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24 février 2009 2 24 /02 /février /2009 15:03

CE QUE SAMUEL TERNOY NOUS A DIT

Synesthésie. Tonalité. Structure.

En psychologie, on appelle "synesthésie" la "perception dans laquelle un sens paraît en symboliser un autre (audition colorée, audition olfactive, etc...)" (Encyclopédie Larousse, 1980).
Le sonnet Voyelles de Rimbaud est très clairement consacré à ce phénomène :

"A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
  Je dirai quelques jours vos naissances latentes..."
  (Arthur Rimbaud, Voyelles) (1)

Il existe un test psychologique très fameux : celui des "Planches de Rorschach" du nom de son créateur (Hermann Rorschach, psychiatre et neurologue suisse, 1884-1922). Il s'agit d'un test d'interprétation de taches d'encre, lesquelles sont composées de deux parties symétriques et se répondant point par point, "comme en un miroir".

Prenez un piano, un compositeur (Samuel TERNOY) et une projection sur écran d'un choix de dix de ces fameuses "Planches de Rorschach" et vous obtenez, au début des années 2000, une oeuvre originale, composée de dix pièces brèves pour piano et intitulée, - non sans malice -, "Dix Visions en images, Etudes synesthésiques pour piano".

L'entretien que le compositeur Samuel Ternoy a eu la gentillesse d'accorder au Blog Littéraire nous a renseigné sur la genèse et la structure de cette oeuvre que nous ne pouvons que recommander à tous ceux que les enjeux de la musique contemporaine intéressent.

Samuel TERNOY : "Chaque Vision est composée de deux parties, selon le principe des "Planches de Rorschach" que l'on peut, lors du test, en les retournant, présenter de deux façons différentes. La problématique de ce travail peut donc se résumer ainsi : Est-ce que la musique peut jouer un rôle dans la perception que l'on a des formes ? En l'occurrence, est-ce que la musique jouée au piano a le pouvoir de changer l'interprétation que l'auditeur se fait des Planches ?

Le Blog Litt. : A cette question, nous sommes évidemment tentés de répondre par l'affirmative puisque, le cinéma, par exemple, nous a largement prouvé que la musique pouvait influer sur l'interprétation que l'on se fait d'une scène, et donc influencer, voire conditionner, le spectateur
.

S. TERNOY : Oui, c'est pour cela que les "Dix Visions" sont fondées sur un enjeu d'écriture. Il s'agit en quelque sorte de "retourner la musique", de faire écho à la structure de chaque planche en donnant à chaque morceau une structure spécifique, sans pour autant paraphraser l'image, en évitant donc l'écueil de l'illustration sonore. Par exemple, à des couleurs vives, je n'associe pas forcément des sons aigus. De même, "retourner la musique" ne veut pas dire que je vais systématiquement composer ma pièce de manière à ce que la seconde partie soit l'exacte inverse de la première. En fait, une seule de ces dix pièces est composée ainsi, à la manière d'un palindrome.

Le Blog Litt : D'où le terme "études" que vous avez vous-même employé pour désigner ce cycle de pièces brèves ?

S. TERNOY : C'est exact. Cependant, il ne s'agit pas seulement d'un travail de recherche, d'une oeuvre expérimentale. Il s'agit aussi, pour moi, d'inscrire dans l'acte de composer un intérêt personnel pour la psychologie et, en ce qui concerne l'histoire de la musique, l'intérêt que j'éprouve à étudier les oeuvres de compositeurs comme Schumann  ou Scriabine (2) qui ont notablement souffert de troubles du comportement, de troubles mentaux.

Le Blog Litt : Les "Dix Visions" ne sont donc pas une oeuvre purement abstraite, une composition qui obéirait à un système, à des lois, à des règles préétablies ?

S. TERNOY : Elles le sont et elles ne le sont pas. C'est là un des enjeux de la question de la création contemporaine : doit-on sacrifier le plaisir de la découverte d'une oeuvre, de son humour, de sa fantaisie, - de sa sensibilité même -, à de pures structures, qu'elles soient sérielles, atonales ou aléatoires ? C'est une question à laquelle, je pense, la plupart des compositeurs actuels sont, à un moment ou à un autre, confrontés.

Le Blog Litt : Est-il vrai qu'à l'une de vos premières compositions vous aviez donné ce titre : "Quatre bagatelles désespérément tonales" ?

S. TERNOY : Vrai ! Comme vous le voyez, le ton était déjà donné !

Notes

(1)
  : cf aussi le second quatrain du célèbre sonnet Correspondances de Baudelaire :

"Comme de longs échos qui de loin se confondent
  Dans une ténébreuse et profonde unité,
  Vaste comme la nuit et comme la clarté,
  Les parfums, les couleurs et les sons se répondent."
  (Charles Baudelaire, Correspondances, Les Fleurs du mal, pièce IV)

(2)
: Alexandre Scriabine (1872-1915), pianiste et compositeur russe, fit fort dans le genre synesthésique, en imaginant pour une oeuvre intitulée Prométhée ou le poème du feu un "clavier à lumières" basé sur la combinaison de couleurs et de sons (do-rouge ; ré-jaune ; mi-blanc ; fa-ocre ; sol-orange ; la-vert ; si-bleu).
Quant à Robert Schumann (1810-1856), les dernières années de sa vie furent marquées par des hallucinations auditives et visuelles qui, l'empêchant de poursuivre une oeuvre particuliérement intense, le précipitèrent dans la folie.

Source
: Wikipédia.

(A SUIVRE...)

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 juillet 2007

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