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22 mars 2012 4 22 /03 /mars /2012 13:45

EN LISANT CHRISTINE LAVANT (31-40)

Citations : Christine Lavant
Traduction : Christine et Nils Gascuel
Source : Les étoiles de la faim (Orphée / La Différence, 1993)

A CHACUN SA PART DU REEL

31.
"Du hättest dies können !" (p.106)
("Cela était à ta portée !")
Ce dont on nous dit "cela était à ta portée !" était généralement tout à fait en dehors de notre patience.

32.
Les naïfs pensent qu'à tout problème correspond une solution.
Les cyniques feignent de le penser.

33.
L'univers est irrésoluble. C'est pour ça qu'il existe.

34.
"... wo winselnd das Tier wächst." (p.106)
("... où la bête grandit en gémissant")
Il m'arrive de penser que c'est là où nous allons, nous, la civilisation, vers les gémissements de la bête grandissante, comme si l'humanité faisait un long détour pour en revenir à la violence originelle.

35.
Le langage, une géométrie du hasard.

36.
"man müsste sich auf das besinnen,
was früher war und später kommt." (p.66)
("on ferait bien de réfléchir / à ce qui fut et ce qui va venir")
Le temps de la phrase est double. Il y a le temps que l'on met pour énoncer. Il y aussi le temps spécifique, celui des formes verbales. En cela, la phrase est exemplaire de la complexité de notre rapport au temps qui nous apparaît à la fois comme linéaire (tendu vers l'avenir, se situant entre ce qui fut et ce qui n'est pas encore) et imaginaire (les formes verbales renvoient à d'autres temps, à une temporalité flottante que seule la minutie des informations arrive à préciser).

37.
Il m'arrive, en regardant quelqu'un, de penser à son cadavre, là-bas, dans le plus tard, l'indéterminé, l'inéluctable. Il m'arrive de penser que, par leur bouche, déjà, parle la dépouille.

38.
Le refus d'être tel que les autres aimeraient vous voir entraîne souvent leur mépris. Insistez et vous serez tantôt pitoyable, tantôt insupportable. On vous traitera alors comme un dieu mort.

39.
Les yeux, c'est un genre de jeu de dés : ils roulent, se jettent, se fixent. Alors, les jeux sont faits. A chacun sa part de réel.

40.
"Schon steigt aus meinem zweiten
Aug-Brunnen auch ein Hungerstern " (p.56)
("Déjà émerge de mon autre / oeil-puits une étoile de faim")
Les films nous présentent des formes possédées par des masques. Nos yeux les animent. C'est bien le regard qui constitue le réel. Ainsi, chaque film est un univers parallèle que le regard réalise. Du reste, on ne peut guère regarder la réalité sans se faire un film. La vérité file au puits de l'oeil et se noie dedans.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 23 mars 2012

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22 mars 2012 4 22 /03 /mars /2012 10:39

EN LISANT CHRISTINE LAVANT (26-30)

OEUVRER A LA ROSE
Citations : Christine Lavant
Traduction : Christine et Nils Gascuel
Source : Orphée / La Différence, 1993

1.
"Ich wirke blindlings an der Rose weiter" (p.46)
("Je continue aveuglément d'oeuvrer à la rose")
Continuer aveuglément d'oeuvrer à la rose : voilà une jolie formule pour décrire le travail poétique. C'est l'adverbe surtout qui ici intéresse. Nous ne savons pas réellement ce que nous écrivons et quel sera le sort de nos charmes. Si, selon la formule rimbaldienne, le poète est un Voyant, c'est assurément un voyant aveugle.

2.
"Alles geht im Schwermutkreise" (p.34)
("Tout va dans le cercle de Tristesse")
La Tristesse, un cercle dont on s'échappe difficilement. A l'image de cet adorateur de Satan qui, dans une bande dessinée d'Hugo Pratt (La Maison dorée de Samarkand, Casterman, 1986, p.67), n'ose plus franchir les limites du cercle qu'il lui a même tracé, le triste, le mélancolique circule dans le cercle de ses jours avec cette impression pénible que rien ni personne, jamais, ne pourra l'aider à s'en sortir.

3.
"Fremdblütig im Herzen der Nacht" (p.84)
("Etrangère dans le coeur de la nuit")
Etrangers nous autres, l'un à l'autre, de pauvres chandelles au coeur de la nuit, ça ne nous éclaire pas beaucoup. Avec ça, que comme le dit Hippolyte dans le Phèdre de Racine, qu'on se comprend pas tant que ça ! (cf Racine, Phèdre, II, 2, v.558, "Songez que je vous parle une langue étrangère" [Hippolyte])

4.
"ich bat den Tod : Lass mich noch sein !
Er sprach : Das wird dich reuen." (p.98)
("je priai la mort : Laisse-moi continuer d'être ! / Elle dit : Tu le regretteras.")
Cioran dit quelque part qu'il n'est personne de qui il n'ait souhaité, un jour ou l'autre, la mort. C'est assez commun, je pense, et relève probablement de l'hygiène du fantasme. Le mélancolique, histoire de ruser avec l'être, manière de gagner du temps, cela lui arrive aussi de souhaiter sa propre mort. C'est de l'immaturité, bien sûr ; il y a tant de gens qui souffrent dans leur chair et qui ne demandent qu'à partir dans la paix que les désagréments du mélancolique prêtent à rire, à moins que cela ne tourne au vinaigre, ce qui arrive parfois.

5.
"... zum Staunen in den Steinen" (p. 50)
("... pour la stupéfaction dans les pierres")
Semer des éclairs, lever une armée d'arbres à foudres ! Voilà de l'opéra matamore, n'est-ce pas ? Et qui illustre assez comment je lis : je me laisse emporter par les expressions, j'émiette le texte et ce sont ces miettes qui me font rêver.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 23 mars 2012

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21 mars 2012 3 21 /03 /mars /2012 07:07

EN LISANT CHRISTINE LAVANT (21-25)

TOUT EGALEMENT DISTANT   

Les citations de cette page sont extraites du recueil Les Etoiles de la faim (Orphée / La différence n°166). Les vers de Christine Lavant figurent entre guillements. Leur traduction par Christine et Nils Gascuel figure en italiques.

21.
"Mond begibt sich zart
in der kleinen Sternenanger." (p.34)
("la lune va tendrement
vers le petit pâturage aux étoiles
.")

Ô tendre vache lunaire s'empoisonnant lentement aux colchiques des étoiles.

22.
"Zu atmen den Rauch, zu trinken das Öl,
zu essen die Asche ?" (p.44)
("De respirer la fumée, de boire l'huile, / de manger la cendre ?")
Nous sommes aussi ceux-là qui respirons la fumée, buvons l'huile, mangeons la cendre. Nous ne nous en rendons pas compte ; leur goût est masqué.

23.
"oft jagt mich Regen" (p.74)
("souvent la pluie me chasse")
Chasseuse, la pluie ; nous, nous nous pressons, à découvert sur les trottoirs.

24.
"dort in den furchtbaren Wildnis der Taube" (p.48)
("dans le terrible désert de la colombe")
Peut-être traversons-nous un "terrible désert" peuplé d'apparitions, de tentations, d'illusions.

25.
"Gleich weit ist alles vom Gemüt entfernt" (p.30)
("Tout est également distant de l'âme")
Géométrie de l'âme, un point de fuite au milieu du tableau. Rien ne s'y rattache, tout s'y rattache. Le prisonnier du cercle est ainsi à égale distance de tout puisque tout est également en dehors, tout est également périlleux.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 21 mars 2012.

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20 mars 2012 2 20 /03 /mars /2012 21:17

EN LISANT CHRISTINE LAVANT (16-20)

QUELQUE CHOSE S'EST DEFAIT

Les citations de cette page sont extraites du recueil Les Etoiles de la faim (Orphée / La différence n°166). Les vers de Christine Lavant figurent entre guillements. Leur traduction par Christine et Nils Gascuel figure en italiques.

16.
Nous sommes entre ce que nous devons faire demain et ce que nous espérons faire ce soir.

17.
"Lange hab ich als Stein gehaust
am Grunde der Dinge." (p.48)
("Longtemps j'ai été pierre logeant / au fond des choses")
Rien. Nous sommes un temps, puis rien. Pas arbre reflété dans le fleuve. Pas pierre logeant au fond des choses. Pas énigme dans la bouche du sphinx ou caillou entre les dents de l'orateur. Pas même un crachat surgi des lèvres de Diogène.

18.
"stürze ich zornig dem Wind entegegen" (p.84)
("je me précipite en colère à la rencontre du vent")
vent et poursuite du vent. Et dans ce mouvement, l'humain, précipitant, encontre.

19.
"und das Herz eine Otter, die sich haütet und zuckt
im Würgholz der einsamsten Leiden" (p.84)
"et mon coeur une vipère qui mue et se convulse
dans la forêt mortelle des plus solitaires souffrances
"
Apparenter son coeur à la vipère, c'est ne pas être dupe de soi, savoir que l'on est, plus ou moins consciemment, plein jusqu'à s'en trahir, d'arrière-pensées. Cependant, l'auteur la fait "muer", changer de peau, et "se convulser" dans une forêt mortelle. C'est que pour la virulence aussi, il y a un prix à payer.

20.
"Quelque chose s'est défait." (Nils Gascuel, préface, p.9)
C'est nous qui nous défaisons, nous détricotons, nous destituons. Faire et défaire, c'est nous.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 mars 2012

 
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20 mars 2012 2 20 /03 /mars /2012 18:45

EN LISANT CHRISTINE LAVANT (11-15)

QUELLE TRISTESSE, L'ILLUMINATION !

Les citations de cette page sont extraites du recueil Les Etoiles de la faim (Orphée / La différence n°166). Les vers de Christine Lavant figurent entre guillements. Leur traduction par Christine et Nils Gascuel figure en italiques.

11.
Les maisons s'alimentent de nos présences. Sans nous, elles dépérissent, se ruinent comme des créatures de la nuit privées de sang.

12.
"So traurig geht Erleuchtung vor." (p.56)
("Quelle tristesse, l'illumination !")
Outre que l'illumination la plus enluminante ne vaut pas un sac d'écus ou une amitié sincère, il est que l'illumination n'est souvent qu'une révélation purement subjective. Les intuitions géniales sont rares et concernent des esprits hautement spéculatifs. Les poètes sont voués à la gourance, et pas assez sérieux et constants dans le réflexif pour intuitionner efficace. Quant aux mystiques, s'ils sont grands, c'est par leurs écrits. De leurs extases et ravissements, comme nous n'y étions pas, que pouvons-nous sérieusement en penser ?

13.
"Der Mond geht verrückt auf und nieder" (p.76)
("La lune follement monte et descend")
Sur une portée baroque alors, la lune, qui "follement monte et descend", flûte muette, cymbale sans vibration, gong clos, tout aussi bien pierre à aiguiser ("Wetzstein"), faucille ("Sichel"), sabre turc ("Türkenschwert"), masque d'un opéra à merveilles, d'un Enlévement au sérail fantasmatique.

14.
"... den Tanz im Gedächtnis" (p.44)
("la danse dans la mémoire")
Le cloué au fauteuil, le foudroyé a-t-il cette "danse dans la mémoire", cette rythmique des corps dont la vision allège l'esprit tandis qu'il y a tant de lourds fâcheux qui, sur leurs deux jambes, viennent vous casser les pieds ?

15.
L'insolence n'est efficace que lorsqu'elle est virtuose. "Monseur Houzeau, il a acheté ses dents dans un magasin pour Halloween" a balancé récemment un élève (précisément le vendredi 27 janvier 2012 à 15 heures 35, dans le couloir, après la récréation). J'ai encaissé. J'ai baissé la tête. J'ai mis un mot sur le carnet de correspondance. Néanmoins, un tel esprit mérite d'être encouragé. Faudra que je me débrouille pour lui mettre prochainement une bonne note.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 mars 2012

 

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20 mars 2012 2 20 /03 /mars /2012 17:39

EN LISANT CHRISTINE LAVANT (6-10)

NI ROSE, NI FOUET

Les citations de cette page sont extraites du recueil Les Etoiles de la faim (Orphée / La différence n°166). Les vers de Christine Lavant figurent entre guillements. Leur traduction par Christine et Nils Gascuel figure en italiques.

6.
Der Pfauenschrei ("Le Cri du paon"), c'est le titre d'un recueil de Christine Lavant. On ne peut mieux dire la bizarre vanité et la roue dans laquelle le poète - quel paon lui alors ! - s'efforce d'exprimer l'étrangeté d'être.

7.
"Die Gegend will mir fürchten lehren." (p.38)
("Cette région veut m'apprendre la peur.")
Pour ma pomme qui a eu si souvent peur de l'ombre du couteau du verre d'eau où je me noie, le seul exorcisme efficace - en dehors de l'argent -, est celui du scribe. Ecrire, ça a quelque chose à voir, je pense, avec la composition de formules magiques dont nous ignorons le sort.

8.
"Mein Herz ist längst ein Pfifferling" (p.38)
("Mon coeur n'est plus qu'un fifrelin")
C'est souvent, en fin de compte, que je frifreline et dodeline de la cafetière, pantin tout seul, caboche qui a trop craché de crapauds. C'est bien fait : J'avais qu'à / J'avais qu'à pas.

9.
"die ganze Sonnenrose übern Berg" (p.46)
("la rose du soleil par-dessus la montagne")
Nous rêvons "la rose du soleil par-dessus la montagne" et travaillons à traverser le "fouet de la pluie jusqu'au milieu de la nuit" (cf le poème "Etrangère dans le coeur de la nuit", p.85). Certes, nous ne sommes pas tous malheureux, mais tous finissons par un malheur, celui de l'extinction de notre conscience. Ni rose, ni fouet alors mais le nulle part de la nuit.

10.
Un livre est un ami qui s'use au fur et à mesure que passent les heures, les jours, les années à le fréquenter, à en abuser parfois, le trimbalant d'une maison l'autre, le cornant, l'annotant, le prêtant (ce qui n'est pas prudent). Il s'abîme cependant que nous en suçons la moelle.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 mars 2012

 

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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 08:07

A MESURER SON SOUFFLE

Les citations de cette page sont extraites du recueil Les Etoiles de la faim (Orphée / La différence n°166). Les vers de Christine Lavant figurent entre guillements. Leur traduction par Christine et Nils Gascuel figure en italiques.

1.
"Man lernt die Atemzüge zählen" (p. 56)
("On apprend à mesurer son souffle")
Exister, persister efficacement dans l'être, apprendre à mesurer, à se mesurer, à compter sur, à ménager son piano, lequel s'il ne va trop vite, ira sano, à gérer ses éclats, à élaborer une stratégie des éclairs et des masques à la faveur de.

2.
Ma compagne, sur mes conseils, a commencé la lecture d'un livre appréciable d'un penseur pertinent. Elle a laissé tomber l'oeuvre tant la prétention et l'esprit de sérieux des propos la faisaient rire. La littérature est pleine de ces masques aussi profonds qu'ils sont grotesques. Etudier un texte, ce n'est jamais qu'étudier un masque, et un cours de littérature consiste généralement à feindre de percer le mystère du grotesque.

3.
"staubtrocken unter dem Regen" (p. 84)
("sèche comme poussière sous la pluie")
La poésie est pleine de ces féeries. Franchement, que la poésie ne soit pas plus fréquentée par le grand public, qui lui préfère la longueur éprouvante des romans, en dit long sur l'incompétence linguistique de nos contemporains.

4.
La langue de la modernité tend au jargon technique, à l'argot faussement expert. Si les classiques ont dit tant de choses intéressantes, essentielles souvent, c'est que la langue française était pour eux comme violon aux mains d'un virtuose.

5.
"Jetzt ist es spät und früh zugleich" (p. 66)
("A présent il est tard et tôt en même temps")
La neurasthénie superpose le tôt et le tard. L'horloge est avant terme, ou alors à égréner l'infini. Détraquée, elle se démultiplie, désaccorde les temps et joue avec le couteau de notre patience.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 13 mars 2012

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3 mars 2009 2 03 /03 /mars /2009 17:04

« DUR THALER »

NOTES SUR LE POEME MARIANNE DE PAUL CELAN

Fliederlos ist dein Haar, dein Antlitz aus Spiegelglas.
   
(Paul Celan, Marianne, in Choix de poèmes réunis par l’auteur, Poésie/Gallimard, p.27, édition bilingue établie par Jean-Pierre Lefebvre)

« Ta chevelure est sans lilas, ton beau visage : de miroir. ».
   
(Traduction : Jean-Pierre Lefebvre)

Il s’agit donc d’une chevelure sans apprêt particulier. La beauté désignée par ce qui semble le plus naturel, fait du visage un miroir. Une nudité explicite. Un piège à référents.

Ainsi, qu’y voit-on ?

Von Auge zu Aug zieht die Wolke, wie Sodom nach Babel :

« D’un oeil à l’autre oeil le nuage passe, comme Sodome vers Babel : »

Rien d’autre qu’une impression, celle des nuages passant entre deux cités, entre deux états, l’état de péché (Sodome) et l’état de connaissance (Babel). « Piège à référents » disions-nous. Effectivement, le texte poétique, ici, ne peut faire l’économie de la référence, de l’intertextualité, des racines religieuses, du cosmopolitisme d’avant la Seconde Guerre Mondiale (Paul Celan est né en 1920 : entre 1926 et 1938, il a été successivement élève dans une école allemande (1926-1927), une école hébraïque (1927-1930) puis un lycée roumain).

Plus tard, dans le présent absolu du poème, le corps de la jeune femme est comparé à un roseau :

Geliebte, auch du bist das Schilf und wir alle der Regen ;

« Toi aussi, aimée, tu es le roseau et nous sommes la pluie; »

Le poème tend ainsi au cantique, au blason :

ein Wein ohnegleichen dein Leib, …
ein Kahn im Getreide dein Herz, …

„ton corps est un vin sans pareil,…“
»ton cœur est une barque dans le blé,… »

Autant de comparaisons qui rappellent l’Ancien Testament, les temps antéchristiques.
Cependant, l’ironie dénonce le faux naturel du cantique :

ein Wein ohnegleichen dein Leib, und wir bechern zu zehnt ;
ein Kahn im Getreide dein Herz, wir rudern ihn nachtwärts;

« ton corps est un vin sans pareil, et nous pintons à dix;
   ton cœur est une barque dans le blé, nous, rameurs, la poussons vers la nuit ; »

Dans ses notes, Jean-Pierre Lefebvre remarque que le terme « bechern » est « familier et fortement ironique (Der Becher désigne le godet). »

L’ironie va même ici jusqu’à la parodie, la farce :

ein Krügeln Bläue, so hüpfest du leicht über uns, und wir schlafen…

„cruchette de bleu, tu sautilles légère au-dessus de nous, et nous, nous dormons…

Dès lors, la beauté est mise à mal, L’Ancien Testament moqué, parodié, déprécié, et c’est une morte que le narrateur, accompagné des témoins de l’approche de « la centurie » (légionnaires romains ou soldats du Reich) « porte à la tombe sans cesser de trinquer » :

Vorm Zelt zieht die Hundertschaft auf, und wir tragen dich zechend zu Grabe.

« Devant la tente s’approche la centurie, et nous te portons à  la tombe sans cesser de trinquer. »

Enterré donc, le miroir du monde ; ne reste que « le dur thaler des rêves » (« der harte Taler der Traüme») avec lequel les survivants s’apprêtent à payer chacun de leurs jours.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 6 janvier 2007

Commentaires

c'est une belle langue que l'allemand, mais qui va disparaître des écoles françaises si l'on n'y prend pas garde. un seul collège sur cinq le propose encore en première langue. à la rentrée de septembre, sur annecy, le seul collège public où l'on pouvait choisir cette langue a fermé sa section, parce que deux mômes seulement étaient inscrits en sixième. la seule solution était d'intégrer la classe trilingue, avec allemand et anglais.
à noter aussi, que le choix de l'allemand en première langue interdit toute autre alternative que l'anglais comme seconde langue. au cas où un gamin aurait envie d'apprendre l'allemand et le russe, qu'il renonce dès à présent. c'est comme ça.
(et merci...)

Posté par marie, 06 janvier 2007 à 14:57

 

 

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21 février 2009 6 21 /02 /février /2009 03:08

ANGOISSE

Christine Lavant a écrit dans Le Cri du Paon (Der Pfauenschrei, 1962) :

Die Krebsfurcht hockt im Kindelbaum
und isst von Früh und Spät zugleich. (1)

"Une angoisse cancéreuse perche dans l'arbre
et se nourrit de Tôt et de Tard en même temps."
(traduction : Christine et Nils Gascuel)

L'angoisse est un phénomène spatio-temporel où le passé et le futur, le lieu quitté et le lieu à venir, se font soudain présents, si présents et si aigus que la conscience tente de les repousser.
Lorsque cette présence des fantômes du temps et de l'espace est trop forte, alors la conscience tente d'échapper à elle-même par la syncope, la folie ou le suicide.
Une autre tentative de la conscience pour fuir ce "cancer" de l'angoisse qui "perche dans l'arbre", comme un oiseau de malheur ou un enfant fautif, réside sans doute dans l'art et certainement dans l'exercice de la pensée.
La pensée occidentale est une volonté de maîtriser le masque tragique de l'angoisse en l'analysant, en s'en moquant, en l'affrontant ou même en le portant au besoin comme le firent les tragédiens grecs (2) :

Jetzt ist es spät und früh zugleich
man müsste sich auf das besinnen,
was früher war une später kommt
und ständig brennt im Brunnenherd. (1)

"A présent il est tard et tôt en même temps
on ferait bien de réfléchir
à ce qui fut et ce qui va venir
et brûle constamment au puits de feu."(1)

On ne saurait pas mieux décrire l'actuelle situation internationale.

Notes
: (1) Christine Lavant, Les étoiles de la faim, anthologie présentée et traduite par Christine et Nils Gascuel, collection Orphée, éditions de La Différence, 1993, p.66-67).
             (2) Le mot "tragédie", étymologiquement, signifie "le chant du bouc" (du grec tragos, bouc, et ôidê, chant).

             Patrice Houzeau
            Coudekerque-Branche, le 16 septembre 2005

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