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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 23:38

EN LISANT RADOSLAV PETKOVIC
Eloignement – Apparition – Imaginaire de la sécheresse – « Pour que rien ne remonte » - Note.

Eloignement.
Narrateur qui fut philanthrope et qui dans le présent de la narration se situe dans l'éloignement de l'humanité : « J'aimais les hommes ; aujourd'hui, je vis loin d'eux. » (Radoslav Petkovic, Communication sur la peste in Communication sur la peste, traduction du serbo-croate par Alain Cappon, Miroirs Editions, 1992, p.23). C'est tout bête comme c'est évident (ce qui ne veut évidemment pas dire que ce qui est évident relève du « tout bête ») : le pronom narrateur « j' » et le pronom objet « eux » sont situés respectivement en début et en fin de phrase comme deux pôles se repoussant mutuellement.

Apparition.
Le Néant, c'est pas rien ! Surtout quand i se met à vous causer, à vous, ultra contingent, hyper éphémère, absolu provisoire, drôle trollissime, et qu'il vous dit ceci :

"- Le Néant, répondit l'apparition. Ce néant qui est né en vous ; et que vous finissez par être."

(Radoslav Petkovic, 
Scènes de la guerre de cinq cents ans, ibid. p.22). Ce qui laisse à penser que le Néant naît avec l'homme et finit par prendre possession de lui. Ce que, ici, le texte appelle « Néant » n'efface pas l'étant mais prend absolument possession de son être. Serait-ce là une définition de la possession maléfique ? Un processus de mise sous tutelle de l'être d'une personne sans pour autant que l'étant soit d'abord aboli. D'ailleurs, peut-il y avoir prise de possession de l'être sans médiation de l'étant ? Les représentations de l'Enfer sont ainsi pleines de corps suppliciés, torturés, comme si l'on ne pouvait représenter qu'incarnées (ou réincarnées) les âmes possédées (ou dépossédées d'elles-mêmes) :

« Alors j'avançai un peu la main et je cueillis un rameau d'une grande ronce; et le tronc cria : « Pourquoi me mutiles-tu ? »

  Après qu'il fut ensuite devenu noir de sang, il recommença à dire : »Pourquoi me brises-tu ? N'as-tu donc aucun sentiment de pitié?
  Hommes nous fûmes, et voici que buissons nous sommes devenus ; ta main devrait bien nous être plus pitoyable, même si nous avions été âmes de serpents. »

(Dante,
La Divine Comédie, Chant treizième, 31-37, traduction de Alexandre Masseron, Albin Michel, 1960)

Imaginaire de la sécheresse.
La lettre "s", qui si bien siffle, est, pour le lecteur de langue française, assez porteuse de sécheresse :
« Avec la sécheresse de l'été, les feuilles s'étaient desséchées de bonne heure ; il y avait eu une certaine dureté dans leur bruissement ; (...) » (Radoslav Petkovic, L'enfant de la rivière, ibid. p,96)
« sécheresse », « desséchées », « bruissement » : l'allitération souligne la ligne sèche des feuilles qu'un été trop sec condamne à la « dureté », à l'altération de leur être fluide et bruissant.

"pour que rien ne remonte."
Nous nous plaignons parfois des revenants qui tant fascinent de gens. Et nous ne posons même pas la question de savoir ce que
de l'autre côté en pensent les administrateurs des ténèbres. Aaron dans le soliloque dit des « mémoires d'Aaron », que nous devons à Radoslav Petkovic, a cette remarque qui me laisse songeur :
« Cette tâche n'est pas simple, à vrai dire : le lien entre la Ville et le monde d'en-bas doit nécessairement exister, et si les morts doivent finir ici, il est difficile d'imaginer un moyen pour que rien ne remonte. »
(Radoslav Petkovic, ibid. p.45)
« La Ville et le monde d'en-bas » : voilà qui résonne drôlement dans le genre apostolique romain, et il me semble bien que c'est par dérision qu'à la célèbre bénédiction « Urbi et Orbi » « à la Ville et au Monde », l'auteur a ajouté le complément « d'en-bas ».
Ceci dit, le recueil Communication sur la peste date de 1990, juste avant donc la tragédie yougoslave, et on peut y voir quelque prémonition dans ces Mémoires d'Aaron. Bien des bourreaux, effectivement, auraient préféré que "rien ne remonte" de dessous la terre.

Note.
L'art savant de Radoslav Petkovic utilise aussi la note en bas de page ; celle que, jeune lecteur, on se fait un scrupule de lire quand bien même elle tombe dans le rythme du texte comme une mandoline dans les pattes d'un orang-outang . Celle-ci est située à la page 58 dans l'édition en langue française du recueil de nouvelles
Communication sur la peste :
« Certains sont enclins à attribuer à Vlatkovic la paternité d'un petit ouvrage publié à Venise en 1637, De la Peste (De Pestilentia). L'auteur de ce livre non signé y défend une théorie de la contagion qui annonce le point de vue moderne, à savoir que « les contagions sont provoquées par de minuscules organismes invisibles à l'oeil nu ; des sortes de serpents qui, miniatures, ne sont pas moins redoutables que les grands. » Il n'existe cependant aucune preuve pour affirmer que cet ouvrage est bien de Vlatkovic. »
(Radoslav Petkovic, Petar Vlatkovic, sa vie, son oeuvre, ibid. p.58)
Un monde peuplé de « redoutables » « serpents miniatures », « invisibles à l'oeil nu . » Des démons dans l'air. Des esprits frappant au corps. Des couteaux dont on ne voit ni le manche ni la lame. Une autre généalogie de l'invisible, pas celle des dieux vengeurs, ni de la manifestation de la « colère de Dieu », mais la nature animale et grouillante de ce monde. Tout est plein d'bestioles. C'est affreusement dégoûtant.

Patrice Houzeau
le 2 mai 2008

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