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2 mars 2009 1 02 /03 /mars /2009 13:46

LE TEMPESTAIRE AMICAL          
Entretien avec l'écrivain Orlando de Rudder

On a pu souvent lire sur ce blog des textes de l'écrivain Orlando de Rudder. Afin de mieux parfaire notre connaissance de l'auteur qui, comme le prouvent l'intétêt et les réactions parfois assez vives suscités par son blog (http://orlandoderudder.canalblog.com/), soulève parmi vous
bien des interrogations, nous sommes allés rencontrer de Rudder lui-même qui a eu la gentillesse de répondre à quelques questions.
Interview donc de celui qui pourrait apparaître aux yeux de certains comme "l'abominable homme des lettres" mais qui est, à notre sens, un écrivain de premier plan.

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Le Blog Littéraire : Cher Orlando de Rudder, vous avez très récemment ouvert un blog où vous vous montrez particuliérement actif ! Bien que quelques uns de vos collègues (Pierre Assouline, Alina Reyes par exemple) aient déjà leur propre blog, la démarche est encore assez rare et les motivations d'une telle activité demandent sans doute à être précisées.

Orlando de Rudder
  : Je suis un professionnel de l'écriture. La première réflexion qui me vient à l'esprit, c'est cette remarque de Michel Déon entendue récemment à la radio : "Actuellement, en France, la plupart des écrivains sont condamnés d'avance à la misère." Du coup, beaucoup d'entre nous, s'ils veulent vivre de leur plume, sont condamnés aux travaux alimentaires, à la "négritude éditoriale", à la rédaction sous pseudonyme d'ouvrages "mystico-philosophiques" dont l'intérêt est plus que relatif. (Sourires derrière la fumée de la pipe). Comme Laurent Tailhade, - qui fut peut-être mon ancêtre -, j'ai besoin d'exprimer des idées, et parfois d'une plume que l'on peut qualifier de "virile".
A cet égard, le blog est un médium nouveau, une manière nouvelle, révolutionnaire en ce sens que pour la première fois dans l'histoire de la publication, les auteurs peuvent se passer de l'imprimatur.
Mais le blog me permet aussi de publier ce qui, de toute façon, ne se monnaie pas : la poésie.
En outre, le blog me semble être un excellent outil de prépublication : en mettant en ligne des extraits d'oeuvres en cours, je permets à mes lecteurs potentiels de se faire une idée de mon travail. Les éditeurs ne semblent pas encore avoir pris conscience de l'intérêt d'une telle démarche mais dans mon esprit, il est clair que la prépublication en ligne est une solution d'avenir

Le Blog Litt
: Orlando de Rudder, vous piquez notre curiosité. Afin que vos lecteurs puissent se faire une idée plus précise de votre personnalité, pouvez-vous résumer votre itinéraire d'écrivain ?

image_55Orlando de Rudder
: J'eus d'abord le choix : musicien, comédien, écrivain,
autant de possibilités que mon enfance m'a laissé espérer puisqu'elle se déroula dans un monde baigné de culture. Par mon père d'abord, Jean-Luc de Rudder, ancien élève de l'école Boule, qui fut décorateur de théâtre, - il a notamment travaillé auprès de Jacques Noël - (1) . De plus, il était peintre et enfin chroniqueur gastronomique pour Gault et Millau.
Mais ce fut grâce à ma grand mère, Germaine Tailleferre, que j'ai pu fréquenter, dès l'enfance, des musiciens comme Francis Poulenc et Georges Auric, des écrivains comme Jean Cocteau, Philippe Soupault, Jean Tardieu, - un ami d'enfance de Germaine -, Julien Gracq, Antoine Blondin, Roger Nimier et des intellectuels comme Claude Bourdet, le résistant, le militant, fondateur de "Témoignage chrétien" et de "L'Observateur" qui, dès 1951, dénonça la torture en Algérie, - nous étions pourtant encore dans une période de paix" -, dans un article intitulé " Ya t-il une Gestapo algérienne ?"
(2)
De telles personnalités me donnèrent le goût des idées et me firent comprendre que sans rigueur il ne pouvait exister de production intellectuelle ou artistique de qualité.
Mes études furent marquées d'abord par un difficile passage de l'adolescence : fugues, petite délinquance qui m'ont mené à être placé dans un foyer de l'ARES (Association Régionale d'Education Surveillée) dont le directeur, Camille Leduc, rêvait de bâtir une élite à  partir de délinquants et de cas sociaux qui avaient été repérés comme étant surdoués.
Bref,  deux ans d'ARES. Puis ce fut Mai 68. A cette époque, je fis le choix spontané, pragmatique, joyeux et insouciant d'être pour la "chienlit" (et le bistrot du coin) contre l'ordre (et le mandarinat).
Au début des années 70, j'éprouvais le besoin d'apprendre à utiliser mon corps de façon raisonnée, ce que permet la pratique des Arts Martiaux. Je me mis à l'étude du karaté avec le Maître Tetsuji Murakami. C'est ainsi que j'eus l'occasion de rentrer en contact avec le zen mais une très brève incursion dans le XIIIème arrondissement et la secte de Taisen Deshimaru m'ont convaincu du caractère pernicieux de certaines idées développées par Deshimaru et ses prosélytes.
Je poursuivis néanmoins la pratique du karaté avec Jacques Mairesse, fameux professeur qui, dégoûté des chinoiseries, entreprit de faire connaître au public français la boxe Thaï et enfin, je me tournai vers la boxe française, avec Jean Lafont qui, lui non plus, n'éprouvait pas le besoin de mêler pratique de culture physique et pacotille spirituelle : Si je fous une baffe à quelqu'un, ce ne sera jamais par spiritualité.
Parallélement à ces aventures mystico-sportives, je connus la carrière des petits boulots : livreur, apprenti-forgeron, graveur, compteur de billets à la loterie nationale, videur,...
image_10En 1976, je me marie. Poussé par ma femme, Marie, j'entreprends des études : licence, D.E.A sous la direction d'Henri Meschonnic, Doctorat en Littérature française sous la direction de Bernard Cerquiglini avec une spécialisation en linguistique médiévale.
Tout cela, bien entendu, s'accompagnant d'une pratique constante de l'écriture. Je dois dire d'ailleurs qu'à cet égard, j'ai beaucoup appris à l'Université, celle de Vincennes qui fut pour moi un émerveillement et qui me donna le goût de la rigueur dans l'exercice de l'analyse littéraire ainsi que dans celui de la pratique de la méthode dite "historique", grâce notamment à Jacques Le Goff, dont j'ai pu suivre plusieurs séminaires dans le cadre de "L'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales".
Puis je devins écrivain.
image_81983 : Premier roman, La Nuit des Barbares, chez Robert Laffont, grâce au poète Pierre Oster, qui travaillait pourtant aux Editions du Seuil mais qui a eu l'intelligence et la gentillesse de me recommander auprès de Jacques Peuchmaurd et de Michel-Claude Jalard.
Ce fut un succès.
1984 : Le Tempestaire. Bide.
1985:
Lee Jackson. Un roman sur le jazz. Un (re)bide qui, malgré l'insuccés public, me donna la réputation d'être "un écrivain pour écrivains" : Bonne presse, mauvaises ventes.
Ce qui, dans le monde des lettres, conduit aux travaux éditoriaux les plus variés ainsi qu'à la "négritude".
Cependant, cette période fut aussi marquée par des prix littéraires (3) et de grands bonheurs d'écriture tels que Tout crus, les Coqs (Balland, 1987) ou encore Le Trou-Mahaut (Editions Hors-Commerce, 1999).
image_92De fait, ce qu'il me semble ainsi poursuivre, c'est la tradition familiale du "travail bien fait" et du mauvais esprit parisien de Gavroche illustré, entre autres, - grâce au cinéaste fou de blues Mario Ruspoli-, par mon passage au Collège de Pataphysique.
Actuellement, après beaucoup de difficultés personnelles, je reprends en main ma carrière d'écrivain en assurant ma vie de tous les jours par la rédaction de recueils de prières (!) et de livres de spiritualité (!!!), passage quasi obligé par la négritude au service d'autres écrivains ou de maîtres sprituels reconnus.
Un succès à signaler : Le Bréviaire de la Gueule de bois paru originellement aux Editions du Rocher et qui se vend très bien dans la collection Librio, les livres à deux euros.
En préparation : chez Pierre Ménard, à Bordeaux, Les Ecrivains de l'Ombre ainsi que pour Larousse, un dictionnaire des expressions, dictons et proverbes culinaires dont le titre provisoire est Les Carottes sont cuites
.

Je voudrais ajouter quelque chose : j'ai parlé tout à l'heure de difficultés personnelles ; permettez-moi de préciser qu'il s'agissait de clochardisation, de R.M.I, de "Sûr d'Etre Foutu" comme je qualifie moi-même ce que j'étais quasiment devenu : S.D.F. image_33
En ce sens, Michel Déon a raison.

Le Blog Litt. :
Vos lecteurs, ceux des ouvrages imprimés commes ceux du blog, sont généralement étonnés par votre style que l'on pourrait parfois qualifier de "baroque". Qu'en pensez-vous ?

Orlando De Rudder
: Vous faites peut-être allusion au style du Tempestaire qui est effectivement très "écrit", très travaillé mais, dans mon esprit, il s'agissait d'écrire un roman qui rappelle l'écriture médiévale, les Lais de Marie de France par exemple.
Baroque ? Peut-être, mais alors en écho du Corneille de L'Illusion comique, de Scarron, de Bergerac...A vrai dire, je me vois plutôt comme  un "classique contrarié".
Ma grande référence est Julien Gracq, qui a toujours été bienveillant envers moi. Il est le maître de la période, de la phrase latine. A côté de ce grand classique contemporain, je ne suis, modestement, qu'un classique contrarié.
Mais, modeste ou pas, je ne renonce pas au travail de la phrase et j'estime qu'un texte se doit d'être "signé" par un style, une particulière petite musique.

Le Blog Litt
.: Vous avez eu la gentillesse de nous communiquer un certain nombre de vos poèmes inédits. Si l'on reprend la question du style, vous apparaissez comme un poète qui n'est ni classique, ni baroque bien que votre écriture révèle un goût prononcé pour la formule originale.

Orlando De Rudder
: Cela vient sans doute de mon amour pour Rimbaud et, plus généralement pour le poème en prose, comme pouvait le pratiquer Pierre Albert-Birot par exemple.
image_151Si l'on veut remonter à l'enfance, je me souviens aussi de Paul Fort ; j'avais sept ou huit ans quand je le rencontrai, et de Charles Vildrac, - qui m'offrait des grenadines au "Café de Paris" à Saint-Tropez-.
Plus sérieusement, mon travail poétique fut d'abord influencé par les Notes sur la Technique poétique de Vildrac et Duhamel et par les Propos sur la Poésie de Paul Valéry.
Je me suis toujours aussi beaucoup intéressé à la prose narrative qui nous vient  de l'Antiquité et qui, via le tambour du griot africain, Gaspard de la Nuit d'Aloysius Bertrand, Sony Labou Tansi, Emily Dickinson, Flannery O'Connor, Edith Wharton, Virginia Woolf et tant d'autres, permet de rendre compte de la réalité en utilisant toutes les ressources du langage.
D'où mon goût pour les formules originales, les jeux de mots, le discours indirect libre, la parole de cérémonie, la grande musique de la langue dont Jean Tardieu fut un maître ; d'où mon goût aussi pour les ambiances, les atmosphères que réussit à suggérer l'étrange magie de la langue, si quotidienne et si extraordinaire.

Le Blog Litt
.: Vos romans ainsi que vos travaux de lexicographie témoignent effectivement d'un grand intérêt pour la langue... image_34


Orlando de Rudder
: Bien sûr ! et cela commence avec mon père qui connaissait le Cantique spirituel de Racine par coeur ! Tardieu aussi m'a influencé dans ce sens et Pierre Devaux qui a traduit la Bible en argot sous le titre Le Livre des Darons sacrés, - ça ne s'invente pas ! - et dans Les Dieux verts, Devaux a même adapté en argot quelques légendes de la mythologie grecque.
Plus tard, la littérature médiévale s'imposa donc à moi comme une voie où je pourrais nourrir mon intérêt pour l'histoire de la langue.
Avant même d'entreprendre des études universitaires, je fis quelques tentatives pour étudier le sanskrit qui, hélas, - en dehors de l'université, point d'honnêteté linguistique ! - est devenu la chasse gardée d'une poignée de charlatans philosophico-mystiques qui ne peuvent expliquer la racine indo-européenne d'un mot sans y mêler je ne sais quelle théologie de bazar !
Dans ma pratique d'écrivain, je n'ai jamais cessé de fouiller, - voire fouailler !- , la langue, d'y chercher des rythmes, des figures, de m'interroger sur l'infini de ses possibilités, sur cette trajectoire du sens qui permit les grands textes médiévaux comme les grands romans du vingtième siècle.
Mes travaux de lexicographe témoignent en effet de cet intérêt pour la langue.

Le Blog Litt
.: Certaines quatrièmes de couverture vous présentent aussi comme un guitariste de jazz. Qu'en est-il exactement ?

image_20Orlando de Rudder
: Encore une école de rigueur ! Bien sûr, par ma grand-mère, je suis entré en contact très tôt avec le monde des musiciens. La musique classique, la musique française de la première partie du XXème siècle, - n'oublions pas que Germaine Tailleferre faisait partie du Groupe des Six -, et le jazz.
Ce fut dans les années 70 que mon goût pour le jazz me fit prendre des cours auprès de Babik Reinhardt et de Raymond Boni. Mon goût pour le jazz manouche, le flamenco, le blues s'en trouva affermi.
Episodiquement : quelques concerts dans les bars,   accompagnement de chanteuses blondes, ce genre de choses mais, bien que je sois connu comme écrivain, j'ai toujours poursuivi une activité de guitariste en parallèle de mon activité de romancier.  image_253          
Je continue d'ailleurs à donner des cours de guitare.
Donc, actuellement et j'en suis content, l'essentiel de mes activités tourne toujours autour de l'écriture et de l'art : blog, travaux éditoriaux, romans en cours, et...la guitare avec un amour immodéré pour Lonnie Johnson, Joe Pass, Manolo Sanlucar.

Le Blog Litt.
: Pour terminer, si vous aviez des souhaits ou des regrets à formuler, quels seraient-ils ?

Orlando de Rudder
: Poursuivre mon labeur d'écrivain (en tâchant d'être mieux payé !) mais en refusant la facilité,  en ne cédant pas à la complaisance. Pour cela, il ne faut pas répugner à réécrire trois ou quatre fois son manuscrit, comme je le fais en ce moment ; sans doute la construction d'une oeuvre est-elle à ce prix...(Nouveaux sourires et quelques accords de guitare jazz).

Notes :

(1) : Jacques Noël : Grand décorateur de théâtre, "mari pendant des décennies de la comédienne Tsila Shelton, une autre personne admirable". (O. de Rudder dixit).
(2) : Claude Bourdet : "Le 6 décembre 1951, Claude Bourdet, ancien membre du Conseil National de la Résistance, publie dans l'Observateur, (futur France-Observateur) un article intitulé : "Y a t-il une Gestapo algérienne ?" . Il y dénonce les méthodes d'interrogatoire utilisées par la police française d'Algérie avec la complicité d'un certain nombre de magistrats. Cela se passait près de trois ans avant l'insurrection de la Toussaint 1954." (précision trouvée sur le Web.)
(3) : Orlando de Rudder a obtenu plusieurs prix littéraires :
        - le prix Hermès 1983 pour La Nuit des Barbares
        - le prix Georges Brassens 1989 pour Le Couteau court de Décembre
        - le prix Emile Zola de la S.G.D.L. 1990 pour Le Village sans Héros

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 novembre 2005

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