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18 mai 2013 6 18 /05 /mai /2013 21:43

QU'SI SEULS SOMMES

 

1.
"Vous passerez, imperméables"
(Jules Laforgue, Complainte des complaintes)

 

Bin oui, c'est comme ça... quand il pleut, on voit passer des imperméables, pis des parapluies, des frimousses mouillées, & des gens qui s'pressent vers la gare prendre le train sous la pluie... la pluie... pluie, pluie, floc.

 

2.
"Ô mandarines des Janviers"
(Jules Laforgue, Complainte variations sur le mot "falot, falotte")

 

Et je sais pas ce que c'est, les mandarines des Janviers, qu'ça fait rêver, ces fruits sucrés, un peu acidulés, mais qu'il fait trop froid, givré vraiment... dehors on sort pas... qu'les gens se dégringolent la carcasse & se la cassent, la guibolle sur le trottoir... Patinoire !... qu'c'est glissant si qu'on en reste à la casa, à manger des mandarines pis à s'fasciner pour faces pis fesses, longs nez, gros nénés, tout c'qui passe à la télé.

 

3.
"Pas un jour où, poltron, je ne pense à la mort."
(Jules Laforgue, Citerne tarie)

 

En dehors du fait que j'écoute et zieute itou sur Télé Mélody la Sylvie Vartan du temps où elle chantait des fantaisies où qu'ça swinguait, et des mélancolies aussi : Arrête de rire !Arrête ! Je t'aime, qui dans une chanson bien faite passe, pendant que, dans la vie réelle, ça vous met grotesque aussi sec... en feuilletant mon Laforgue, je tombe sur ce vers qui dit qu'pas un jour où, poltron, il ne pense à la mort... que moi, pareil ! pas un jour sans songer au trépas, à l'autre là qui viendra me priver de la présence du monde... même que je serai tout dilué, dispersé, moléculé dans l'air... et ce qui me rend songeur aussi, c'est que leur beauté, à certaines que je connais, finira dans le sol, à pourrir chair... Je l'imagine, le merveilleux visage figé macabre, bel & bien mort, le corps lourd livré à la boue originelle, aux vers recycleurs... Quand j'y pense, j'ai du mal à y croire vraiment, et pourtant comme ça qu'ça se passe, et peut même arriver n'importe quand... une rupture d'anévrisme & zou dans le trou, la loulou... Arrêt cardiaque & hop chez les taupes, la copine, qu'on s'dit autant que de petites vieilles qu'elles deviennent, très ridées... qu'elles aient le temps d'en profiter, et de passer le reste de leur âge peinardes...

 

4.
"Ah ! que la Vie est quotidienne..."
(Jules Laforgue, Complainte sur certains ennuis)

 

On peut pas mieux dire... routine et soucis... tant qu'on est jusqu'au cou dedans... à faire c'qu'on peut, pis c'est l'ennui qui nous court après... & qu'pour y échapper, des trucs, d'autres trucs, & des épatants, on se met sur le dos... que ça nous en procure, de nouveaux soucis, des inédits, des qu'on savait pas... & des frissons aussi... tout ça pour avancer plus vite que l'ennui & sa marée grise... qu'on l'voit pas le temps passer, malgré routine et soucis... tant qu'on est jusqu'au cou dedans... à faire c'qu'on peut, & pis, on peut pas tant que ça, & alors on se dit : tant pis et que la Vie est quotidienne...

 

5.
Dans Triste, triste, le narrateur à Jules contemple son feu. Il a le droit... bien que contempler son feu, à force ennuyeux tout de même... Du coup, il écoute ouiner le vent... qui, en effet, fait ouineouineouine i fait... A moins qu'il s'agisse de l'alarme d'une bagnole, vu qu'elles font ouineouineouine aussi les alarmes des bagnoles... Bon, ouine le vent dans les rues, où sans doute plus personne de vivant ne traîne, car, en plus, il pleut, que la pluie à sa vitre, à Jules, elle ruisselle, & que Jules, un bâillement qu'il étouffe... surtout qu'un piano voisin joue une ritournelle... Vent, pluie et piano, un peu trop tout de même... Fracas & boucan, & tintamarre quand le petit Adhémar joue de l'à-peu-près Chopin... qu'c'est triste & triste & triste & triste, la vie... & lent & lent & lent & lent, l'existence, se dit le narrateur, qui se met à songer à la Terre... Atome d'un moment qu'il se dit aussi, car il est allé à l'école, cependant que dans l'Infini criblé d'étoiles, il se passe on ne sait quoi, car tout nous est clos... Vous pouvez pas comprendre... Cherchez pas... Voilà qui nous dépasse... Contentons-nous du sort qu'on doit gérer chaque jour... Toujours la même comédie... quelle comédie... masques, nous autres... toujours... Vices, chagrins, spleen et maladie, on en a plein le sac que nous le trimbalons, le sac... et nos chimères dedans, qui s'agitent dans notre dos, pis dans le trou nous, & les beaux pissenlits d'or au-dessus, c'est que nous ne sommes que par hasard, qu'c'en est déprimant, qu'si seuls sommes, que j'vais m'faire des frites, pis écouter un disque à Vian, ou à Salvador.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 18 mai 2013

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