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15 avril 2009 3 15 /04 /avril /2009 14:58

DE LA CREATURE LITTERAIRE
Note sur Le Lapin mystique de Lucien Suel (Station Underground d'Emerveillement Littéraire, 1996)

Des mouvements dans l'ombre :

Au long de la nuit, le vacarme héroïque des torturés rugissant dans leur retraite s'ajoutait à la rude déclamation des mendiants mystérieux de l'enfer alcoolique. (Le Lapin mystique, p.7)

Ainsi, sur le même plan, les tourments des héros et les beuglements du delirium.
La phrase comme une plainte que semble lancer un saxophone dans la fumée d'un bar jazz.

Pleine de réminiscences aussi, la langue, de souvenirs de lointains guerriers.
La langue de ma mère se souvient, par exemple, du pluriel "doryphores" pour désigner les troupes allemandes avaleuses de récoltes de pommes de terre réquisitionnées.
Et circulent encore dans les familles du Nord des lambeaux d'histoires sur l'exode des populations en 1940 et, cinq ans plus tard, la fuite des restes de la Wehrmacht sous les bombardements de l'aviation alliée, les civils mitraillés des fossés et des bords du chemin remplacés par les bras, les troncs, les têtes, les pieds accrochés aux branches dans les bois où ils espéraient se cacher, les Allemands.

J'ai réellement vu les soupirs, les tas de corps attendant au bord des chemins, le passage des chenilles. (Le Lapin mystique, p.8)

La littérature, peut-être, est une créature tout en verbe qui se nourrit du passé et qui s'agite en nous, - une vraie forcenée, celle-là - et que nous couchons sur le papier.
Une créature, la littérature ?
En tout cas, baroque qu'elle a l'air souvent, ainsi :

le_lapin_mystique_oeuvre_de_couverture_par_sara_joyce_du_roman_de_lucien_suel___station_underground_d_emerveillement_litt_raire__1996.1

En tout cas, baroque qu'elle semble souvent comme la couverture du livre, cette illustration de Sara Joyce, dans le goût des symbolistes, un goût de James Ensor et des couleurs du Nord ; en tout cas, baroque qu'elle sonne aussi :

Il nous fallait encore lire dans les magazines, les tribulations de Laure dont les lèvres avaient sucé sans frémir la plaie oblique et bleuâtre qui accentuait l'aspect viril du héros. (Le Lapin mystique, p.8)

Vampirique, la fille des magazines.
Mais, de toute façon, ce que nous lisons, tout ce que nous lisons, rappelle fatalement le sang :

Nos corps et nos âmes étaient raides de sang séché. (Le Lapin mystique, p.8)

Et plus le style est révélateur d'une conscience aigue du monde, plus nous soupçonnons qu'elle est vivace, la plaie dans l'ombre.
Nous y retournons sans cesse : un rite.

Nos actes sont signés. La mâchoire du lapin est clouée. L'huile a été répandue. Les dents m'appartiennent, les griffes sont à elle, les entrailles pour le corbeau. (Le Lapin mystique, p.8-9).

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 juillet 2006

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