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22 février 2009 7 22 /02 /février /2009 19:02

CORBIERE EN POETE PUNK

Hystérique à rebours, ta Muse est trop superbe, (1)

Où l'on voit dans A un Juvénal de lait que Corbière ne se fait guère d'illusions sur le romantisme des amours poétiques ; mais d'une constante (les femmes n'aiment guère les poètes de profession : ce sont des gueux), il en fait l'un des atouts de ses si originales rimeries : Tristan Corbière me fait l'effet d'un poète punk dans le paysage parfois si mièvre et si convenu de la poésie dite régulière. En tout cas, rythmique qu'il est, le Tristan, en diable...

La dent de ton Erard, râtelier osanore, (2)
Et scie et broie à cru, sous son tic-tac nerveux,
La gamme de tes dents, autre clavier sonore...
Touches qui ne vont pas aux cordes des cheveux !
                        (A une demoiselle, pour piano et chant)

Mais tout rythmiquement nerveux qu'il se fasse, le poète ne laisse pas d'être amoureux ; ce qui le ramène en fin de compte au point de départ : tout s'efface dans l'espace, tout passe, tout casse, tout lasse et va à mélasse, hélas ! comme dit mon cousin Ménélas et je ne sais pas qui encore tant on les a entendus, ces mots qui partout passent.

En fumée elle est donc chassée
L'éternité, la traversée
Qui fit de Vous ma soeur d'un jour
                 ma soeur d'amour !...
                                   (Steam-Boat) (3)

Où l'on voit itou que Corbière, comme Laforgue,  - autre remuant vrai poète -, n'y croit pas plus que cela au "mot-trombone' de l'éternité. J'aime bien cette expression, "mot-trombone" ; je ne sais plus de qui elle est (4) mais elle désigne bien ces tartes à la crème de la poésie des "bonnes âmes" : l'infini, l'amour, l'éternité, l'univers, le cosmos, la paix, la liberté, l'égalité, la fraternité, l'âme et tutti frutti et, pour ma part, j'ai toujours pris ce vers de Rimbaud comme étant particulièrement ironique :

Et l'amour infini me montera dans l'âme (Arthur Rimbaud, Sensation)
-
Tu parles...

D'ailleurs, le paysage n'a rien de romantique ; il est "mauvais" comme un mauvais garçon, un mauvais temps, un mauvais moment à passer, pas de picotis dans les blés ni "d'herbe menue" à la Rimbaud avant qu'il se fasse, le pervers poète à voile et à vapeur ce voyou voyant des voyelles que même que :

Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change
                                    (Stéphane Mallarmé, Le Tombeau d'Edgar Poe)

Voici pour les références et voici pour Corbière :

- Herbe puante où le lièvre
Est un sorcier poltron qui fuit...

Il est "mauvais" le paysage, maléfique et je vais vous le coller ici tout entier pour vous montrer, nom d'un crapaud, ce que c'est que la poésie :

PAYSAGE MAUVAIS

Sables de vieux os - Le flot râle
Des glas : crevant bruit sur bruit...
- Palud pâle, où la lune avale
De gros vers, pour passer la nuit.

- Calme de peste, où la fièvre
Cuit... Le follet damné languit.
- Herbe puante où le lièvre
Est un sorcier poltron qui fuit...

- La Lavandière blanche étale
Des trépassés le linge sale,
Au soleil des loups... - Les crapauds,

Petits chantres mélancoliques,
Empoisonnent de leurs coliques
Les champignons, leurs escabeaux. (5)
                                 (Marais de Guérande. - Avril.)

Du coup, il y a quelque chose de vénéneux dans les vers à Corbière, parfois mais cela ne dure guère et s'il menace
:

Tu ne me veux pas en rêve,
Tu m'auras en cauchemar ! (6)

dans le même poème, - Elizir d'amor -, il se fait "le plus simple et le dernier", "chien parmi les chiens perdus" (amusant : une faute de frappe m'avait fait écrire "merdus" :chien parmi les chiens merdus : on ne peut mieux dire !) :

- A genoux, haut Cavalier,
A pied, traînant ma rapière,
Je baise dans la poussière
Les traces de Ton soulier ! (6)

Et c'est ainsi que Don Quichotte taquina la folie...

Notes
:
(1) : Tristan Corbière, Les Amours jaunes, Le Livre de Poche, coll. Classiques de Poche, p.129.
(2) : "Dents osanores : fausses dents que l'on faisait tenir sans employer l'or" (Note de Christian Angelet, cf Tristan Corbière, op. cit., p.129)
(3) : Tristan Corbière, ibid., p. 64
(4) : Peut-être l'expression "Mots-trombones" est-elle de René de Obaldia, mais je n'en suis pas sûr.
(5) : Tristan Corbière, ibid., p.169
(6) : Tristan Corbière, ibid., p.109

Patrice Houzeau
Rosendael, le 29 novembre 2005

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