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18 février 2009 3 18 /02 /février /2009 10:47

"CELLE DU LOUP DANS LA BERGERIE"

Dites-vous bien une chose, Docteur, on n'a pas d'acquit, pas de garde-fou. Le danger est toujours là. Jusqu'au dernier instant on peut trébucher... et tomber. Même Lui, souvenez-vous : Eli, Eli, lamma sabacthani ? Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?... c'est une bien désagréable découverte.
                       (Pierre Schoendoerffer, Le Crabe-Tambour, Grasset, p.161)

Evidemment, nous pouvons nous sentir coupables. Cela fait partie des prérogatives de l'espèce humaine. De quoi douter de la justice et désespérer de la providence puisque le Christ lui-même a douté. "C'est une bien désagréable découverte" sans doute puisqu'elle renvoie à la solitude de la faute.

"Je suis un étranger. - Cela vaut mieux peut-être...
- Eh bien ! non, viens encore un peu me reconnaître ;
Comme au bon saint Thomas, je veux te voir la foi,
Je veux te voir toucher la plaie et dire : - Toi ! -
                      (Tristan Corbière, Les Amours jaunes, Le poète contumace, Classiques de Poche, p. 96)

Du coup, nous nous sentons "étrangers", coupés des autres, si lointains avec leurs regards et leurs jugements et si lourdement proches pourtant. Nous ne sommes pas encore morts cependant, pas complétement étrangers ; que l'on vienne nous "toucher la plaie" et l'on verra alors comme Saint Thomas qui ne fut "convaincu de la résurrection du Christ que lorsque celui-ci lui fit mettre le doigt dans la plaie de son flanc" (cf note de Christian Angelet in Tristan Corbière, ibid., p.96), et l'on verra alors que nous sommes "reconnaissables", tels que nous avons été, perdurants dans l'être, liés aux autres.
Tous ceux qui ont connu un début de dépression peuvent témoigner de cette incroyable soif du vivant qui peut occuper l'esprit : les livres alors meurent, les images aussi; tout ce qui n'est que virtuel, signes, abstractions, représentations s'apparente alors à une mimésis grotesque jusqu'à l'insupportable...
On peut en venir là : à la destruction, l'autodafé, la censure...
Seul remède sans doute : L'Irlande c'est-à-dire les courses, les chemins à pied dans l'herbe et le vent, la compagnie du chien ; à défaut, on lit Un Taxi mauve de Michel Déon :

    Nous nous trouvâmes nez à nez au sortir d'un taillis, sans plaisir, lui parce qu'il était puni par son père et presque en faute s'il parlait à un étranger, moi parce que j'aime la solitude des longues courses, et, au bord des lacs et des marais, les heures de guet qui trompent mon attente. (Michel Déon , Un Taxi mauve, incipit, Folio).

Ainsi le narrateur de ce roman, dès la première phrase rencontre-t-il quelqu'un, une autre personne qui s'oppose symboliquement à toutes celles qu'il a connues auparavant. Notons d'ailleurs que le premier contact n'est guère plaisant mais c'est pourtant ce contact qui détermine la suite du récit, l'aventure, le lien renoué avec les autres, cette nécessité de l'humain, vivant, blessé, somme de plaies et de cicatrices.

LE JARDINIER
Il a bu, c'est un mendiant.

LE PRESIDENT
Il rabâche, c'est un dieu.
                    (Giraudoux, Electre, Acte I, scène 3)

Et de fait, il se peut qu'il n'y ait aucune différence entre le mendiant et le dieu incarné : tous deux racontent sans cesse la même histoire, celle du loup dans la bergerie, pour citer une chanson assez originale et intéressante de Charlélie Couture.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 décembre 2005

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