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12 juin 2012 2 12 /06 /juin /2012 05:31

LE CHAT DANS LA LANTERNE
Notes sur le poème Le Falot (Pièce III du Livre II, "Le vieux Paris", du Gaspard de la Nuit d'Aloysius Bertrand)
L'édition utilisée est celle du Livre de Poche n°16103, établie et annotée par Jean-Luc Steinmetz.

1.
"Le masque : - Il fait noir ; prête-moi ta lanterne.
Mercurio : - Bah ! Les chats ont pour lanterne leurs deux yeux.

Une Nuit de Carnaval."
(Aloysius Bertrand, Le Falot)
2.
En exergue : une réponse ambigue de Mercurio au "masque" qui serait donc un chat, un chat qui parle donc puisque nous sommes dans la fantaisie d'une "Nuit de Carnaval".

3.
     "Ah ! pourquoi me suis-je, ce soir, avisé qu'il y avait place à me blottir contre l'orage, moi petit follet de gouttière, dans le falot de Madame de Gourgouran !"
(Aloysius Bertrand)

4.
Expression du regret. Nécessité de se "blottir contre l'orage" : expression curieuse (peut-on "se blottir contre l'orage" ? - ici, il s'agirait plutôt de se protéger). Le mot sous-entendu est le mot "feu". "Le petit follet de gouttière" est un chat peut-être, qui cherche à se réfugier dans un "falot" ("espèce de grande lanterne ordinairement faite de toile" [note de Jean-Luc Steinmetz). Série associative : follet / falot / chat. Burlesque du nom de Madame de Gourgouran (évoque le français moderne se gourer, se tromper). Qui est-elle avec son nom de "soie des Indes travaillée en gros de Tours" [Jean-Luc Steinmetz] ? Une carnavaleuse (le nom de Madame de Gourgouran ferait bien penser à celui d'une "figure") ? Une commerçante ? Une bourgeoise ? Une humaine en tout cas, qui bénéficie d'une lanterne, à moins que l'expression "se blottir dans le falot de Madame de Gourgouran" puisse signifier se tromper, mais là j'extrapole et je fais fantaise de fantaisie.

5.
     "Je riais d'entendre un esprit que trempait l'averse, bourdonner autour de la maison lumineuse, sans pouvoir trouver la porte par laquelle j'étais entré."
(Alosyius Bertrand)

6.
Rire du narrateur dans le passé. La "maison lumineuse", est-ce le falot ? Sans doute. "Un esprit que trempait l'averse" : un feu follet éteint peut-être. Un feu sans falot, un chat sans yeux puisque l'exergue précise que "les chats ont pour lanterne leurs deux yeux". Rire du narrateur, rire du chat, rire du scribe Aloysius qui se moque un peu de nous aussi, pauvres "esprits", avec ses phrases brèves comme des ruelles et pas toujours si claires.

7.
     "Vainement me suppliait-il, enroué et morfondu, de lui permettre au moins de rallumer son rat de cave à ma bougie pour chercher sa route."
(Aloysius Bertrand)

8.
Expression de la supplication, d'autant plus burlesquement pathétique, ou pitoyable (qu'est-ce que ce feu-là, ce follet si pâlot ? Ce falot sans falot ?), que le narrateur précise qu'il est "enroué et morfondu" : les chats ont des enrouements dans la gorge parfois et de ces airs d'être ennuyés que cela peut provoquer le sourire. Il y a quelque air d'ironie dans l'expression "rat de cave" ("longue mèche recouverte de cire" [Jean-Luc Steinmetz]) : le chat a besoin du rat pour retrouver sa route.

9.
     "Soudain le jaune papier de la lanterne s'enflamma, crevé d'un coup de vent dont gémirent dans la rue les pendantes enseignes comme des bannières."
(Aloysius Bertrand)

10.
Passé simple événementiel : le vent "crève" la lanterne dont le "jaune papier s'enflamme". Croquis : on passe du mouvement à l'auditif (cf "gémirent") et au dessin proprement dit : les "pendantes enseignes comme des bannières". On pense à des gravures anciennes : le recueil Gaspard de la Nuit porte comme sous-titre : "Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot.

11.
     "- Jésus, miséricorde ! s'écria la béguine, se signant des cinq doigts." - "Le diable te tenaille, sorcière m'écriai-je, crachant plus de feu qu'un serpenteau d'artifice."
(Aloysius Bertrand)

12.
Si la béguine se signe, c'est qu'elle a vu le Diable - le feu qui jaillit de la lanterne - et le chat en jaillir "crachant" et sentant peut-être bien un peu le roussi, et qui - fichtre-flamme ! - se compare lui-même à un "serpenteau" (le serpent comme figure du Malin donc). La mention de la "béguine" se réfère à la Belgique et aux Pays-Bas et donc à l'art des maîtres flamands (burlesque, fantaisie, goût de l'atmosphère fantastique que l'on retrouve chez James Ensor, Jean Ray, Michel de Ghelderode, ainsi que dans l'école belge du surréalisme et bien sûr dans la bande dessinée). Béguine : religieuse qui ne prononce pas de voeu et qui vit dans un "sorte de couvent" [Jean-Luc Steinmetz].

13.
     "Hélas ! moi qui, ce matin encore, rivalisait de grâces et de parure avec le chardonneret à oreillettes de drap écarlate du damoisel de Luynes !"
(Aloysius Bertrand)

14.
Retour de l'expression du regret, celui de la "grâce et des parures" : le matou serait-il l'habitant d'une demeure bourgeoise ? On peut le penser. C'est qu'il parle un très bon français, qu'il est cultivé - il sait attribuer leurs couleurs aux oiseaux -, et qu'il connaît du monde (le "damoisel de Luynes par exemple").

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 juin 2012

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