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1 janvier 2013 2 01 /01 /janvier /2013 08:20

LA MODERNITE EST UNE AUTOPSIE
Notes sur quelques poèmes de C.K. Williams tirés de "Chair et sang", édition bilingue, traduction de Claire Malroux, Edition Orphée / La Différence n°155, 1993. Les citations des textes originaux et de leur traduction figurent ici entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
"Insolent, unconscionable, the winds of time..."
Dans son poème "Ormes" (Elms), le poète évoque "le vent du temps" (The winds of time). Sans doute veut-il évoquer cette usure des choses au vent qui ne cesse de tourner, climat changeant sans cesse, temps passant comme si le temps était un phénomène météorologique. Idée qui, effectivement, peut paraître insolente, scandaleuse, le vent du temps...

 

2.
Il y a aussi un texte intitulé "Maladie d'Alzheimer" (Alzheimer's : the wife) et cette remarque sur "le visage qui surgit devant elle dans un miroir avec une terrifiante incongruité" (Sometimes her face will suddenly appear with terrifying inappropriateness before her in a mirror). Les fantômes, j'y songe, doivent avoir aussi ce sentiment d'incongruité quand ils découvrent leur tête de vivant dans les miroirs, leur tête plus vivante qu'eux, leur tête de mirage, de vision, d'hallucination.

 

3.
"Nostalgie" (Nostalgia) et ses "mille oublis jonchant la journée la plus anodine" (the thousand lapses of memory shed in the most innocuous day), et tous ses "présents passés, perdus" (past, lost presents). En dehors des jours événementiels aux heures décisives, c'est dans les journées les plus anodines que se trouvent les détails (l'éclat d'une voix, le choix d'un mot, le poids d'un regard...) qui s'inscrivent dans notre mémoire et, au fil du temps, forgent l'opinion que nous gardons des gens, la nostalgie que nous avons de certains, le soulagement aussi de ne plus avoir à en saluer d'autres qui ne sauront jamais pourquoi ils nous ont souverainement déplu.

 

4.
En français, l'adverbe "souverainement" traduit bien cette royauté que nous gardons par devers nous, ce bon plaisir, ce libre et tout puissant arbitre de ce que nous pensons des autres, subjectivement, avec mauvaise foi, et souvent par intérêt (que l'on en espère, de ces autres là, un avantage dans notre position ou le plaisir d'un flirt flatteur, d'une coucherie, voire d'une relation amoureuse).

 

4.
"Premiers désirs" (First desires) : nous écoutons souvent "le disque d'une symphonie avant de rien connaître à la musique." (It was like listening to the record of a symphony before you knew anything at all about the music). En fait, pour beaucoup d'entre nous, nous écoutons de la musique sans rien connaître à la musique ; nous admirons des tableaux sans rien connaître à la peinture ; nous lisons des livres sans rien connaître à la littérature ; nous fréquentons des gens sans rien connaître aux gens. Et cependant, nous avons des avis et des opinions sur la musique, la peinture, la littérature, les gens. Outrecuidants donc nous autres.

 

5.
"Le Critique" : "son inspiration était inspirante" (his inspiration was inspiring) écrit le poète à propos d'un scribe dans une bibliothèque publique. Que les oeuvres inspirent les oeuvres, personne ne le conteste. Et voilà que les livres se multiplient, les images se multiplient, les sons se multiplient. C'est le contraire de la tabula rasa ; c'est la table pleine, proliférante, débordante, étouffant le réel dans la multiplication des représentations, points de vue, grilles de lecture, synthèses et conclusions. L'oeil finira par tuer ce qu'il regarde. La modernité est une autopsie.

 

6.
Chaque être humain est une expérience unique de la mort. Le but de la médecine n'est pas de supprimer l'expérience (on ne peut abolir la mort), mais d'en changer les paramètres afin qu'elles soient la moins pénible possible.

 

7.
De même que face à un enseignant arrogant, certains élèves refusent d'apprendre, la médecine est parfois si imbue d'elle-même que je soupçonne qu'il y eut des patients assez provocateurs pour se laisser mourir.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 1er janvier 2013

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