OH ! PELURES D'ETRES !

OH ! PELURES D'ETRES !

1.
"Oh ! pelures d'Etres !"
(Henri Michaux, Mon Dieu, Mes propriétés)
Vus d'un autre oeil, d'un oeil méchant, d'un oeil qui regarde par le trou, et qui s'agrandit, s'épate, vus d'un oeil dedans la tête, d'un oeil muet, les gens, des organismes géants, qui laissent des saletés partout, des rognures d'ongles, des légions acariennes, pelliculaires, virales, des suées, des odeurs, des urines, des acides, des salives, des morves, des haleines chargées, des bouts d'eux-mêmes, qui par accident, qui par tuerie, qui par le feu, qui par l'eau, et laissent là leur dépouille, une fois que leur âme l'a consumée, la chandelle. Voyez comme ils se multiplient, s'accouplent, se reproduisent, s'effectuent, se réalisent, s'en donnent du sentiment, de la raison d'existence, du mal de chien. Oh! dégoûtation !

2.
"Le petit peu que je veux, jamais tu ne l'apportes."
(Henri Michaux, Ma vie, La nuit remue)
C'est justement ce "petit peu" qui nous persiste et nous accroche, nous empêche de céder trop vite et retarde le moment où nous tomberons dans le vide.

3.
Je songe parfois qu'il y a tant de mal et de misère dans le monde que faire des enfants pourrait relever de l'inconscience, de la naïveté, ou du cynisme. Je me demande alors quel est le projet existentiel de l'humanité : Est-ce de faire crouler le monde sous son encombrante présence ? Est-ce de préparer l'avénement d'une civilisation parfaitement égalitaire, une sorte de communauté qui sera parvenue à vaincre définitivement la rareté naturelle, et dans laquelle chacun pourra s'épanouir comme il l'entend ? Ce sera alors la fin de l'Histoire, et le début de la paix perpétuelle. C'est bizarre, mais je n'y crois guère. A mon avis, même dans ce paradis, que quelques philosophes ont rêvé et quelques démagogues promis, l'humain se trouvera bien une raison pour aller massacrer son voisin. C'est que c'est un féroce masochiste que l'humain, une bête à deux têtes : l'une pour aimer, l'autre pour haïr.

4.
Quand l'enfant paraît, il m'arrive de penser à son avenir et de considérer que la probabilité que ce môme, qui fait fuir mes chats et répand partout ses joujoux, devienne Einstein, Mozart ou Molière, est à peu près nulle. Par contre, il peut très bien devenir donneur de coups de tampon dans une administration quelconque, et même enseignant. J'en ai des frissons.

5.
"Cependant je me suis abandonné à un nouveau "nous".
(Henri Michaux, Amours, Mes propriétés)
C'est bien ce que je disais, l'humain est un féroce masochiste. Il ne peut faire autrement que de se choisir une conscience témoin, un oeil autre, quelqu'un à son goût et dont il veut confusément prendre le contrôle, et dont il veut confusément être surveillé.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 6 mars 2012