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15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 09:44

RESISTANCE DE LA MOQUERIE

JULES LAFORGUE :
PETITE PRIERE SANS PRETENTIONS

                          "Notre Père qui étiez aux cieux..."
                                                     PAUL BOURGET.

Notre Père qui êtes aux cieux (oh ! là-haut,
Infini qui êtes donc si inconcevable !),
Donnez-nous notre pain quotidien... - Oh ! plutôt,
Laissez-nous nous asseoir un peu à Votre Table !...

Dites ! nous tenez-vous pour de pauvres enfants
A qui l'on doit encor cacher les Choses Graves ?
Et Votre Volonté n'admet-elle qu'esclaves
Sur cette terre comme au ciel ?... - C'est étouffant !

Au moins, Ne nous induisez pas, par vos sourires
En la tentation de baiser votre coeur !
Et laissez-nous en paix, morts aux mondes meilleurs,
Paître, dans notre coin, et forniquer, et rire !...

Paître, dans notre coin, et forniquer, et rire !...

(Jules Laforgue, Petite prière sans prétentions, Des Fleurs de bonne Volonté, pièce XV)

1.
C'est pas de l'intertextuel, ça ? C'est pas environnant ? Et structurant, ça  ?

2.
"qui êtes donc si inconcevable"
L'inconcevable, au sens d'idnamissible. Les autres sont pleins d'inconcevables. C'est la leçon que l'on retient des parents : "Tu pourrais vivre ainsi, toi ?" disait ma mère à mon père. "Moi, je ne pourrais pas."

3.
Elle me dit : "Tu es quelqu'un de bien." J'ai mis un certain temps à comprendre qu'alors, elle, ne s'estimait pas tellement. Elle a fait du chemin, la fière. Elle semble bien plus s'estimer qu'autrefois. Cependant, elle penche encore le corps, se voûte encore quand elle marche. C'est peut-être dû à sa physiologie. Sinon, allez savoir quel sphinx ronronne dans sa tête !

4.
"un peu" : évidemment, on ne peut pas accéder à un peu de Dieu. L'absolu ne se saupoudre pas. Remarquez qu'on en fait tout de même des tartines.

5.
L'aphorisme est la politesse de l'auteur qui ne veut pas lasser plus que ça son lecteur qui, par définition, a toujours autre chose à faire (d'autres livres à lire, d'autres lecteurs à voir).

6.
"... de pauvres enfants"
"Il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages" est une des phrases clés du sentiment libertaire qui parcourut la société française dans la seconde moitié du XXème siècle. Parfaitement apolitique, elle rappelle la nécessité d'être avant tout un individu, en dépit de l'idéologie de la citoyenneté que les bien pensants veulent à tout prix nous refourguer, comme s'il s'agissait de préparer la prochaine boucherie des peuples.

7.
"Sur cette terre comme au ciel ?... - C'est étouffant !"
Ce vers est un aphorisme. Il concentre en quelques mots l'idée selon laquelle l'omniprésence de Dieu est étouffante. Il fut notre concepteur, c'est entendu ; notre Créateur, d'accord ! mais qu'il nous laisse un peu vivre, nous ne sommes pas Dieu, nous ! Je ne suis pas mon père , comme dit l'autre.
Note : je propose cette réécriture : "C'est étouffant comme un sur la terre comme au ciel."

8.
"par vos sourires"
Dieu est une tentation. Renoncer à la complexité du monde pour le service divin, c'est se laisser induire en tentation. Je dis ça, mais, tout de même, qu'il y ait des âmes assez fortes pour aller prier dans le désert au risque de s'y faire trancher la gorge, c'est que le sacré fait encore sens. Moi, bien sûr, je pourrais pas.

9.
"morts aux mondes meilleurs"
C'est ainsi que nous sommes des morts bien vivants, des morts bien reconnaissants. En cela, le catholicisme tempéré par la société de consommation a du bon. Les prêtres nous fichent la paix, à nous, les catholiques. Nous faisons à peu prés ce que nous voulons. Du moment qu'on se marie encore à l'Eglise, que l'on fasse encore baptiser nos mômes, que l'on se fasse enterrer chrétiennement, que l'on ne trucide pas autrui en période de paix, tout va bien.

10.
"Paître, dans notre coin, et forniquer, et rire !..."
Bon, ruminants qu'on est alors, et fornicateurs, et rieurs. Bof, pas tant que ça. C'est que l'on se donne des devoirs, des impératifs, des fiertés. Et puis, ça fait grossir, et puis il y a le sida, et puis y a pas d'quoi rire. Pire encore, y aurait même comme un petit air de déclin civilisationnel, voire de fin pas si heureuse de l'Histoire ; enfin, c'est ce qu'on lit dans la presse.
Heureusement, on s'en moque.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 avril 2012

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