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19 juin 2009 5 19 /06 /juin /2009 15:08

ELLE VA PAS BIEN, LA P’TITE DAME ? (Notes sur un sonnet de Charles Baudelaire) 

            
LA MUSE MALADE

Ma pauvre muse, hélas ! qu’as-tu donc ce matin ?
Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,
Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint
La folie et l’horreur, froides et taciturnes. (1)

Le succube verdâtre et le rose lutin (3)
T’ont-ils versé la peur et l’amour de leurs urnes ? (4)
Le cauchemar, d’un poing despotique et mutin,
T’a-t-il noyé au fond d’un fabuleux Minturnes ? (5)

Je voudrais qu’exhalant l’odeur de la santé (6)
Ton sein de pensers forts fût toujours fréquenté,
Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques,

Comme les sons nombreux des syllabes antiques,
Où règnent tour à tour le père des chansons,
Phoebus, et le grand Pan, le seigneur des moissons.
         
(Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, pièce VII)

(1)
Que ne voit-on pas dans un visage fripé par la nuit ? Ainsi, les deux premiers vers si prosaïques dans leur évocation de la tête pleine de sommeil encore entraînent l’hyperbolique des impeccabilités versifiées à lire une fois de plus « la folie et l’horreur » dans les traits les plus communs de l’humain quotidien. (2)

(2)
« Donnez- nous aujourd’hui notre humain quotidien » disent sans doute dans leurs prières les extra-terrestres anthropophages à leur dieu Grossbouff le Ventripotent.

(3)
« succube verdâtre », « rose lutin » : on dirait ici évoqués des figurines à l’usage des mômes, des pastels à illustrer des contes.

(4)
« la peur et l’amour de leurs urnes » : l’opposition entre les mots « peur » et « amour » trouve peut-être sa clé dans le mot « urnes ». Ce vase à cendres mortuaires symboliserait ainsi la Mort que l’humain baudelairien craint bien qu’il ne cesse  d’aspirer à sa grande tranquillité. « Vivre fatigue », comme chacun sait.

(5)
Une note en bas de page nous signale que « Minturnes » désigne « une ville proche de Rome, située dans une zone marécageuse » (Petits Classiques Larousse, note de Frédéric de Scitivaux, p.57, note 4).
Le « cauchemar » est ainsi assimilé à une puissance régnant sur des « marécages », un esprit du marais qui noie le passant imprudent, le voyageur égaré, le rêveur malchanceux, et ici, la « muse malade ».
Ce « Minturnes » est « fabuleux », propre à susciter la fable. La « Muse malade » est toujours muse et inspire toujours le narrateur amateur de « visions nocturnes », des histoires extraordinaires d’Edgar Poe, et de fantastique en tout genre.

(6)
Les deux quatrains de ce sonnet évoquent la maladie ; les deux tercets vont faire l’éloge de la santé, laquelle tend à révéler quelque lien entre  régularité de la circulation du sang et esprit religieux :

« Je voudrais qu’exhalant l’odeur de la santé
   Ton sein de pensers forts fût toujours fréquenté,
   Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques »

Mystère du sang. Il est vrai que la langue populaire rappelle que le « chrétien » est forcément « bon ». « - Vous êtes catholique comme moi ! » disait parfois Francis Blanche improvisant ses répliques dans des films purement alimentaires.
Mystère du sang qui transcende le temps lui-même, charriant l’esprit depuis les « sons nombreux des syllabes antiques », depuis les mythes solaires et féconds de Phoebus-Apollon et du Grand Dieu Pan, lequel fut dit mort tant de fois qu’il n’en est que plus vivant. (7)

(7)
Dieu a peut-être cette vocation d’être tué par les hommes pour revenir plus puissant encore comme ces extra-terrestres des bandes dessinées qui augmentent leur puissance à chaque coup qu’on leur porte. Dieu est peut-être celui qui transcende sa propre mort.
Quant au Diable, le Grand Pragmatique, je parierais bien qu’il se divise, se disperse,  se dissémine en séries de  créatures plus ou moins visibles, plus ou moins grotesques, plus ou moins dangereuses.

Post-delirium
: Ah ! Je l'imagine bien, le Charles, aller sur le marché avec sa muse. Lui avec sa tête de circonstances aggravantes ; elle, en toilette plus ou moins à la mode de c'est pas trop cher encore mais si tu écrivais des romans, comme Victor Hugo, je pourrais m'en payer des vêtements à ondoyer dedans genre serpent qui danse au bout d'un bâton en cadence et tout le tralala et aussi des bijoux, tiens, à mettre toute nue !
Donc, ils achètent des fruits et surtout des légumes pour la soupe. Après, c'est tout un tintouin : Charles se met à négocier le coup pour son tabac de la semaine et deux ou trois litres de picrate procrastinatoire ; elle, elle râle bien un peu qu'la vie est de plus en plus chère, et qu'il faudrait voir à moins fumer, qu'ça pue le tabac froid partout et qu'c'est bien la peine de jouer au dandy pour faire des trous de cigarette dans ses chemises !
Bon, une fois ravitaillé, le couple qui fait jaser les voisins rentre à la casa. Elle se colle à la préparation de la soupe vu que la bonne des îles Malabar, ils ont dû la renvoyer, - trop chère, trop fainéante, trop gros seins que ça le distrayait, Charles, de son travail. Quant au Poëte, il traîne un peu en soupirant qu'il doit encore traduire de l'Edgar Poe, qu'il y comprend que dalle, que c'est de la littérature d'alcoolique et que c'est pas comme ça qu'il le finira son grand recueil de poèmes qui lui ouvrira les portes de l'Académie et des organismes de crédit.
Ah ! oui ! je l'imagine bien, le Charles, filer de temps en temps genre :"Ma choupette, je reviens, je vais acheter des allumettes !" ou "Il y a plus de pain ! j'y vais !". Là, pour sûr, s'il a un peu d'sous en poche, il court au troquet boire des canons avec d'autres vauriens versificateurs dans son genre, dire du mal de cette grosse tête de Hugo, évoquer potins et popotins de la capitale et guetter du coin de l'oeil des fois que le gros Honoré passerait dans la rue ; c'est qu'il est généreux, le gros Honoré, et pas trop fier avec ça !

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 octobre 2007  

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