Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
16 février 2009 1 16 /02 /février /2009 17:25

L'IRONIE DU SONGE

Songeuse solitude. Etrangère solitude nécessaire à la rêverie du poète souvent songeur, abonné au songe, dream-addict :

Seul, loin de tout, je songe, au clapotis du flot,
Dans le concert hurlant des mourantes rafales.

                       (Jules Laforgue, Méditation grisâtre)

Il faut un lieu d'être pour cette méditation : la mer à l'éternel mouvement, le flot sempiternellement clapotant, et le vent qui n'est rien et qui est tout, le vent preuve et épreuve du mouvement qui agite la terre où les humains s'agitent.
Constat de fin de sonnet et de fin de siècle (1880) : l'expérience humaine est dérisoire :

Je reste là, perdu dans l'horizon lointain
Et songe que l'Espace est sans borne, sans borne,
Et que le Temps n'aura jamais... jamais de fin.
                       (Jules Laforgue, op. cit.)

Dérisoire mais vertigineuse. Je suis là et lointain. Je suis là en ayant conscience de ma présence dans le lointain des autres. Conscience de fantôme. Et naissance des spectres.

Le premier vers du sonnet Mémento (Sonnet triste) :

Depuis l'Eternité jusqu'à l'Eternité,

On ne peut pas mieux dire que l'Eternité ne renvoie qu'à elle-même.
La malédiction de l'immortel est qu'il ne peut s'attacher à rien de ce qui est mortel sous peine de drame mythologique.
De tragédie grecque. Le sacré est la mesure humaine de l'infini. Le sacré passe le temps dans la légende et l'espace dans la gloire. Ce qui est sacré ne peut accepter d'être profané. Une seule solution alors : le renvoi à l'absolu du sacré par l'acte du suicide.
Phèdre ne peut aimer Hippolyte. Le maître ne peut devenir esclave. Le samouraï ne peut vivre en vaincu.
Le vampire, s'il n'est tué selon une procédure spécifique, un rituel, étant outrepasseur de temps, ne peut tomber amoureux; son régime alimentaire le lui rappelle chaque nuit.
Amoureux, il ne peut que contaminer et donc condamner à la vie éternelle l'objet de son amour :

Je t'ai, tu m'as. Mais où ? Partout, toujours. Extase
Sur laquelle, quand on est le Temps, on se blase.
        (Jules Laforgue,
Complainte du Temps et de sa commère l'Espace )

La Mort ne connaît rien à l'amour.
Elle ne peut passer sans nouer les gorges, arrêter les coeurs, faucher les âmes.

Le Temps qui ne connaît ni son but, ni sa source,
Mais rencontre toujours des soleils dans sa course,
Tombe de l'urne bleue intarissablement !
                    (Jules Laforgue, Intarissablement)

Jules Laforgue à plusieurs reprises dans son oeuvre évoque l'infini du temps et de l'espace
Ironie du songe. Lui-même qui écrivit :

Dire qu'au fond des cieux n'habite nul Songeur,
                    (Jules Laforgue, op. cit.)

plaçant ainsi le songe, la rêverie au coeur de son travail d'écrivain, lui-même ne fera qu'un bref passage sur cette terre : 16 août 1860 - 20 août 1887.

Les dieux ne sont pas songeurs.
Ou alors, c'est nous qui ne sommes jamais que le songe des dieux.
Seul ce qui est mortel est songeur.

Les poèmes de Jules Laforgue cités dans ce  texte ont été publiés sous le titre Les Complaintes et les premiers poèmes dans la collection Poésie/Gallimard.
         

                             Patrice Houzeau
                             Hondeghem, le10 juillet 2005

Partager cet article
Repost0

commentaires

G
Très enrichissant.
Répondre

Recherche