AH LES COMIQUES !
1.
Dans le film Le Magnifique, de Philippe de Broca, jolie belmondienne comédie, y a un moment où l'écrivain populaire de la série des Bob Saint-Clar (on dirait le blaze d'un de ces zozos de DJs à la noix qui pressent en s'agitant la couenne, les bras et leurs dessous de, sur des boutons et deux ou trois notes d'électronies à touches, se prenant des fois pour des musiciens), où le romancier en série donc imagine que les dents d'un rat destiné à je ne sais
2.
Dans un épisode de l'excellent Caméra Café (avec Bruno Solo et Yvan Le Bolloc'h), dans la bouche d'Hervé Dumont, le syndicaliste marron, collectionneur de galets peints, radin, mesquin, intelligent, puéril comme bien souvent qu'on le reste, et surtout magouilleur au CE (Comité d'Entreprise) de sa boîte, cette réplique de conclusion : "Je veux bien être malhonnête, mais on ne m'en donne pas les moyens !". Phrase d'une grande lucidité qui rappelle qu'en période de crise, c'est dur pour tout le monde, y compris les crapules.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 7 juin 2013
AU FOND LE CORBEAU
"- Au fond, le corbeau, c'est peut-être bien vous ?"
"- Pourquoi pas ?"
C'est dans le film Le Corbeau, de Clouzot, ce dialogue entre le docteur Germain et le vieux cynique psychiatre. Film vipérin, film vénéneux... poison des lettres anonymes... poison des désirs... poison des pourquoi pas qu'il serait, le médecin, un "sombreur de polichinelles" (comprenez un avorteur), et pourquoi pas qu'une telle ferait porter les cornes à son mari, et pourquoi pas des louche affaires, magouilles et tripatouilles, puisque cela existe dans la réalité... Notons que la réalité d'alors, 1943, c'était la France occupée, la France en proie à la délation, à la lettre anonyme justement, au règne des Corbeaux, la France de la lutte souterraine (l'assassinat du coupable par une justicière de l'ombre comme référence à la Résistance, c'est tout de même étonnant qu'on dit que personne ne semble s'en être alors aperçu, que personne n'ait vu alors que le film tout entier est une métaphore de l'Occupation)... Le film montre aussi que tout se sait toujours, et ce que l'on ne sait pas, on l'invente... Les gens, scribes, bavards, rumeur sur pattes, court les rues, la petite ville repliée chauve-souris... prise de peste, façon Camus... Il y a la peste, celle des salauds, aussi la petite peste, c'est l'adolescente un peu trop curieuse, tourmentée des hormones, qui espionne, sous-entend, allusionne, persifle... c'est pas elle la coupable... Pas non plus Marie Corbin, malgré son nom... non, c'est pas elle. Pas le nom qui est coupable.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 6 juin 2013
OUI MAIS LUI IL ETAIT EN L'AIR
Je regarde Fantômas contre Scotland Yard
Avec Louis de Funès et son fameux "Et le
pendu alors ?" "Oui mais lui il était en
l'air, il pouvait pas savoir." Citant de
Mémoire je suis à peu près certain de me
Gourer un peu mais c'est quasi ça Il est
Difficile pour moi de la commenter cette
Phrase Je ne peux dire que le comique de
La réplique est dû surtout à la vivacité
Du ton employé par Louis de Funès du vif
Du nerveux du syncopé du réactif qui lui
Fait dire au commissaire Juve pas mal de
Non-sens & c'est ce non-sens ce décalage
Entre la masse fantôme du pendu et cette
Ignorance dont Juve le dote l'expliquant
Cette ignorance de la présence ou non du
Cadavre qui n'fait rien qu'à disparaître
Par la position aérienne du pendu ce qui
Induit d'ailleurs que les bonzes volants
Les yogis lévitants & autres envolés par
La grâce de Dieu seraient très ignorants
& c'est ce non-sens ce décalage qui fait
Rire d'autant plus qu'il est inattendu &
Pourtant nous savons bien que le Juve de
Louis de Funès est un grotesque oui mais
Qui prouve par son non-sens que l'humour
Absurde et même ici l'humour noir est la
Noblesse du grotesque sa promotion à une
Finesse remarquable par sa désinvolture.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 9 mai 2013
OU L'UN DE CES REVOLUTIONNAIRES ROMANTIQUES
En regardant "Corto Maltese : La Cour secrète des arcanes" (Film d'animation de Pascal Morelli, 2002).
1.
Dans La cour secrète des Arcanes, un personnage constate que ces temps-ci, il ne manque pas de gens qui meurent sans savoir pourquoi. On mesure sans doute le trouble des temps à ce nombre.
2.
"Où l'un de ces révolutionnaires romantiques" : le Major s'interroge sur le statut de Corto Maltese dont l'être est, par définition, énigmatique.
3.
La valse dans le ciel se moque et tente le tir.
4.
Dans les aventures de Corto Maltese, on tue pour se désennuyer ou se défasciner, ou on ne tue pas. "Soyez gentil, abattez-le" dit la duchesse, pour s'excuser ensuite de cette tentative.
5.
"je disparais toujours dans les tempêtes de neige, c'est plus fort que moi." Corto est celui qui est dans le plus fort que soi, le réellement plus fort, celui qui l'emmène outre la mort attendue du personnage.
6.
"Pour ma part, je crois donc qu'il est préférable de mourir" : ce qui entraîne en effet la mort du personnage et fait dire à Raspoutine qu'il n'a jamais entendu un raisonnement aussi absurde.
7.
C'est dans la neige que Corto se récite du Rimbaud, dans la neige qui abolit le temps, la neige qui tombe sur les cadavres.
8.
La voyante qui ne voit plus que du sang se condamne à mort.
9.
Corto Maltese est un implicite rêvé. Celui des règles insupportables de la vie réelle. S'il n'était que ces règles, l'existence serait d'une infinie brutalité. C'est l'implicite des autres règles, celles de la vie symbolique, celles de la légende qui permettent de supporter, voire de transcender ce qui n'est que violence, avidité, opportunisme, jalousie, affectivité animale, survie. La sainteté est dans la force du symbolique face au croc.
10.
Corto Malteses : "Je suis parti et je suis revenu" : c'est le propre des personnages de fiction. Les vivants ne reviennent que si on les cherche, ou que s'ils vous cherchent.
11.
Dans les aventures de Corto Maltese, la beauté est souvent d'une lucide et suicidaire cruauté.
12.
"Deuxième beauté, c'est mon premier nom" : phrase admirable, qui fait sourire, ne prête pas à conséquence, inscrit le personnage de Shangaï-Li dans une légende, le souvenir qu'en gardera Corto Maltese pour le reste de nos jours.
13.
L'une des qualités de ce film est qu'il donne l'occasion de réentendre la voix de Marie Trintignant, cette voix si belle qu'elle semble recéler dans son grain une partie de l'énigme de la beauté.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 février 2013
PÂLEUR SAVANTE
1.
Si le feu consume le bois jusqu'à l'os, c'est que, dans l'arbre, il y avait quelqu'un.
2.
La pâleur savante des visages gothiques souligne que le sang a coulé.
3.
Dans le film La Belle endormie, de Catherine Breillat (France, 2011), "Qu'est-ce que vous faites ici en robe d'autrefois ?" C'est que l'autrefois est d'une étoffe précieuse, rare et subtile comme la beauté.
4.
La beauté ignore parfois à quel point elle est subtile. Cette ignorance fait sa cruauté.
5.
La femme shaman dans La Belle endormie : "Je ne fais que ce qui me paraît juste et ce que je peux faire." C'est là le credo de la plupart des gens. Et pourtant.
6.
Dans la vie réelle, ce n'est pas d'un prince charmant dont les jeunes femmes tombent amoureuses, c'est d'un contrat d'assurances. Sinon, c'est qu'elles sont encore des jeunes filles.
7.
"... et puis les étudiants [en médecine] font des blagues ; ils ne sont pas très respectueux des corps. C'est normal, ça les aide à surmonter l'angoisse..." (une jeune femme dans le film "Faut que ça danse!" (Noémie Lvovsky, France, 2007) : d'ailleurs, il n'y a pas que les étudiants qui font des blagues avec les corps ; toute la société fait des blagues avec les corps. Le corps est un sujet de blague obscène, de farce macabre. Et ce sont les médecins qui ont la charge de réparer les dégats causés.
8.
"Il y a beaucoup de choses que l'on croit impossibles, et qui arrivent pourtant." (une autre jeune femme dans le film "Faut que ça danse!") : d'une certaine manière, chaque personne est une succession d'impossibles qui arrivent pourtant.
9.
Une partie de l'échec de l'Education nationale tient à ce qu'elle est basée non sur l'égalité des chances mais sur la puissance du "désir mimétique" (expression de René Girard) : ce qui fonctionnait assez bien pendant les Trente Glorieuses (quoique, dans bien des cas, l'école n'était alors guère plus qu'une formalité, qu'un passage obligé et relativement court, le marché avalant les cohortes), fonctionne avec de grandes difficultés en période de crise économique. La satisfaction du désir mimétique induisant une certaine réussite sociale, l'Education nationale se retrouve court-circuitée par la nécessité, pour des familles de plus en plus fragilisées, de trouver une porte de sortie. Les élèves étant obligés, par la stagnation des marchés, de rester de plus en plus longtemps "entre les murs", la satisfaction du désir mimétique s'en trouve retardée, et même perturbée jusqu'à ce que ce désir se change en frustration plus ou moins perceptible. L'Etat fait ce qu'il peut pour maintenir à flot ce désir mimétique qui jusqu'ici garantissait l'ambition nécessaire à la pérennité des postes, mais les marchés courent plus vite que lui et, peu à peu, la crise s'aggravant, l'Ecole est perçue de plus en plus souvent comme une nécessité et comme une fatalité. Si l'on ajoute à cela la tendance lourde, défendue par bien des technocrates et certains syndicats, de voir dans le diplôme une sorte de "minimum social", l'on voit que l'Ecole est encore loin de sortir de l'ornière où elle cahote et raconte des histoires.
10.
Je me parle beaucoup à moi-même, et ne suis pas toujours de mon avis.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 janvier 2013
UNE POURSUITE ONTOLOGIQUE
Notes sur Blade Runner, de Ridley Scott (1982)
1.
Blade Runner... le film de Ridley Scott... la beauté de l'inhumain qui malgré tout fascine comme s'il était humain... Ce qui tisse nos rapport aux autres, c'est la part d'inhumanité (ou d'humaine saloperie) qui traîne en eux, et dont il faut se garder... je pense quelquefois que ce sont de très vieux crabes qui vivent dans tous ces crânes que je croise... que veulent ces crabes-là ? Vous pincer évidemment.
2.
La beauté de l'inhumain qui fascine comme s'il était humain... c'est que la beauté relève de l'humain... une manière de s'approprier le réel... nous dessinons des êtres splendides... des fauves magnifiques... les uniformes des armées les plus féroces furent parfois très beaux... Ce qui fascine dans Blade Runner, c'est que les non-humains, les "répliquants", sont en fin de compte plus humains que certains humains, ils sont ultra-humains... plus forts, plus efficaces, plus perspicaces, plus beaux, plus fragiles aussi... c'est cette fragilité qui les rend d'une étrange préciosité.
3.
Sans doute, dans le futur, nous tomberons amoureux et nous vivrons avec des êtres merveilleux et créés de toutes pièces. Peut-être même ignorerons-nous que ce sont de pures consciences artificielles ; peut-être même ces êtres l'ignoreront eux aussi. Et nous nous dirons que, quand même, ils étaient, somme toute, assez médiocres, nos ancêtres.
4.
Si ça se trouve, nous n'avons jamais su que nous n'étions pas des humains. Ainsi je songe que l'humain est une invention de l'humain.
5.
Importance de la musique et des lumières dans Blade Runner. Dans certaines séquences, - celle de la mort de la fille au serpent par exemple -, la musique de Vangelis me fait penser à celle de Pink Floyd (notamment l'album Wish You Were Here). Les lumières sont urbaines, crépusculaires, traversées de pluies et de faisceaux lumineux. La pop sophistiquée et l'obscure clarté des lumières flanquent à cette poursuite ontologique une atmosphère de fin de l'être, c'est-à-dire d'avénement de l'être.
6.
Blade Runner est l'un des premiers films de la mode gothique telle qu'on l'entend actuellement : esthétisme du beau bizarre, rock progressif, lumières sombres, climat orageux, tendu, pluvieux, violence, ambiguité des postures, technologie dépravée, quelques références au folklore sado-maso (le cuir, la souplesse des corps, la beauté vénéneuse), omniprésence de la mort et de la souffrance psychique, interrogation sur le statut de l'humain.
7.
Il est à noter que, comme les humains, les répliquants se débarrassent de leur Créateur, avec cette différence que le créateur des répliquants n'est qu'existence, cependant que le Dieu des humains n'est qu'être.
8.
Le dernier répliquant, Seigneur et Nouvelle créature, avant de mourir, hurle, loup que traque l'humain, loup pourchassé par l'humaine meute.
9.
Le film semble postuler qu'une conscience artificielle s'humanise au contact de l'humain, est capable d'empathie et sait reconnaître la beauté. Autrement dit, l'humain contaminerait l'inhumain. Mwouais...
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 2 janvier 2013
FANTASMAGORIE
Ce n’est pas tant que le cinéma vise à supplanter le réel par « la création d’un substitut total du monde sensoriel » maus c'est qu'il tend à imposer au monde du réel une manière de le regarder spécifique, basée sur « le droit du plus fort », la magie des audaces, et la relativité de l’importance de la vie humaine. C’est surtout pour le cinéma américain de consommation courante que cela vaut. Il y a aussi un autre cinéma, qui vise à la démagogie des sentiments, au politiquement correct, au pieux mensonge. Cf Jim Morrison :
« Like the Phantasmagoria, its goal is the creation of a total substitute sensory world.” (Jim Morrison, Seigneurs et nouvelles creatures, 10/18, p.116).
« Comme la fantasmagorie, son but est la création d’un substitut total du monde sensoriel. » (traduction : Yves Buin et Richelle Dassin).
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 10 janvier 2009
DEMON
Démon : créature contenant et exerçant le mal. Les démons sont les métonymies du mal et servent à considérer que le mal fait consciemment existe en soi et ne dépend pas du seul vouloir humain. D'ailleurs, les démons ne s'intéressent aux humains qu'en tant qu'outils pour lutter contre le Bien. Ainsi, dans le film L'Exorciste de William Friedkin (1973), la préadolescente n'est possédée par le démon (le pas jojo Pazuzu) que parce qu'elle un moyen de provoquer en duel (l'exorcisme) le père Merrin. Le corps humain n'est jamais qu'un outil dont le démon use, et il n'est donc de salut que dans l'esprit de bonne volonté (le Père Merrin) ou la rédemption (le Père Karras).
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 janvier 2009