DU MONSIEUR
"Les foulées, naturellement toujours d’une fraîcheur exquise et si claires que tout le monde les voit, ne dénotent aucune inquiétude. Elles sont franches et sans retour. Peut-être que le Monsieur joue au plus fin ? Tout le monde y joue : Dieu lui-même. Mais le Monsieur y joue avec un sacré estomac. (…) Est-ce que nous ne serions pas les dindons de la farce, nous autres, dans cette histoire, avec nos cors et nos fanfreluches ?" (Jean Giono, Un roi sans divertissement, folio, p.141-142)
« Elles sont franches et sans retour » : Qui ne dissimule pas son passage ne pourrait revenir sans risquer de disparaître. C’est en cela que nous sommes « sans retour ».
« Peut-être que le Monsieur joue au plus fin ? Tout le monde y joue : Dieu lui-même. Mais le Monsieur y joue avec un sacré estomac. » : « le Monsieur », le titre souligne son indétermination, à ce diable rôdeur, à cet effaceur de vivants, à ce « joueur au plus fin » qui semble tout voir, comme « Dieu lui-même », cette surprise de l’événement extraordinaire dans la vie de vivants ordinaires. Ici, le Monsieur est un loup ; ailleurs, dans le roman, il est question d’un tueur en série.
« Est-ce que nous ne serions pas les dindons de la farce, nous autres, dans cette histoire, avec nos cors et nos fanfreluches ? » : La truculence de la langue indique la farce, en effet. C’est parce que la langue utilise le registre de la moquerie que l’histoire devient un objet de moquerie. Les humains souffrent. L’un des plus sûrs moyens de prendre de la distance avec cette souffrance, c’est justement de la considérer avec humour. Ainsi, on peut l’objectiver et la combattre. C’est peut-être parce qu’il manque d’humour que Langlois finit par se suicider : « Et il y eut, au fond du jardin, l’énorme éclaboussure d’or qui éclaira la nuit pendant une seconde. C’était la tête de Langlois qui prenait, enfin, les dimensions de l’univers. » (Un roi sans divertissement, p.244)
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Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 novembre 2008