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14 mars 2013 4 14 /03 /mars /2013 06:00

REMORDS POSTHUME : SONNET GOTHICO-MADRIGAL
Analyse du poème "Remords posthume", de Charles Baudelaire, pièce XXXIII du recueil "Les Fleurs du mal".

 

Le titre repose sur un oxymore puisque, lorsque l'on est mort, on ne peut éprouver de remords. Il s'agit d'un sonnet aux rimes embrassées dans les quatrains, puis aux rimes croisées et suivies dans les tercets. Une seule phrase répartie en deux premières subordonnées de temps commençant par la conjonction "lorsque" (premier quatrain), puis une troisième subordonnée temporelle commençant par la conjonction "quand" occupe le second quatrain ; le sujet de la principale est donné dans le premier tercet ; le verbe introduit dans le second tercet le discours du "tombeau", donnant ainsi au sonnet une allure de prosopopée, de discours d'outre-tombe.

 

Premier quatrain : Le narrateur s'adresse à celle qu'il appelle "ma belle ténébreuse", le féminin de "beau ténébreux", expression qui, de nos jours en tout cas, fait figure de cliché. Il évoque cette demeure où la plupart des dépouilles chrétiennes finissent : la tombe, qu'il représente d'abord comme "un monument construit en marbre noir", ce qui est joliment gothique, puis rappelle à la belle brune (on peut supposer qu'elle est brune en raison de l'expression "belle ténébreuse", mais cette expression pourrait s'appliquer uniquement au caractère énigmatique, ou ombrageux, de la belle, cependant que sa chevelure serait blonde, rousse, châtain et toutes leurs nuances) rappelle donc qu'en fin de compte, toute belle que l'on soit, "l'alcôve" et le "manoir", - mots qui renvoient au lexique galant et qui placent la femme aimée au rang de luxueuse, de chérie entretenue, de personne aisée - on risque fort de bien de n'avoir pour dernière demeure "qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse" (notez la palato-vélaire [k] - "qu'un caveau" , "qu'une" "creuse" - qui sonne comme autant de coups de pelle - déjà - du fossoyeur, puisque chaque instant que nous vivons nous rapproche de la mort).

 

Second quatrain : La phrase commencée dans la première strophe par le signal temporel "lorsque" se poursuit par le rappel du poids du temps (cf la conjonction "quand"). Ce rappel est marqué par l'emploi dans le premier vers de l'allitération "p" qui souligne et le poids du temps, et le poids de la pierre tombale sur les corps - comprenez l'idée que l'on va mourir (cf : "Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse"). Le corps de la femme aimée est évoqué par sa fragilité (la "poitrine peureuse") et son indolence (cf "Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir"). On peut notez que la souplesse du corps s'oppose à la dureté de la pierre et qu'à l'allitération "p" répondent la liquide "l" ("flancs", "assouplit", "nonchaloir") et la modulation de la syllabe "cha" ("charmant" ; "nonchaloir") conférant ainsi, dans le secret des syllabes, au corps contemplé quelque chose du "chat". Le troisième et le quatrième vers du quatrain évoquent le caractère éphémère de l'agitation des vifs, la vanité du "vouloir", le dérisoire de la "course aventureuse", son caractère inutilement répétitif (cf le pléonasme "courir leur course"). On peut y lire un reproche fait à la belle de son inconstance.

 

Premier tercet : Les indicateurs temporels "lorsque" et "quand" amènent au "tombeau" (premier mot du tercet) qui permet au narrateur d'intervenir et de projeter son ombre gothico-romanesque, sa posture mystérieuse, énigmatique, quasi-spirite, laissant presqu'à entendre qu'il communique avec l'au-delà (cf "Le tombeau, confident de mon rêve infini / (Car le tombeau toujours comprendra le poëte"), et qu'il lui est accordé une spécifité extra-temporelle, ontologique, une étrange transcendance, et quelque parenté avec le vampire, puisque comme lui, il ne dort pas la nuit et en bannit le sommeil (cf : "Durant ces grandes nuits d'où le sommeil est banni").

 

Second tercet : Il s'ouvre par la forme verbale "te dira" (le sujet de ce verbe est "le tombeau") et donne la parole à ce tombeau, comme si cette prosopopée permettait de faire de l'au-delà le porte-parole du poète. La "bouche d'ombre" donc (expression hugolienne) fait le reproche à la "belle ténébreuse" - celle qui est belle et pourtant dans les ténèbres déjà - d'être bien trop légère, bien trop insouciante, bien trop "joie de vivre", ou bien trop farouche, et aussi bien trop "courtisane imparfaite" (imparfaite en ce que son pouvoir est limité au monde des vifs, cependant que le pouvoir poétique permettrait de s'affranchir des limites du vivant pour approcher les mystères des morts ; imparfaite en ce qu'elle ne semble pas se rendre compte de sa nature "ténébreuse", ou qu'elle en joue comme d'un simple outil de séduction), bien trop "courtisane imparfaite" pour prendre en compte la profondeur du vif qui cependant qu'il "court sa course aventureuse", peut "connaître" déjà "ce que pleurent les morts" (le passé, l'importance de chaque instant et surtout la présence de l'autre, puisque par définition la mort est une irrémédiable solitude). La forme négative "de n'avoir pas connu" est remarquable en ce qu'elle suggère que la conscience que l'on ne vit pas seulement pour soi relève de la connaissance. Le dit du tombeau, - une "leçon des ténèbres" - se termine par l'image macabre du ver des morts (cf "- Et le ver rongera ta peau comme un remords"), effet visuel qui aurait pour but d'impressionner la "belle ténébreuse" par une sorte de Memento mori ("souviens-toi que tu vas mourir"). Ceci dit, si la belle en question a pour deux sous de bon sens, elle ne peut, à une telle évocation, que hausser les épaules. Je lui suppose le commentaire suivant : "Décidément, vous êtes fou, mon pauvre ami ; que voulez-vous que ça me fasse puisque de toute façon je ne sentirai rien."

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 14 mars 2013

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