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14 août 2009 5 14 /08 /août /2009 11:04

IRONIE DE DICK MATENA

Dans une histoire du dessinateur néerlandais Dick Matena (Intermède 1 ; 5 planches), un voyageur de l’espace, juste avant d’être englouti par le néant d’un papier blanc constellé de gouttelettes d’encre, évoque cette longue marche à laquelle le contraint la conquête spatiale : « Sacrée planète !... Ce sera alors une marche funèbre !... Moi… » et pfouit ! il disparaît.
Affirmation du moi et hop ! au néant !
N’est-ce pas ainsi que les hommes vivent ?

L’ironie est une figure de style, et donc une manière d’être, qui consiste à souligner la présence du masque pour mieux le faire tomber. Le monde que dessine Dick Matena dans Lazarus Stone (18 planches) est étouffant et masqué. Quasi expressionniste, souterrain, labyrinthique et vénérien à l’image de ces filles de joie qui « arrachent brusquement » leur masque et « dont la puanteur cadavérique » manquent de « terrasser » le narrateur (Lazarus Stone, planche 12).
C’est aussi que, planche 16, la meurtrière « arracha brusquement le masque de la « Tête » révélant un visage que j’avais vu pour la dernière fois à la morgue… ».
C’est aussi que la meurtrière au « corps magnifique » est un robot.
C’est aussi que la scène finale, celle du duel entre le narrateur et la meurtrière, se déroule dans un « jeu de miroirs », faisant ainsi écho à la célèbre scène du film La Dame de Shanghai (Orson Welles, USA, 1947).
Il m’arrive de penser que chacune des cases d’un album de bande dessinée est un miroir où se reflètent à travers moi un infini d’êtres parallèles sans lesquels, sans doute, nous ne pourrions supporter longtemps d’être livrés à nous-mêmes.

Dick_MATENA_Case_extraite_de_LAZARUS_STONE__planche_7__L_Art_de_la_BD__Campus_Edition

Mais l’histoire de Dick Matena que je préfère est 20.05, qui met en scène une Alice au pays du futur, assez délurée pour poser quasi dévêtue pour un photographe à tête de logicien. Il y a aussi un ours en peluche qui, d’une case à l’autre, se fait immense, grizzly et meurtrier ; aussi un lapin adoré qu’Alice est très contente d’avoir retrouvé, rapport à ce que « le réveillon de Noël approche » et qu’elle meurt de faim, tout ça sur fond d’une foule de cadrans dont aucun n’affiche la même heure, c’est donc qu’ils sont tous à l’heure de toutes les heures, l’heure si longue et si brève du rêve, dont les quelques pages de cette histoire courte de Dick Matena suffisent à évoquer l’étrange et familière intensité.

Remarque : Toutes les citations ici faites des histoires de Dick Matena sont tirées de L’Art de la BD / Dick MATENA (Campus Editions, 1982). La case extraite de Lazarus Stone figure ici à titre de citation.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 14 août 2009

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