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11 novembre 2013 1 11 /11 /novembre /2013 02:04

CHORUS

 

Chorus : "En jazz, improvisation sur la durée du thème." (Le Robert, 1997).

 

1.
Le coq dresse sa crête de vieille lézarde tandis que la poule a l'air de vouloir pondre par votre bouche.

 

2.
Le mur rapproche les lèvres de la passante qui, de son index vertical, vous recommande le silence.

 

3.
L'orage ouvre sa mâchoire d'éclairs.

 

4.
L'assassin siffle en secret ses menaçantes serinades.

 

5.
La voyageuse, légère, frisotte.

 

6.
Les poules du couvent couvent, et soupirent.

 

7.
La flûte, parfois, rappelle qu'elle est la fille fêlée du vent.

 

8.
La batterie scande ses soleils, des soleils que ne démentent pas les sourcils du tonnerre.

 

9.
La tête s'entête à vouloir toute liberté de s'entêter.

 

10.
Le sphinx, sec qu'il grince et vous claque une énigme.
La sphinge grince moins que le sphinx; elle a sans doute plus que lui besoin de se venger.

 

11.
Ecrire, exercer sa lente griffe sur la peau du papier.

 

12.
Le vent, une course de relais, de temps sec à temps d'chien.

 

13.
La note bleue est nocturne par définition, et secrète comme la beauté qu'un seul voit.

 

14.
La trompette égrène ses ombres de fête perdue, mais, parfois, la trompette crie sa joie, et vous rit au nez.

 

15.
Le train lance ses reins d'acier, longe la paix des vaches.

 

16.
La mélancolie met au lit la jeune fille et ses soupirs.

 

17.
Le temps, évidemment, referme ses crocs sur vos osses.

 

18.
La pluie plisse les flaques, brouille les visages, remplit les silences.

 

19.
La nuit dit à peine oui; elle est plus pudique qu'on le dit.

 

20.
Le jazz jette sa note étrange dans l'été étale comme un corps.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 novembre 2013.

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6 novembre 2013 3 06 /11 /novembre /2013 09:08

ARMOIRE

 

Comme dans ce roman d'Agatha Christie - roman dont il venait d'achever la lecture, et dont la couverture présentait, sous le nom de l'auteur en capitales d'imprimerie, et sous le titre ("à l'hôtel bertram"), dont l'absence de majuscules témoignait d'une mode qui eut cours dans les années 70, et même, lui semblait-il, jusqu'au début des années 80, mode qui tendait ainsi à ne pas singulariser les noms propres, et à faire des titres et des appellations de simples énoncés, des séquences linguistiques sans autre intérêt que d'être purement fonctionnelles, éloignées de toute humaine vanité, et rapprochées ainsi d'une sorte d'efficacité égalitaire,  au premier plan, le dessin, qui ne semblait pas manquer de précision, et témoignait d'une volonté manifeste de faire réaliste léché, d'une longue main aux ongles vernis, verticale, tenant ce qu'il appellerait une balle - ou fallait-il dire cartouche ? - exactement comme on tient une cigarette, ou un fume-cigarettes - et un fume-cigarettes n'eût pas été incongru, puisqu'il s'agissait d'une  main de femme - placée par le concepteur devant un décor brumeux, presque vu à travers une sorte de rideau fin et transparent, une sorte de nimbe, ou de très fine trame, gris-mauve, d'une façade d'hôtel devant laquelle se tenait un portier - ne dit-on pas chasseur ? -  massif, mauve, statufié semblait-il, sentinelle postée devant une entrée de type hôtel particulier, d'où parvenait une lumière jaune, non pas de l'hôtel lui-même, mais de l'entrée de l'hôtel, cet espace qui, pour les clients, marquait sans doute la frontière entre  l'indifférence de la voie publique et  le confort de l'établissement - comme dans la traduction française de ce roman d'Agatha Christie - traduction dont il se souvenait qu'elle avait été faite par Claire Durivaux, ce qui lui rappelait, à chaque fois qu'il lisait ce prénom, une de ses amies de lycée qui s'appelait Carole et qui méprisait les romans policiers, et surtout les romans à énigmes de la collection Club des Masques, mépris dont il considérait, dans sa fierté mal placée d'adolescent boutonneux, et en dépit des dénégations de Carole qui préférait les livres sérieux, ceux de Proust par exemple, dont les longues phrases l'agaçaient, lui, qui préférait, et de loin, l'efficacité des auteurs de romans noirs américains tels que Raymond Chandler ou James Hadley Chase, qu'il était, lui aussi, l'objet - qu'il  puisse être troublé par une armoire, voilà qui était singulier, non pas tant qu'au cours de sa vie, il n'avait pas déjà été troublé, et bien sûr, à l'âge des premiers émois, par tel ou tel visage de telle ou telle jeune fille - celui de songeuse au visage rond de Carole, mais elle ne fut pas la seule - que la nécessité de passer son baccalauréat, nécessité dont il lui semblait maintenant qu'elle constituait les meilleures années de sa vie, lui avait donné l'occasion de fréquenter aussi assidûment qu'il suivait les cours de ses professeurs, cours qui presque tous l'ennuyaient comme s'il avait été condamné à composer une seule et même phrase pour expliquer quel était l'intérêt historique tout autant que littéraire de La Guerre des Gaules -  mais, à aucun moment, il n'avait été troublé par aucun meuble, quelle que fût sa forme, même lorsque son oncle, sculpteur moderne dont le nom aujourd'hui ne dit plus grand chose, mais qui eut, en son temps, son heure de gloire, lui montrait ses dernières créations - comme la table tamanoir, par exemple, ou le le lit lys, non pas un lit d'où l'on pourrait glisser comme d'une surface trop lisse, mais un lit en forme de fleur royale, ou encore la lampe lapidaire, créations qui faisaient de lui autant un sculpteur moderne de son époque (le surréalisme jetait alors ses derniers feux de girafe enflammée), qu'un hérétique du design, un zigoto, que les créatifs sérieux regardaient avec condescendance, quand ce n'était pas un mépris affiché -, aussi il s'étonnait de son trouble à la vue de cette armoire, qu'il ouvrit, qu'il ne put faire autrement que d'ouvrir, et qui révéla son contenu, une cavalerie de chevaux hennissants, en sang et poussiéreux, aux yeux fous, aux bouches hurlantes, montée par des hussards hallucinés, aux uniformes poussiéreux et sanglants ; ils le traversèrent de part en part, passèrent par la fenêtre, ne revinrent jamais. 

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 6 novembre 2013

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11 août 2013 7 11 /08 /août /2013 09:21

DANS LES LIGNES D'UNE MAIN LIBRE I
En lisant Les Mains libres, de Paul Eluard et Man Ray, Poésie/Gallimard, 2013.
Légendes.

 

1.
La femme rompant l'oeil s'est couchée sur le pont et trempe le fluide pilier de sa chevelure dans la rivière.

 

2.
Quelque part, l'aiguille à tricoter le réel, plantée dans la pelote de terre.

 

3.
Le loup blanc ferme ses yeux. Le voilà - à s'y méprendre - toile blanche.

 

4.
En écartant le réel, on réveille un oeil originaire et très étonné.

 

5.
Lorsque le fantôme lui-même abandonne le château, alors la songeuse allongée s'endort éternellement.

 

6.
Nos mains tissent les flammes du désir, lissent les cheveux des banshees.

 

7.
Parfois les statues la reconnaissent à son bruissant passage. Effrayées, elles se lézardent, les statues, s'effritent, tombent dans l'oeil ouvert du songe.

 

8.
C'est sans doute une glace cassée qui inventa la bande dessinée.

 

9.
Le dessin tend sa fille comme un beau piège.

 

10.
Le temps est un acide qui finit par se dissoudre lui-même.

 

11.
Les signes lisent en nous à livre ouvert. La langue nous interprète. Elle nous joue la comédie.

 

12.
S'affranchissant des frontons, affrontant les taches noires, les statues se jettent le bras devant l'oeil.

 

13.
Mademoiselle, vous avez oublié vos mains au jardin ! Je vais vous les chercher avant que passent les limaces ou qu'un renard les emporte.

 

14.
C'est en contemplant son masque qu'elle perdit la tête.

 

15.
Du haut des murs des ombres sautent et s'évanouissent dans la rue où personne ne passe jamais.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 août 2013.

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11 août 2013 7 11 /08 /août /2013 09:04

DANS LES LIGNES D'UNE MAIN LIBRE II
En lisant Les Mains libres, de Paul Eluard et Man Ray, Poésie/Gallimard, 2013.
Légendes.

 

16.
Elle a beau pencher la tête et vous regarder, il y a longtemps que vous n'existez plus.

 

17.
Le réel vous défile.

 

18.
Dans l'épine, un lancier ; dans la tige, une songeuse.

 

19.
Les visages font écho au passé.

 

20.
Nos mains jouent avec le fil que nous perdons.

 

21.
Au printemps, les filles sortent de la glace brisée. Certaines conservent pourtant ce masque mécontent qui semble dire : "Eh bien quoi ? Qu'est-ce qu'il y a de si fascinant ?"

 

22.
Les sirènes sont-elles des femmes empoissonnées ou des poissons à cheveux longs ?

 

23.
Et de la paume de sa main jaillirent des poires.

 

24.
Les mannequins, comédiennes stoppées.

 

25.
L'invisible parfois, pour mieux distinguer les détails les plus croustillants, met ses lunettes.

 

26.
Au tournant, parfois, la main écarte la roche, pour que vous puissiez vous jeter dans le gouffre de l'ogre.

 

27.
Faites attention, Mademoiselle, vous oubliez votre manteau ; on pourrait voir vos ailes.

 

28.
Je me demande si quelqu'un est déjà tombé amoureux de son ombre, ou de l'ombre de quelqu'un d'autre. Ou peut-être n'aimons-nous que des ombres.

 

29.
Des mains invisibles jouent des pièces qui jouent des pièces sur les mains invisibles de dieux auxquels les scribes ne croient pas toujours.

 

30.
Parfois, certaines mains sont prises de visage.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 août 2013.

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11 août 2013 7 11 /08 /août /2013 08:29

DANS LES LIGNES D'UNE MAIN LIBRE III
En lisant Les Mains libres, de Paul Eluard et Man Ray, Poésie/Gallimard, 2013.
Légendes.

 

31.
La liberté est sans pudeur. Aussi lui fait-on la leçon. Elle n'en est que plus impudique.

 

32.
Prenez garde, Mademoiselle, vos mains en veulent à votre cou.

 

33.
Le temps est variable en genre et en nombre. C'est ce qui le rend insaisissable.

 

34.
La plante oiselière a plus d'un bec dans sa tige.

 

35.
Le train a déraillé du ciel, et Dieu en a été éjecté.

 

36.
Le monde a plus d'un tour dans sa roue.

 

37.
Du sable surgissent des créatures qu'aussitôt le vent dissipe, et dont la poussière vient s'agiter dans nos cerveaux.

 

38.
Le blason de certaines villes est pour nous le visage d'une jeune femme, un regard, une poitrine. Le reste, c'est de l'érudition locale.

 

39.
Le monde, une paire de jambes sortant d'un oeuf d'autruche.

 

40.
Lorsque nous rêvons, est-ce que nous espionnons pour le compte du réel ?

 

41.
Sans doute tissons-nous les toiles de nos plafonds, afin d'entamer une chasse aux araignées qui, généralement, nous prend l'essentiel de notre existence.

 

42.
Mademoiselle, comme vous êtes distraite ! Vous avez laissé votre tête dans les nuages et vous revenez les mains pleines de pluie.

 

43.
Nous ne sortons du château que pour tenter d'y revenir, et nous ne rentrons au château que pour nous en évader.

 

44.
Composer des aphorismes, c'est jouer aux fléchettes, c'est faire mine de s'amuser et puis, tchak ! - dans l'oeil.

 

45.
Je tiens à pratiquer l'art du bref, comme certaines filles pratiquent l'art éphémère de la pose.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 août 2013.

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11 août 2013 7 11 /08 /août /2013 08:06

DANS LES LIGNES D'UNE MAIN LIBRE IV
En lisant Les Mains libres, de Paul Eluard et Man Ray, Poésie/Gallimard, 2013.
Légendes.

 

46.
La voilà défilée et qui vous apparaît soudain sous un autre masque.

 

47.
La peur est nue et courbe le dos, et courbe la nuque, pendant que, cherchant quelque morceau de réel à emporter, le long du mur, passe l'ombre.

 

48.
La plante artificière aime qu'on la fête. C'est alors qu'elle fait sauter ses belles bleues, ses belles vertes. Le lendemain du bal, on la jette. Alors, on sème quelques graines de patience, et on s'occupe des soucis.

 

49.
De sa brosse elles sortirent, échevelées, contrariantes, prenant des poses ironiques comme des aphorismes.

 

50.
Ayant rêvé de château, ce fut le château qui resta.

 

51.
Le bal, un hommage rendu au cubisme analytique.

 

52.
L'être file d'une main ce qu'il défile d'une autre.

 

53.
Lorsque l'on sème des ciseaux, il faut en faire la récolte avant qu'ils puissent s'ouvrir. Sinon, ils vous coupent en deux.

 

54.
A la longueur des mines, on pouvait estimer la longueur des crayons qui circulaient sous la terre et sortaient parfois une  langue bifide et l'ondulation de leurs écailles.

 

55.
La production en série favorise l'empire des choses sur les esprits. Elles n'ont même plus besoin de durer ; elles n'ont qu'à se multiplier ; ainsi font-elles de l'humain un outil.

 

56.
On peut toujours faire de Sade un sphinx. C'est un argument publicitaire comme un autre.

 

57.
Ou un homme-muraille, derrière laquelle il s'en passe des choses.

 

58.
Suivent une femme au, une chevelure dans une autre, un cherchez le Picasso, la tête d'André Breton dans les taches, celle de Paul Eluard dans les lignes, et un autoportrait aux fenêtres en face des trous.

 

59.
Enfin, un oeil, un nez, une bouche, un menton et des cheveux, une mine plantée dans le paysage, verticale, comme si elle attendait patiemment le taille-crayon du ciel.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 août 2013

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6 janvier 2013 7 06 /01 /janvier /2013 09:49

LE SAINT FAIT LE DIABLE
Fantaisie autour de la nouvelle "L'Elixir de longue vie", d'Honoré de Balzac. Les citations sont entre guillemets et/ou en italiques.

 

"- Que se passe-t-il donc là-haut ? s'écria le sous-prieur en voyant la châsse remuer.
- Le saint fait le diable, répondit l'abbé."
(Balzac, L'Elixir de longue vie)

 

1.
C'était le genre de type, dès qu'il tombait amoureux, il devenait bête comme un jeune homme, et lorsqu'il parlait politique, il devenait aussi insupportable qu'un vieux con. Ce qui n'a rien à voir avec la nouvelle de Balzac, mais qui m'amuse.

 

2.
"L'une semblait dire : "Ma Beauté sait réchauffer le coeur glacé des vieillards."
"L'une" renvoie à l'être féminin et ici, un être féminin qui "semblait" : c'est que l'être semble être. Autrement dit, l'être de l'être est une vraisemblance. Ce qui ne signifie donc pas que l'être est dans le vrai, mais seulement dans l'apparence du vrai. A midi, j'ai mangé des haricots beurre.

 

3.
"L'Elixir de longue vie" se passe tout d'abord dans un palais où il y a un "début d'orgie" avec sept courtisanes de Ferrare, car la scène est à Ferrare, et tout le monde (en l'occurence, des amis de don Juan Belvidéro et un prince) demande - non, en fait pas tout le monde, seulement une "innocente jeune fille accoutumée à jouer avec toutes les choses sacrées" - quand est-ce donc qu'il mourra, le père à don Juan, et quand alors il héritera, don Juan Belvidéro. A ça, réponse épouvantable du beau gosse, comme quoi il n'y a qu'un père éternel dans le monde, et le malheur veut qu'il soit le sien. On réprouve et "Dieu se fit reconnaître, il apparut sous les traits d'un vieux domestique en cheveux blancs, à la démarche tremblante, aux sourcils contractés". C'est tout de même une malédiction, ça, que, dès qu'il y a du don Juan quelque part, il faut qu'il se pointe, Dieu, comme s'il n'avait pas autre chose à faire. Il vient, le Père, annoncer la mort imminente du Père, je veux dire, la mort du Père Belvidéro, Bartholoméo Belvidéro qui, richissime, avait coutume de dire : "Je préfère une dent à un rubis, et le pouvoir au savoir". C'est qu'il était nonagénaire, le daron, et donc, à cet âge-là, on regrette ses dents, c'est sûr.

 

4.
"Le froid sifflait à travers les fenêtres mal fermées ; et la neige, en fouettant sur les vitraux, produisait un bruit sourd." Voilà exactement le genre de phrase que j'apprécie. Pleine d'atmosphère elle est, d'ambiance de vieille maison assiégée par la neige, à n'en plus pouvoir bouger pendant des semaines, façon Château en Suède, ou 8 Femmes, qu'on s'attend aux apparitions d'un spectre familial, ou à un meurtre bien sophistiqué, alambiqué, bizarre curieux étrange façon Agatha Christie. Y a d'la fricative là-dedans, du f sifflant froid aux fenêtres mal fermées, de la fouettante neige, du souffle glacé, du soir qui finit pour tomber dans la nuit, où l'on s'endort, un Théâtre de Shakespeare à côté de l'oreiller.

 

5.
"Cette voix intelligente fit frémir Don Juan, il crut avoir été compris par le chien." Le chien, c'est un "vieux barbet aboya". Dom Juan Belvidéro vient de mentir à son père moribond et s'en est flatté mentalement ! Quel cynisme ! Mais il y a tout de même un témoin : le télépathe toutou.

 

6.
"- Dieu, c'est moi, reprit le vieillard en grommelant."
Que Dieu puisse grommeler m'épate. Qu'un vieillard, sur son lit de mort, puisse dire à son fils : "Dieu, c'est moi", voilà qui m'amuse. C'est que le bonhomme a "employé vingt ans à..." qu'il a planqué dans un tiroir à "ressort caché par le griffon ."

 

7.
"Le chien béant contemplait alternativement son maître mort et l'élixir ; de même que don Juan regardait tour à tour son père et la fiole." Le toutou n'est pas seulement télépathe, il est aussi "béant" et "contemplatif". Oh don Juan, prends garde, c'est le trou dans l'être qui te regarde, le trou dans l'être, autant dire le néant. Et s'il te regarde, c'est que son maître, Bartholoméo Belvidéro, est mort et que, toi, le fils, tu tiens l'élixir qui pourrait ressusciter cet homme. Que vas-tu faire, don Juan ?

 

8.
"- Avez-vous remarqué le chien noir ? demanda la Brambilla."
Les sept courtisanes, le Prince, et les amis de Don Juan sont venus à l'aube, alors que don Juan Belvidéro est depuis plusieurs heures dans la contemplation des mystères que ça prendrait des plombes à vous en donner les détails, qu'en plus, moi, franchement, je me demande à quoi il pouvait bien penser, avec ce cadavre, cette fiole dans la main qu'il "replaça dans le tiroir de la petite table gothique", et le temps qui passe ("Un coq de bois peint surgit au-dessus d'une horloge et chanta trois fois.") et ce chien noir qui le contemplait, "avez-vous remarqué ce chien noir ?"

 

9.
Toujours est-il que don Juan se retrouve seul ; du coup, il "trembla en débouchant la magique fiole de cristal." Pour quoi faire, pour "imbiber un oeil" ce qui fit que l'oeil s'ouvrit.
Et non seulement l'oeil s'ouvrit, mais l'oeil revit, et comme la vue, c'est la vie, l'oeil revécut. C'est donc que la liqueur dans la fiole en cristal de roche (quelle mystérieuse anguille !) était assez efficace pour faire revivre un oeil (don Juan aurait pu penser que qui imbibe un oeil, imbibe un boeil, mais il ne le pensa pas, ou en tout cas, Balzac ne le dit pas). Comme y en avait pas beaucoup de liqueur magique ("- Il y en a bien peu, répliqua le jeune homme"), il décida d'écraser l'oeil. Ce que j'écris, Balzac l'écrivit, ce qui fit que "le pauvre barbet expirait en hurlant". Le rapport entre l'oeil du maître et la mort du chien me semble des plus passionnants et mériterait une séance dans un séminaire de Lettres Modernes d'au moins 92 minutes et 40 secondes, mais vous comprendrez que je ne puis ici et me contenterai donc de signaler que nous sommes ici en présence d'un mécanisme magique intéressant que je résume ainsi : qui écrase un oeil tue un chien.

 

10.
Après, "monument de marbre blanc" pour le mort mort enfin, inventaire des "immenses richesses amassées par le vieil orientaliste" (tien, tiens, l'Orient, ses fakirs, ses mages, son thé à la menthe, ses éléphants, Tintin au Tibet, Les Cigares du Pharaon, Le Lotus Bleu et tout ci-tout ça), puis Balzac fait le philosophe, je cite :
"Il [Don Juan] analysa les hommes et les choses pour en finir d'une seule fois avec le Passé, représenté par l'Histoire ; avec le Présent, configuré par la Loi ; avec l'Avenir, dévoilé par les Religions. Il prit l'âme et la matière, les jeta dans un creuset, n'y trouva rien, et dès lors il devint DON JUAN !"
Ce qui lui prit cinq ou six lignes, et nous fait considérer que l'humain est donc un mélange d'histoires, de lois et de croyances et que n'est pas alchimiste qui veut. Et pourtant, s'il n'y a pas transmutation de la matière, il y a accomplissement du destin de don Juan, tel qu'en lui-même enfin, "n'aimant que la femme dans les femmes", ce qui dans nos oreilles sonne drôlement essentialiste car nous savons qu'il n'y a pas la femme dans toutes les femmes, lesquelles sont toute aussi dissemblables, et différentes, et viriles, et féminines, et bien coiffées, et mal coiffées, et gentilles, et méchantes, et douces, et cruelles, et sympathiques, et dédaigneuses, et nunuches, et totoches, et prout-prout, et nounouilles, et dures à cuire, battantes et combattantes autant que des hommes, lesquels pissent debout cependant que les femmes pissent assises. C'est là qu'il perdit toute foi et respect pour la Religion : "Quelle froide plaisanterie ! se dit-il. Elle ne vient pas d'un dieu." Bref, l'univers se résuma bientôt à son bon plaisir ("pour don Juan, l'univers était lui !" écrit Balzac). C'est que : "Plus il vit, plus il douta." Autrement dit, don Juan révoque toute évidence. Notons que c'est par l'oeil que lui vint le doute, et qu'on pourrait voir dans cet oeil doutant une résurgence de l'oeil ouvert dans le visage de son père mort.

 

11.
Page suivante, don Juan et le pape s'entendent comme larrons en foire. Il y a aussi ce trait vif à propos du "divin Rabelais" qui eut l'heur, écrit l'auteur, "de presser l'univers dans une ironie." Presser l'univers, comme on presse un citron pour en extraire un jus amer, acide avec lequel on peut composer une lettre invisible.

 

12.
Puis il rencontra dona Elvire, qu'il épousa, engrossa. La dona enfanta et don Juan commença à vieillir, vieillir, vieillir jusqu'à décrépir et à s'endormir le soir sur un peut-être. Serait-ce qu'il se mettrait, sur ses vieux jours, à bigoter, le terrible ? Toujours est-il qu'un soir, "l'apoplexie lui pressa le cou de ses mains crochues et glaciales." Il fut alité, à son chevet dona Elvire, et leur fils Philippe "aussi consciencieusement religieux que son père était impie". Bref, il était en train de crever. Ce qui fit qu'il demanda à son fils d'avoir la bonté, une fois que "j'aurai fermé les yeux" de prendre son corps, de l'étendre sur une table, de le dépouiller de ses vêtements, et de l'humecter de cette "eau sainte jaillie
autrefois des rochers" qui est dans cette fiole que le pape Jules II lui donna autrefois.

 

13.
Ce qui fut écrit fut fait. Il y eut un cri. On accourut. On vit la tête de don Juan ressuscitée, et belle comme tout, jeune, fraîche, "yeux brillants", "bouche vermeille", - une ogresse en aurait fait son quatre heures -. On cria au miracle. Mais la fiole s'était brisée, car Philippe l'avait fait tomber (ah le maladroit!). C'est qu'il fut surpris. C'est lui qui eut ce cri à la vue de la tête revenue à la vie, tandis que cette tête, elle devait faire la gueule, cette tête, rapport à ce que si elle était revenue à elle-même d'il y a très longtemps, le reste du corps, lui, restait aussi raide et décharné qu'un bonhomme en fil de fer ou poisson séché pas bien gros (attention au mot "poisson", il en dit long, je vous le dis).
Bref, on décida d'enterrer saintement le saint, lequel au moment d'être cathédralisé, quasi canonisé, dans l'apothéose et le Te Deum, se révolta, passa sa tête par dessus la châsse, blasphéma puis se laissa tomber, tête sur la tête chauve de l'officiant qu'elle dévora. Comme quoi, des fois, le mort ne se contente pas de saisir le vif, il le bouffe aussi.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 6 janvier 2013

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25 juillet 2012 3 25 /07 /juillet /2012 06:29

JOLIETTE

J'aime parfois à reprendre de ces textes anciens du domaine public car cela m'évite l'ennui d'inventer mes propres intrigues. Voyez comme je suis franc. Donc, un conte, ici réécrit sans vergogne, que l'on doit à Madame Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (1711-1780) intitulé Joliette et que j'intitule Joliette car pourquoi ne pas faire simple quand on peut, et que, par ailleurs, Belphégor était déjà pris, d'autant plus que je ne pense pas que Belphégor fût déjà dans le domaine public. Ceci dit, j'ai pas vérifié.

Un seigneur et sa dame, depuis plusieurs années marida qu'ils sont. Pétants dans la soie, blindés, banquables tout à fait et tout à fait bien vus, respectés, considérés, appréciés même. Zont pas de môme. Ce qui les chagrine. C'est curieux, mais c'est comme ça. Bon, leur voilà une fille. Vu qu'il y avait du blé à récolter, s'amenèrent les fées, de tout âge et de partout. Le truc des fées, c'est le don. Hop ! Abracadabra ! je te donne, petite, le don de la sauce tomate ; toujours ta sauce réussiras, que ton mari s'en régalera, et que jamais ne te quittera. Hop ! Abricotrèbo ! je te donne, petite, le don de la beauté ; toujours tu embelliras, que les hommes fascineras, que tu en feras ce que tu voudras. Les parents sont contents, et à leur tour font un don aux fées. Donc, beauté, don de la danse, santé insolente, esprit à revendre ; voilà la gamine habillée pour bien des hivers. Quoi de mieux que l'intelligence et la beauté à une fille prénommée Joliette parce que c'est joli ; plus joli, par exemple, que Cunégonde, et plus approprié que Robert. Bon, achevée la cérémonie des dons, on passe au gueuleton. Entre pigeon et fromton, un serviteur vint prévenir le daron que la Reine des Fées demandait audience. Grand frétillement chez les fées qui filèrent saluer leur reine. Laquelle faisait la tronche. Elle les enguirlanda d'allure et tout de suite (enguirlander me semble ici plus noble que engueuler : une fée engueulée, ça va pas, c'est un peu trivial, tandis qu'enguirlandée, ça fait fête, c'est plus lumineux), les enguirlanda donc, comme quoi, la Joliette, la voilà dotée de tout un tas de dons, mais où sont ses vertus ? "Où sont bon coeur et esprit civique ? Où sont générosité, empathie, solidarité, ouverture aux autres, tolérance, bienveillance, patience, et si jamais elle ne votait pas socialiste, vous vous rendez compte ? Avec ça que vous l'avez faite belle et pleine d'esprit, sûr qu'elle va l'attraper vite, le melon, et qu'elle arrêtera pas de se vanter et de crâner, - pouah ! je vas la carper pour vingt ans ! Par l'Archiduchesse-à-la-chaussette sèche, poilagrattapleinlesbras, jamais tu ne te vanteras, car muette tu seras, pendant vingt ans pourquoi vingt ans parce que c'est comme ça na !"
Là-dessus, la fée s'en alla ; les autres aussi ; elles prirent le bus, et comme le chauffeur n'était guère aimable, elles le transformèrent en drag queen, ce qui fit que fort elles se marrèrent.
Désolés les parents. Mais pendant qu'ils se désolaient et, pour se consoler, regardaient Benny Hill à la télé, elle poussait, la Joliette. En grandissant, elle apprit vite car elle n'était point sotte. Et vu qu'elle ne pouvait jacter, elle apprit donc le langage des muets et disait tout un tas de choses avec ses mains. Avec cela qu'elle était curieuse comme un chat, elle se promenait partout et rapportait tout à sa mère. Bernardo, c'était, Joliette. Mais si !... Bernardo ! Le muet à Zorro ! Ah là là tout ce qu'elle racontait pas avec ses petites menottes !
Son père surtout s'en émut, et demanda à sa femme de la corriger sur ce point car il n'aimait guère qu'on espionnât les gens. C'était un homme discret et sage.
Mais Madame était fort contente d'avoir ainsi chaque jour Potin Magazine en chair et en os, c'est-à-dire plus vivant, évidemment, que tous les canards à racontars que l'on trouvait dans le coin. Elle argumenta qu'il ferait beau voir que sa fille ne puisse s'exprimer librement dans sa propre maison, et qu'on n'allait pas lui couper les mains pour lui apprendre à tenir sa langue, tout de même !
Donc, le père décida de s'entretenir avec sa fille, qu'il appela "sa chère enfant", et à qui il promit un avenir bien solitaire, pestiféré et vieille fille si elle continuait à les agiter, ses mains, tout le temps comme ça, et à dire n'importe quoi n'importe quand sur n'importe qui. Accessoirement, il eut des mots peu aimables pour la Reine des Fées, l'appelant la Reine Concombre, ce qui n'est pas gentil. Enfin, il eut des mots très touchants sur les pauvres sourds-muets et aveugles que l'on voit tendre la main sur les trottoirs, et fit valoir à sa fille qu'elle pouvait s'estimer heureuse de sa beauté et de son esprit, et que, si elle se comportait mieux, elle réussirait dans la vie, aurait plein d'amis, un homme dans son lit, et une résidence secondaire dans le Midi.
Touchée, Joliette promit de s'amender. Elle n'en fit rien. Certes, elle cessa d'agiter les paluches en tous sens, mais ce fut pour mettre la main à la plume. Elle se mit à raconter par écrit. Très vite, elle eut du style et régala sa mère de récits vifs et piquants des faits et gestes de tout un chacun. Elle se fit chroniqueuse et, bien entendu, trouvait de quoi nourrir le papier dans ce qu'elle allait voir et écouter partout où elle pouvait se trouver. Elle eut douze ans. Son père mourut. Elle écrivait. Et ce qu'elle ne comprenait pas, ou ce qu'elle avait manqué de la conversation, elle le supposait. Ce qui fit que les rapports de Joliette ne manquèrent pas de créer brouilles et embrouilles, puisque sa mère n'était pas seulement curieuse mais aussi incapable de garder un secret.
Enfin, ses vingt ans arrivèrent. La Reine des Fées se pointa et lui tint à peu près ce discours :
- "Joliette, je vas vous rendre la parole. D'après ce que j'ai su, vous avez causé bien des tracas dans toute la ville. Voici un miroir, voyez !"
On sait que les miroirs des fées sont en fait des fenêtres qui permettent de voir le présent, le passé, et quand le ciel est clair, le futur. Joliette y vit un pauvre type, déguenillé, flanqué de trois enfants et tous demandaient l'aumône. Joliette, après avoir bafouillé quelques instants, s'étonna et demanda quel mal elle avait bien pu causer à ce gars-là que d'ailleurs elle ne connaissait pas.
Il s'ensuivit une compliquée affaire d'argent qui aurait dû rester secrète, mais qui devint publique à cause que Mademoiselle Joliette avait été bien indiscrète. Et voilà comment un riche marchand perdit tout crédit, dégringolit et se retrouvit complétement démuni.
Joliette fut consternée.
Puis, dans le miroir, ce fut une si belle femme, si belle et si malheureuse : barreaux de fer, paille, cruche d'eau, quignon de pain, larmes.
Celle-là, Joliette la reconnut. Une histoire d'amour comprise tout de travers, et qui fut cause que le mari, se croyant cocu, tua un homme et emprisonna sa femme dans le donjon d'un château qu'il avait ailleurs.
Joliette fut consternée.
Il y eut encore un innocent que l'on prit pour un comploteur et qui, emprisonné pour des lustres, ne cessait de promettre à tous ceux qui venaient le visiter que, s'il sortait un jour, il irait lui tordre le cou, à cette fameuse Joliette.
Laquelle fut consternée.
Il y eut encore bien des spectacles pitoyables qui dans le miroir se succèdèrent.
Joliette fut consternée.
Là-dessus, la Reine des Fées jugea que l'on ne pouvait donner la parole à quelqu'un d'aussi nuisible et alla jusqu'à souhaiter que Joliette fût pour dix ans encore, non seulement muette, mais aussi aveugle, et sourde.
Joliette se récria. La Reine des Fées, considérant que ce qui est fait est fait, ne prit aucune autre mesure et décida de planter là Joliette et sa mauvaise langue.
Bientôt, n'osant plus sortir de chez elle, Joliette opta pour la fuite. Elle vendit tout et partit s'installer, avec sa sotte mère et sa mauvaise langue, dans un pays où nul ne la connaissait. Là, elle ne tarda pas à plaire, et plusieurs seigneurs du coin et des environs (les environs d'un coin étant une notion assez vague pour justifier un nombre relativement important de prétendants) et des environs donc la courtisèrent si bien qu'elle en choisit un particulièrement bien juteux, qu'elle épousa vite. Cette ville était fort grande, bien plus fort grande qu'était fort grande la ville d'où elle était originaire, et où le nom de Joliette figurait maintenant dans bon nombre de locutions populaires telles que : "être pipelette comme Joliette" ; "débiter joliettes et sornettes" ; "faire de sa langue joliette" ; "épouse Joliette et tu perdras la tête" et l'on désignait sous le sobriquet de Joliette une fille un peu trop bavarde. Brefs, fort grande était la ville, et l'on ne comprit point tout de suite que l'indiscrète était indiscrète.
Hélas, il arriva ceci qu'un jour son mari conta que tel seigneur n'était qu'un voleur, un vilain et un ladre et comment récemment ce seigneur s'était comporté en voleur, en vilain et en ladre. Quelques temps plus tard, Joliette se trouvait "dans une grande mascarade", ce qui ne signifie pas qu'elle était entrée en politique mais qu'elle était invitée à un bal masqué. La belle était belle et, bientôt, elle se jeta hors de la page où la plume de Madame Jeanne-Marie Leprince de Beaumont s'escrimait à inscrire fables et morales afin d'édifier la jeunesse de France pour qu'elle se souvint de ne point parler à tort et à travers :
- "Cela ne va-t-il pas bientôt suffire ? " cria la personnage, ajoutant qu'elle la voyait bien venir, avec son grand nez, que ce bal, là, c'était qu'attrape, piège, collant à mouches, qu'elle le sentait bien qu'elle y dirait bientôt bien des sottises à quelque masque ayant eu la malchance de l'inviter à danser, puis à boire quelque punch, ce qui fait qu'elle pourrait pas s'empêcher de jacter, ignorant que ce masque était ce même seigneur dont son mari avait tantôt parlé, et qu'il finirait par s'en courroucer fort de ce que cette femme-là racontait, et, très irrité, irait de ce pas transpercer son époux à Joliette, d'un coup d'épée, et que Joliette voyant ainsi son mari mort se transpercerait à son tour, et que sa pauvre mère en deviendrait tout à fait folle, et qu'elle ne voyait pas pourquoi elle serait ainsi victime de toute cette littérature, et que pourquoi qu'elle aurait été reconnue, et son mari aussi, puisque tous deux étaient masqués, elle en pirogue congolaise, et lui en mousqueton. Alors elle cassa la plume d'oie de Madame Leprince de Beaumont, lui crêpa le chignon, lui flanqua un marron, et s'en alla gagner des ronds à la télévision, où son esprit et sa beauté lui obtinrent bientôt une chronique chez Ardisson, et ensuite sa propre émission.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 25 juillet 2012

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8 avril 2012 7 08 /04 /avril /2012 05:41

PHRASES ARRACHEES AUX MEMOIRES DU DOCTEUR WATSON (4)

"Au nombre de ces histoires sans conclusion figure celle de M. James Philimore qui, rentrant chez lui pour prendre son parapluie, ne reparut plus jamais."
(Conan Doyle, Le Problème du Pont de Thor in Les Archives de Sherlock Holmes, traduit par Evelyn Colomb, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1989).

1.
Cette affaire de parapluie sollicita longtemps l'intelligence de Sherlock Holmes sans que le problème puisse être résolu de manière satisfaisante pour l'esprit, fût-il obtus comme celui d'un (là vous pouvez mettre la dénomination de la fonction sociale que vous détestez le plus, eu égard aux sentiments que vous nourrissez pour (au choix) vos collègues, votre hiérarchie, vos voisins, belle-famille et apparentés), pour ma part, je me contenterai de l'aimable fonction de petit chef dans une administration quelconque, je ne suis pas regardant (j'ai bien quelques noms en tête, mais mon célèbre cynisme, courageusement dénoncé par deux ou trois collègues et trois ou quatre donneurs de coups de tampon ne m'a pas encore permis d'amasser une fortune assez considérable pour supporter un procès).

2.
Revenons à notre parapluie. Dès que l'affaire éclata, M. James Philimore étant honorablement connu dans son quartier, l'esprit bouillonnant de Holmes se mit à bouillonner - ce qui est pratique pour faire chauffer l'eau du thé (vous branchez votre Sherlock quelques secondes et le tour est joué). De nos conversations dans la fumée de ses pipes, il ressortit que :
a) - Le parapluie étant le dernier être ayant été en présence de M. Philimore, il est regrettable que la police ait dédaigné de l'interroger, alors qu'il semble que l'enquête de voisinage n'ait rien donné d'autre qu'une confirmation de la vie tranquille et rangée menée par M. James Philimore, professeur de passe-temps dans un lycée des métiers qui n'existent plus et auteur célibataire de traités de logique à ses heures.
b) - La consultation des bulletins météo de ces quinze dernières années nous apprend que ce jour-là, justement, il faisait très chaud, et qu'en conséquence, s'il est que M. Philimore fût rentré chez lui pour prendre son parapluie, c'est en dépit de toute logique. Gageons que, lorsque ce distingué logicien s'est rendu compte de sa bévue, il est ressorti aussi sec qu'il était rentré, et est parti se refaire les neurones quelque part dans le grand ailleurs, d'où il nous reviendra, très certainement, plein d'usage et de raison.
c) - Il est possible que le parapluie, pris d'une fringale subite, ait avalé M. James Philimore. Là encore, nous ne pouvons que regretter la coupable négligence de la police qui n'a pas cru bon de procéder à un examen médical approfondi du témoin. Il est vrai que, depuis la mise sur le marché de nourritures industrielles pour chiens, chats et parapluies, les cas d'anthropophagie parapluviale se font aussi rares que la vérité dans une bouche de ministre. Néanmoins, on ne sait jamais. Je dois cependant ajouter que Holmes fit remarquer que l'on aurait alors retrouvé les vêtements de M. Philimore, puisque, comme chacun sait, le parapluie ne mange jamais d'étoffe, ce qui, d'ailleurs, quand on y songe, va de soi.
d) - Un crime passionnel est aussi à exclure. D'abord, parce qu'il ne s'agissait pas d'un parapluie de femme, et que donc, selon toute apparence, M. Philimore n'était pas un inverti, un de ces êtres flous qui se promènent nonchalamment sous le soleil, arborant parapluie pour dame, rouflaquettes et moustache, et chantonnant Tiens voilà du boudin, A la queue leu leu ou même A la pêche aux moules.
Ensuite, il apparaît que la fidélité du parapluie fût à toute épreuve et que jamais on ne le vit brandi par une autre main, ou plié sous un autre bras que celui de M. James Philimore.
e) - Holmes, suivant ses petites cellules grises et l'itinéraire prévu, mena une enquête discrète à Cherbourg, où, sous la forme d'un élégant parapluie de chirurgien-dentiste, il eut très vite l'intuition que le parapluie de M. James Philimore travaillait en fait pour l'administration française, laquelle, comme on sait, est très habile dans l'art de s'abriter.
f) - Hélas, il se heurta alors à un carton à chapeau qu'on voulut lui faire porter dans une sordide affaire de valise en carton. Il décida donc de rentrer bredouille certes, mais sain et sauf au pays de la raison et des Monthy Python, au pays d'Alice et de la City, au pays des scarabées chantants et des pierres qui roulent, au pays de la Rolls Royce et du tea time, au pays des chapeaux melons et des bottes de cuir, au pays d'Oxford et de Cambridge, au pays du brouillard et des fantômes dans le couloir, au pays si criminellement bien élevé de l'Inspecteur Barnaby, au pays enfin où les directeurs du FMI ne se promènent pas à poil dans tous les hôtels et où le président ne fait pas de faute de français, puisque c'est une reine, et qu'elle s'exprime en anglais, comme tous les gens véritablement civilisés.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 8 avril 2012

 
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8 avril 2012 7 08 /04 /avril /2012 03:08

PHRASES ARRACHEES AUX MEMOIRES DU DOCTEUR WATSON (3)

"Au nombre de ces histoires sans conclusion figure celle de M. James Philimore qui, rentrant chez lui pour prendre son parapluie, ne reparut plus jamais."
(Conan Doyle, Le Problème du Pont de Thor in Les Archives de Sherlock Holmes, traduit par Evelyn Colomb, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1989).

1. Lowenstein.
Voilà le genre de nom qui sentait son grimoire, son laboratoire secret, ses recherches occultes, ses éprouvettes frémissantes, son trafic de cadavres, son chat noir, son serviteur bossu qui vous doit tout parce qu'on l'a sauvé d'une mort atroce (ses tortionnaires étaient philatélistes), voilà le genre de patronyme qui sentait ses nuits d'orage révélateur et sa musique expressionniste à faire fuir les pianos. Et dire qu'il se faisait appeler Pierre Duloup, l'impudent, et qu'on lui aurait donné facilement une tranche de jambon entre deux tartines, qu'on y aurait même ajouté, pour peu qu'il l'eût demandé poliment, de la moutarde et un cornichon ! Ah ! C'était à vous dégoûter de la charcuterie !

2. Barbu.
Comme il était barbu, il revint nous voir. C'est qu'il s'angoissait, l'ami ! Du reste, on le vit bien, qu'à chaque découverte d'un nouvel indice, il fondait littéralement. La huitième fois, après la découverte de la tête de Lady Whistitaïe, le soupçon qu'on ne retrouverait pas la disparue vivante, - et en tout cas pas dans son intégralité -, commença à s'insinuer dangereusement dans son esprit. La concierge, Mrs Pickwick, eut alors ce mot : "Son grand corps commençait à flotter dans ses vêtements." C'est d'ailleurs comme ça que j'héritai d'un manteau de pluie tout à fait élégant qui, ayant perdu son propriétaire en cours de route, arriva, par un soir de pluie à jouer du saxophone, absolument désemparé et même un peu froissé, au 221, Baker Street.

3. Féroce à crocs.
C'était dans la purée d'une brumeuse nuit. Un petit nuage sautillait devant nous. C'était un brouillard rampant comme rampe le brouillard parfois, dans les landes désolées et les romans d'aventures qu'on lit en se curant le nez, un brouillard rampant comme une menace d'interrogation écrite, un brouillard rampant comme un j'aurais dû, un brouillard rampant comme s'il cherchait une âme à avaler, à slurper (comme on dit dans les bandes dessinées), à siroter de sa langue épaisse et visqueuse de brouillard rampant, de vraie chose à jouer de la basse électrique dans un groupe de rock psychédélique ; nos cinq yeux - je rappelle que M. Floyd, qui nous faisait l'honneur de nous accompagner, était borgne - nos cinq yeux donc fixaient le coeur mouvant de cette vapeur étrange et nous nous demandions quel lapin géant allait sortir de ce chapeau de fumée, lorsque le féroce à crocs surgit, fonça, nous bouffa, ce qui fit que je dus momentanément suspendre mes activités.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 8 avril 2012

 
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