du reste un fantôme je me l'demande
si un fantôme ça peut être hanté si
un château ça peut hanter que si ça
se trouve il y a dans les campagnes
hallucinées des fantômes peuplés de
châteaux de couloirs de corridors &
de vieux crimes et puis si ces gens
qui ne sont plus d'ici déclament du
Rimbaud des fois quand ça souffle &
siffle puis qu'il pleut tant tant &
tant tant tant tant TANT sur le tam
bour des choses tant et tant encore
qu'il souffle et siffle si fort que
l'on n'entend plus que sifflements.
5.
Des fois qu'on tournerait des mots
dans s'tête des mots qui aiguisent
des phrases comme si c'étaient les
grands couteaux de notre éloquence
6.
Le fantôme de la « fille à lèvre
d'orange » qui croise les genoux
« dans le clair déluge qui sourd
des prés » et qui hante le poème
« Enfance » de Rimbaud genre que
la pluie tomberait du sol et que
le temps serait remonté comme la
montre au poignet d'une morte là
pourtant et qui vous sourit tout
en ouvrant ses lèvres d'orange &
prononce quelques mots dont vous
ne saisissez pas du tout le sens
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 6 janvier 2016